Halilhodzic, dompteur d’Éléphants

L’entraîneur bosniaque découvre le métier de sélectionneur pour la première fois de sa carrière. À la tête de l’équipe de Côte d’Ivoire, l’une des meilleures du continent africain, mais où tout n’est pas simple… Interview.

Publié le 21 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

Vahid Halilhodzic est un personnage qu’on aime ou qu’on déteste. Entraîneur rigoureux que certains qualifient même de militaire, le technicien bosniaque ne laisse en aucun cas indifférent. Arrivé en Europe à 28 ans conformément à l’ancienne législation en vigueur dans feu la Yougoslavie, l’ancien attaquant n’a connu que deux clubs à l’Ouest : Nantes, avec qui il terminera deux fois meilleur buteur de Ligue 1, et le Paris Saint-Germain.
Plusieurs fois international, « Coach Vahid » a failli perdre la vie durant le conflit yougoslave. Successivement patron de bar et directeur sportif de Velez Mostar, son premier club, il a ensuite dirigé des clubs français (Beauvais, Lille, Rennes, Paris Saint-Germain), marocain (Raja Casablanca), turc (Trabzonspor) et saoudien (Al-Ittihad Djeddah). Avant d’être nommé à la tête de la sélection ivoirienne, Halilhodzic a pointé pendant un an et demi aux Assedic et a perdu le procès pour licenciement abusif qu’il avait intenté au PSG, en se voyant condamné à verser 80 000 euros au club parisien.

Jeune Afrique : C’est un peu une surprise de vous retrouver à la tête d’une sélection africaineÂ
Vahid Halilhodzic : Je ne pensais pas devenir sélectionneur maintenant. Je considérais que c’était un peu tôt. Jusqu’à ce que la Côte d’Ivoire se manifeste. J’ai refusé la première fois, puis j’ai réfléchi, avant d’accepter.

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Qu’est-ce qui vous a décidé ?
Le potentiel. La qualité des joueurs. Le challenge sportif. Je savais que je prenais un risque et que, financièrement, j’aurais pu gagner plus ailleurs. Mais, depuis un certain temps, je me posais une question : pourquoi cette sélection, que l’on présente comme l’une des meilleures d’Afrique, n’a jamais rien gagné ? Cette interrogation a pesé dans la balance.

Et vous avez trouvé la réponse à votre question ? La Côte d’Ivoire n’a plus rien gagné depuis la CAN 1992Â
Je crois que la Côte d’Ivoire ne joue pas assez en équipe. Il y a de très fortes individualités, mais cela ne profite pas au collectif. Il faut mettre de côté certains ego.

Au bout de trois jours, vous étiez prêt à tout abandonner. Ce qui aurait fait de vous le plus éphémère des sélectionneursÂ
C’est exact. J’ai signé le 13 mai, et il y avait un stage à Chantilly [au nord de Paris] pour préparer la Kirin Cup au Japon, et surtout les quatre rencontres de juin qualificatives pour la Coupe du monde 2010. Là, j’ai vu des joueurs arriver en ordre dispersé. D’autres n’ont pas répondu aux convocations, la plupart du temps sans fournir la moindre explication, ce qui est inadmissible. J’ai pris un coup sur la tête. Je me suis demandé s’il ne valait pas mieux que je parte tellement la déception était énorme. Finalement, je suis restéÂ

Vous n’êtes pas parti, mais vous avez décidé d’instaurer un code de discipline au sein de la sélectionÂ
Mais c’est indispensable ! Il faut un cadre de travail précis et des règles à respecter si on veut progresser ! Les joueurs blessés devront venir faire constater leur blessure par le staff médical de la sélection, qui prendra une décision définitive en concertation avec l’encadrement technique. Je veux aussi que les joueurs respectent les horaires. Quand on donne rendez-vous à midi, ce n’est pas midi dix !
On parle souvent d’un rapport au temps qui n’est pas le même pour un Africain et pour un Européen, mais ce n’est pas mon problème. L’autre jour, deux joueurs étaient en retard pour partir à l’entraînement. Le bus n’a pas attendu. Ils sont venus au stade en taxi, et en s’excusant. Chez moi, c’est comme ça !

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Comment ont réagi les joueurs à votre intention de tout mettre au carré ?
Merveilleusement bien. Ils sont même demandeurs.

Sportivement parlant, le bilan du mois de juin – huit points en quatre matchs – est-il à la hauteur de vos espérances ?
Si j’avais disposé de tout mon effectif, il me serait apparu convenable. Mais vu les circonstances, il est presque miraculeux. Refaites la liste des absents. Aller jouer à Madagascar et au Botswana sur des terrains difficiles, une fois en altitude et une fois en plaine, ramener deux matchs nuls (0-0 et 1-1) face à des adversaires hypermotivés, je trouve que ce n’est pas mal. En juin, nous avons effectué 50 000 km en avion ! À cette époque de l’année, après une saison bien remplie, les organismes souffrent. Et, à Abidjan, nous avons battu le Mozambique (1-0) et le Botswana (4-0). Oui, ce bilan est un miracleÂ

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Il paraît que vous avez connu des situations assez savoureusesÂ
À Johannesburg, oui. Nous revenions de Madagascar et on avait prévu de passer quelques jours là-bas en attendant de rallier Gaborone. À l’aéroport de Jo’burg, notre bus est arrivé avec plusieurs heures de retard. Alors nous nous sommes entraînés dans un parc juste à côté.

Malgré leurs absences, avez-vous eu l’occasion de rencontrer ou de parler aux cadres de l’équipe ivoirienne ?
Oui, avec certains, notamment Didier Drogba. Il veut aussi voir l’équipe gagner. J’ai signé deux ans, et j’ai un double objectif : qualifier la Côte d’Ivoire pour la CAN en Angola et pour la Coupe du monde en Afrique du Sud. Ce pays dispose d’une génération d’une qualité exceptionnelle, je le répète, mais 2010 sera sans doute sa dernière chance de gagner quelque chose. Moi, je suis prêt à souffrir pour les joueurs. S’ils acceptent de souffrir avec moi, on peut y arriver.

Vous avez rapidement cadré les ?choses avec la presse localeÂ
Je n’ai aucun problème avec les journalistes à partir du moment où il y a un respect mutuel. Je suis toujours disponible, j’admets la critique, mais il faut que cela reste respectueux.

Ce n’est pas votre première expérience en Afrique, puisque vous avez passé plus d’un an au Raja Casablanca en 1997-1998. Quels souvenirs en conservez-vous ?
Des souvenirs extraordinaires ! J’ai remporté avec ce club la Ligue des champions africaine et deux titres de champion du Maroc. Sportivement et humainement, je m’étais régalé. J’aime la ferveur des Africains, leur enthousiasme. Beaucoup n’ont pas grand-chose pour vivre, mais ils ont toujours le sourire. Et ce sont souvent de vrais amoureux du football. Le président de la République ivoirienne, Laurent ?Gbagbo, est venu nous voir avant un match. C’était un geste important. En signant pour deux ans, j’ai répondu à un challenge sportif, bien sûr. Mais aussi humain.

Avez-vous eu le temps de vous imprégner de votre nouveau pays d’accueil ?
Je vais essayer de visiter un peu Abidjan quand j’en aurai l’occasion. Mais je ne vais pas vivre là-bas. Je serai surtout en Europe pour aller voir mes internationaux. En Côte d’Ivoire, un technicien sillonnera le pays pour assister à des matchs.

La Côte d’Ivoire commence à sortir d’une crise qui la divise depuis bientôt six ans. L’actualité politique de ce pays attise-t-elle votre curiosité ?
[Il marque une pause.] Depuis un certain temps, j’évite de me mêler de politique. Je sais ce que cela a failli me coûter [lors du conflit yougoslave, Halilhodzic, musulman bosniaque, avait échappé de peu à des milices serbes qui voulaient l’assassiner, NDLR]. La Côte d’Ivoire a souffert, les gens en parlent un peu, ainsi que des élections. J’écoute, c’est tout. Au sein de la sélection, je ressens une profonde unité. Avant chaque match, tous les joueurs prient ensemble. Chrétiens et musulmans. Ce sont des moments très fortsÂ

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