[Tribune] Leçons syriennes

En l’absence de justice et de réelles solutions pour la Syrie et le Moyen-Orient, le désespoir et la misère alimenteront une nouvelle explosion, à côté de laquelle les précédentes paraîtront des épiphénomènes.

Bachar al-Assad. © Darko Vojinovic/AP/SIPA

Bachar al-Assad. © Darko Vojinovic/AP/SIPA

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  • Sam Dagher

    Auteur d’Assad or We Burn the Country (Little, Brown & Company, 2019), quinze ans reporter au Moyen-Orient pour le Wall Street Journal, le New York Times ou l’AFP

Publié le 5 novembre 2019 Lecture : 4 minutes.

En marge de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre, le secrétaire général Antonió Guterres a annoncé que le « gouvernement de la République arabe syrienne » (le régime de Bachar al-Assad) avait enfin donné son accord pour la création d’un « Comité syrien de négociations » (avec des éléments de l’opposition), ouvrant sur ce qu’il a nommé un processus « crédible, équilibré et inclusif » devant mener à une nouvelle Constitution. Aucun de ces adjectifs n’est pertinent.

La discrète annonce de ce comité est le cadeau parfait pour Bachar al-Assad, ses parrains iranien et russe, et les nombreux acteurs impliqués depuis 2011. Pas pour les Syriens. Assad, qui, par le passé, a décrit l’ONU comme « un jeu à jouer », peut trouver dans des négociations prolongées l’occasion idoine pour affermir sa victoire, poursuivre sa réhabilitation en passant du statut de paria international à celui de chef d’un État souverain. Et orchestrer des élections qui, en 2021, lui permettront de rester président.

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Processus mort-né

Octobre a réservé un autre présent à Assad : le retrait américain du Nord-Est syrien et l’invasion turque avec le feu vert de Donald Trump. Avec sa réconciliation avec la milice kurde YPG, qu’il a d’ailleurs encouragée en 2012, le régime syrien pourra se vanter de reprendre ce territoire et même d’utiliser les prisonniers de Daesh détenus par les Kurdes, en particulier les Français, dans sa négociation avec l’Occident.

Les États-Unis s’étant retirés, et le jeu géopolitique étant devenu plus complexe encore, le comité constitutionnel représente une porte de sortie commode pour l’Europe et la France. Elles peuvent faire mine d’agir pour résoudre le conflit, mais cèdent en fait au chantage aux réfugiés, au terrorisme, au chaos et à l’instabilité, exercé de concert par Assad, l’Iran, la Russie et la Turquie.

L’ONU pourra continuer à faire ce qu’elle fait depuis 2012 : poursuivre un processus mort-né, en occultant sa propre responsabilité dans le siège des quartiers rebelles, affamés par le régime jusqu’à leur soumission. J’en fus le témoin direct lorsque j’étais en poste à Damas, de 2012 à 2014. La plupart des Syriens vont plus loin et considèrent que l’ONU est complice d’Assad.

Quand le terrorisme a frappé les capitales européennes, le choix s’est réduit à Assad ou Daesh

Les leaders occidentaux se trompent lourdement s’ils pensent faire oublier les crimes de guerre d’Assad et leur propre responsabilité en présentant le conflit comme une guerre civile ou une crise constitutionnelle à résoudre par le biais d’un processus politique. C’est ignorer les réalités de la Syrie, son histoire et celle des Assad, au pouvoir depuis près d’un demi-siècle – soit huit présidents américains depuis Nixon et six présidents français depuis Pompidou.

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Les Syriens ont manifesté en 2011 contre un régime corrompu et un système adossé à la peur, aux mensonges, à la terreur. Pour dénoncer le culte d’une famille qui a mis sur pied l’un des États policiers les plus brutaux au monde.

Émancipation

Assad et les siens ont, jour après jour, semaine après semaine, donné l’ordre de tuer des manifestants pacifiques. En 2011, chaque tentative d’un « Tahrir syrien », à Damas, Hama et Homs, s’est conclue par un carnage. Des activistes ont été torturés et rendus à leurs familles le corps mutilé pour montrer le prix de la rébellion. Parallèlement, Assad libérait des extrémistes islamistes, qu’il avait enfermés la décennie précédente pour faire plaisir aux Américains. C’était injecter le poison dans la révolution.

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Alors que le sang coulait toujours plus et que le régime déployait contre les Syriens son arsenal entier – y compris chimique –, les populations ont entrepris de se défendre. Le conflit commença alors à ressembler à une guerre civile. Et les puissances étrangères ont dû choisir un camp. À leurs risques et périls. Dix-huit mois avant le premier attentat d’ampleur à Paris, commis en janvier 2015, Assad avait explicitement menacé les Européens de terrorisme s’ils persistaient à soutenir les opposants. Quand le terrorisme a frappé les capitales européennes, le choix s’est réduit à Assad ou Daesh.

Le génie est sorti de la lampe : les populations ont goûté à la liberté et n’accepteront rien de moins que leur entière émancipation

Les leaders occidentaux ne s’en sortiront pas comme par le passé, usant des mêmes négociations, maintes fois menées avec les despotes du Moyen-Orient, dont les Assad. Six millions de Syriens environ sont dispersés à travers le Moyen-Orient, un autre million en Europe et à travers le monde. La plupart ne rentreront pas tant qu’Assad sera au pouvoir.

Surtout, le génie est sorti de la lampe : les populations ont goûté à la liberté et n’accepteront rien de moins que leur entière émancipation. Les soulèvements en Algérie, au Soudan, au Liban, et les nouvelles manifestations en Égypte le prouvent. En l’absence de justice et de réelles solutions pour la Syrie et le Moyen-Orient, le désespoir et la misère alimenteront une nouvelle explosion, à côté de laquelle les précédentes paraîtront des épiphénomènes.

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