[Tribune] L’insécurité routière est-elle une fatalité africaine ?

Le fatalisme déroutant qui prévaut face à l’hécatombe sur les routes du continent est d’autant plus incroyable qu’elle se double d’un refus obstiné de chercher des solutions.

Un embouteillage sur un grand axe de Lagos, au Nigeria. (Photo d’illustration) © AP/Sipa/Sunday Alamba

Un embouteillage sur un grand axe de Lagos, au Nigeria. (Photo d’illustration) © AP/Sipa/Sunday Alamba

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  • Gilles Olakounlé Yabi

    Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).

Publié le 4 novembre 2019 Lecture : 4 minutes.

Son nom ne vous dira rien sauf si vous êtes proche de la Gambie. Elle s’appelait Jaha Sise Sawaneh, jeune journaliste et activiste engagée dans la défense des droits humains et de la paix. C’est en revenant d’une visite dans sa ville natale le 9 octobre pour participer à des efforts de médiation communautaire qu’elle a trouvé la mort dans un accident de circulation. L’accident qui s’est produit à 170 kilomètres de Banjul, la capitale gambienne, aurait été provoqué par la crevaison d’un pneu sans doute à pleine vitesse. En plus de la journaliste, deux autres passagers n’ont pas survécu.

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Chaque accident de la route a son histoire, sa cause principale, ses causes secondaires formant ensemble un tragique concours de circonstances. Et personne ne rêve du « zéro accident de la route », même dans les pays les plus riches, dotés des infrastructures routières les plus modernes, des parcs automobiles les plus récents, des législations les plus élaborées et des administrations les plus à même de les appliquer.

Fatalisme et refus de chercher des solutions

Mais nous sommes en Afrique confrontés à une situation particulièrement grave : la conjonction des pires statistiques d’accidents meurtriers de la route, de l’accueil des nouvelles récurrentes de morts stupides de jeunes avec une incroyable dose de fatalisme et d’un refus obstiné de chercher des solutions pour freiner l’hécatombe.

J’avais en tête d’écrire cette tribune l’année dernière, quelques jours après le décès brutal de deux personnalités respectées de la société civile et de la recherche universitaire au Mali. Un professeur d’anthropologie réputé et un brillant et prometteur expert des questions de gouvernance, tous très engagés dans la recherche de solutions à la grave crise dans laquelle état plongé leur pays. Fauchés tous les deux dans un accident de route entre Ségou et Bamako.

Je n’avais eu aucune information sur les circonstances précises de l’accident et sur ses causes mais le fait était là : on continuait à perdre toutes les semaines des enfants, des jeunes et des moins jeunes dans des accidents en grande partie évitables.

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Au-delà de l’ampleur des accidents graves, c’est le fatalisme avec lequel on tourne vite la page par un apaisant « Paix à son âme », « Rest in perfect peace » ou « Qu’Allah l’accueille en son paradis » qui est déroutant.

Certes, il n’y a plus rien à faire pour ramener ceux qui nous ont quittés. Mais peut-être devrions-nous interroger davantage les décès qui relèvent de déterminants sur lesquels nous pouvons agir et nous fixer comme objectif de réduire drastiquement chaque année le nombre de destins brisés et de familles éplorées.

L’Afrique a les plus mauvaises statistiques de toutes les régions du monde, avec un taux de décès sur la route de 26 pour 100 000 habitants

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De nombreux pays l’ont fait. Selon le plus récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la sécurité routière publié en décembre 2018, le nombre de décès enregistrés par accident de la route avait baissé dans 48 pays entre 2013 et 2016. Cela n’a pas été le fait du hasard, mais d’un ensemble de mesures visant à réduire le nombre des accidents et leur gravité.

Ce rapport confirmait que l’Afrique avait les plus mauvaises statistiques de toutes les régions du monde, avec un taux de décès sur la route de 26 pour 100 000 habitants. Trois fois plus élevé qu’en Europe. Dans la deuxième région la plus dangereuse pour les usagers de la route, l’Asie du Sud-Est, le chiffre était de 20,7 pour 100000 habitants.

Corruption et impunité

En observant au quotidien la circulation routière dans les grandes villes ouest-africaines, le comportement des usagers apparaît de manière incontestable comme un déterminant majeur de l’ampleur des accidents, de concert avec l’état des véhicules et celui des routes.

Le duo infernal que forment la corruption et l’impunité continue d’éteindre définitivement de jeunes lumières africaines

Il ne s’agit pas seulement des excès de vitesse ou des effets de l’alcool au volant mais d’une ignorance absolue de l’existence des autres usagers : arrêts brutaux au milieu de la route juste pour discuter avec un ami, oubli systématique du clignotant pour signaler un changement de direction, téléphone scotché à l’oreille voire écriture de SMS en étant au volant, non-respect des règles de priorité, et de toute autre règle prévue par le code de la route.

C’est tous les jours dans nos capitales que l’inconscience de la mise en danger des autres se donne à voir. Ces comportements ne tuent pas dans la majorité des cas, les villes embouteillées limitant la vitesse et la violence des chocs. Mais sur les routes nationales et sur les nouvelles voies rapides dont nous sommes si fiers, des comportements irresponsables, les dépassements dangereux notamment, mettent fin à un nombre insupportable de vies.

En matière de sécurité routière comme dans tant de domaines, le duo infernal que forment la corruption et l’impunité, en ruinant autant la qualité des routes que le civisme et le sens des responsabilités, continue d’éteindre définitivement de jeunes lumières africaines.

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