Bienvenue en Afrique du Sud…

Après avoir exploré la Nouvelle-Zélande, l’écrivain français Caryl Férey s’immerge dans le pays de Mandela, donnant un roman noir sans concession.

Publié le 21 juillet 2008 Lecture : 4 minutes.

Une plage idyllique au bord de l’Atlantique, non loin du Cap. Pieds dans le sable, des flics qui enquêtent sur un réseau de trafic de drogue lié à l’assassinat d’une jeune femme blanche, fille d’un ancien champion du monde de rugby. Et soudain, un brutal déchaînement de violence. Sec, implacable, insoutenable. Un paroxysme sanglant illustrant l’idée qu’en Afrique du Sud « le pire peut advenir d’un coup. On peut se trouver dans un décor paradisiaque et se faire tuer pour une montre à 5 euros. » Le dernier polar du Français Caryl Férey, Zulu, se concentre dans cette scène à couper le souffle qui restera comme un modèle du genre et hantera sans doute bien des lecteursÂÂÂÂ
Rien de gratuit dans cette mise en scène clinique de l’horreur. Caryl Férey, qui « déteste la violence pour la violence », construit ses romans avec minutie pour coller au mieux à la réalité d’un pays. Après avoir ausculté la Nouvelle-Zélande dans Haka et Utu, et avant de se pencher sur l’Argentine, il a longuement exploré l’histoire et les blessures de la société sud-africaine. « En 1999, j’ai rejoint un ami journaliste qui était correspondant en Afrique du Sud, alors que Mandela était encore au pouvoir, raconte-t-il. Je me suis rendu compte que tous les ingrédients étaient rassemblés pour écrire un roman noir. J’ai commencé à prendre des notes et à accumuler de la documentation. J’y suis retourné bien plus tard, en 2007. La situation avait pas mal changé. Ce qui m’intéressait alors était de savoir ce qui n’avait pas été dit, pour cause de réconciliation nationale, sur les affrontements entre l’Inkatha et l’ANC. »
Au bout du compte, il lui a fallu quatre ans de travail pour ingérer une riche documentation, comprendre un pays miné par des années de racisme d’État, bâtir une histoire, créer des personnages et, enfin, écrire. Résultat : Zulu n’est pas un roman policier comme des dizaines d’autres, c’est un portrait sans concession de l’Afrique du Sud d’aujourd’hui. Celle du sida et des industries pharmaceutiques, celle de la violence et du tourisme, celle des inégalités et de l’ouverture à la différence. Celle, aussi, qui attend l’événement le plus médiatisé de la planète, dans deux ans. « Ce que je n’avais pas prévu en me rendant sur place, c’est l’impact de la Coupe du monde de football, explique Caryl Férey. Déjà, pour tous les médias, c’est objectif 2010. Il y a des investisseurs à séduire ! Mais qui a envie d’investir dans le pays le plus dangereux du monde ? »
Le suspense et l’intrigue, sans lesquels il n’est guère de bons romans policiers, pourraient souffrir d’un trop-plein d’informations sociologiques, ethnologiques ou historiques. Rompu à l’écriture de scénarios – pour des pièces radiophoniques notamment -, Caryl Férey évite l’écueil du didactisme en privilégiant les scènes d’action et en fouillant ses personnages. Secret de la recette ? « Sur place, je n’écris pas, je rencontre des gens. » Comme leur pays, Ali Neuman, le Zoulou, et Brian Epkeen, l’Afrikaner, sont deux hommes abîmés par la vie, qui tentent comme ils peuvent de survivre dans un environnement hostile.

Du côté des opprimés
Des coups, ils en prennent plus souvent qu’à leur tour. « Je suis du côté des opprimés, explique Férey. J’ai beaucoup de tendresse pour ceux qui essaient de se reconstruire. Quand j’ai créé le personnage d’Ali Neuman, je voulais un homme viril par sa rectitude morale, mais brisé de l’intérieur. » Chef de la police du Cap, Zoulou bien bâti et habité par la longue tradition de ses ancêtres, Ali Neuman est un rescapé du bantoustan du KwaZulu. Et l’on comprend dès les premières pages du livre qu’il est le seul de sa famille, avec sa mère, à avoir échappé aux milices de l’Inkatha qui ont torturé son père et brûlé vif son frère. Le supplice du collier : un pneu autour du cou, de l’essence, une allumette.
Héros meurtri qui a atteint le sommet de la hiérarchie policière, Ali Neuman est aussi un homme condamné à la solitude par son impuissance sexuelle. Sa volonté, indestructible mais autodestructrice, représente néanmoins une lueur d’espoir dans un pays miné par les haines fratricides. « Ali a vraiment Mandela en lui, explique Caryl Férey. Cet homme politique capable de lever les bras de ses deux pires ennemis, De Klerk et Buthelezi, en signe de victoire. Même si je ne donne pas cher de l’humanité, je crois qu’il suffit d’un être humain pour tout renverser. Mes personnages souffrent, mais ils résistent. » Ainsi en est-il de Brian Epkeen, le coéquipier d’Ali, qui a adopté la cause noire contre sa propre famille, tente de surmonter une vie sentimentale partie à vau-l’eau et préfère l’usage du knout à celui du calibre .38 face aux tueurs des townships (et ceux des beaux quartiers, qui sont souvent les pires).
Inutile de mentir : on ne sort pas de Zulu réconcilié avec l’humanité, loin s’en faut. Caryl Férey, qui se dit « plus près de Jean-Patrick Manchette que de Didier Daeninckx » en référence à deux auteurs engagés, se situe dans la tradition très française du polar de gauche. Lui qui doit son prénom à Caryl Chessman – ce condamné à mort américain ayant attiré l’attention mondiale sur la peine capitale avec quatre romans écrits dans le couloir de la mort, dont Cellule 2455 couloir de la mort (1954) – avoue que « le capitalisme financier [le] fait vomir » et s’en prend avec virulence à l’apartheid économique, toujours bien vivant. Depuis son premier voyage autour du monde, à 20 ans, Férey dit avoir ouvert les yeux sur notre époque et s’intéresse particulièrement à l’évolution des pays autrefois colonisés. S’il prétend « ne pas détenir la vérité », il a tout de même des idées bien arrêtées sur un temps où « les exclus [sont] repoussés vers les périphéries des mégapoles réservées aux gagnants d’un jeu anthropophage où télévision, sport et pipolisation du vide [canalisent] les frustrations individuelles, à défaut de perspectives collectives ». Bienvenue en Afrique du Sud, bienvenue dans le monde des multinationales !

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