Anis Bouabsa

Originaire de Tunisie, il a décroché le Prix de la « meilleure baguette » de Paris. Pendant un an, il est le boulanger officiel de l’Élysée. Pas mal, à seulement 28 ans !

Publié le 21 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

Au Duc de la Chapelle, une petite boulangerie du XVIIIe arrondissement de Paris, le téléphone ne cesse de sonner, couvrant le ronronnement lancinant de la vitrine réfrigérée. « Allô ? Oui, vous êtes bien chez Anis Bouabsa. Oui, c’est ici qu’on fabrique la meilleure baguette de Paris. Non, désolée Monsieur, il se repose. » Épouse du boulanger le plus célèbre de la capitale française, Nouha raccroche avec un petit sourire : « Encore un journaliste ! Si ça continue, nous allons devoir engager une standardiste ! » Puis, en toute simplicité, la jeune femme retourne servir ses clients, sans omettre de leur demander des nouvelles de leurs enfants.

La boutique d’Anis et Nouha ressemble à toutes les boulangeries de France et de Navarre. On y vend des baguettes pas trop cuites, des chouquettes à la crème, des tartelettes aux pommes et des bonbons à la violette. Seule différence, une kyrielle de trophées trônant sur le comptoir et, accrochées au mur, des photos de l’ancien président Jacques Chirac serrant la main du patron. Ces précieuses reliques datent de 2004, lorsque, à 24 ans, Anis a été couronné meilleur ouvrier boulanger de France. Toutes catégories confondues, il est le plus jeune récipiendaire de ce prix prestigieux. Et le premier d’origine maghrébine.
Le 12 février dernier, Anis Bouabsa a récidivé en décrochant le Prix de la meilleure baguette de Paris, devenant du même coup, pour un an, le fournisseur officiel de la présidence de la République. « Un honneur » auquel le jeune boulanger originaire de Tunisie est évidemment sensible. Imaginer Carla Bruni-Sarkozy, la première dame de France, dégustant son pain au petit déjeuner a sans doute quelque chose de grisant. « Jamais je n’aurais osé rêver d’une chose pareille. Mais j’ai toujours été acharné au travail, ça a payé », commente-t-il, émerveillé.
Debout tous les matins à 3 heures, Anis est un peu l’incarnation du « mérite républicain », comme l’on dit ici. À sa manière, il illustre aussi un célèbre slogan de la dernière campagne présidentielle, cette « France qui se lève tôt » pour aller travailler si chère à Nicolas Sarkozy. Un rôle que le boulanger ne tient pas sans réticence : « Je ne partage pas les idées politiques du président », explique-t-il.
La détermination d’Anis se lit dans ses yeux, même si ceux-ci portent encore des traces de sommeil au sortir de la sieste qu’il s’accorde chaque après-midi pour récupérer de ses dures matinées. Le jeune homme sait ce qu’il veut et ça se voit. Lorsqu’il raconte son histoire, ses mains tracent dans le vide des lignes imaginaires, comme pour montrer qu’il ne s’est jamais égaré.
Né en 1980 à Paris, Anis a grandi à Bobigny, dans une famille de cinq enfants. La boulangerie n’est a priori pas le truc de ce bon élève qui, à 15 ans, s’apprête à passer en seconde générale. Un stage professionnel d’une semaine va en décider autrement. « J’ai choisi cette voie par hasard, se souvient-il. Mais dès le premier jour, quand j’ai vu mon patron transformer une boule de pâte en baguette, j’ai été séduit. J’ai décidé de faire ce métier. » Ses parents ne sont pas franchement ravis que leur fils veuille passer sa vie dans le pétrin. Mais Anis leur prouve qu’il a fait le bon choix. Il obtient successivement un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de boulanger, puis de pâtissier, et un brevet de maîtrise. Pourtant, le gosse du « 93 » a d’autres ambitionsÂÂ
L’été suivant, sur les conseils de son formateur, Anis prend la direction des Landes, dans le Sud-Ouest, pour parfaire sa formation auprès de Christophe Simon, le meilleur ouvrier de France du moment. C’est la première fois qu’il ne passe pas l’été au bled, dans le village natal de son père, près de Bizerte. Un vrai sacrifice. Le job d’été va durerÂÂ dix-huit mois, pendant lesquels, à son tour, Anis prépare d’arrache-pied le concours de meilleur ouvrier. « Heureusement, il y avait la mer, raconte-t-il. Je suis français, mais la Tunisie, c’est mon pays. Là-bas, je me ressource. »
Sur les rives de l’océan Atlantique, Anis ne pense pas aux vacances. Dès son arrivée, il interroge ses collègues : « Comment faire pour accrocher à mon tablier ce liseré bleu-blanc-rouge » qui distingue les meilleurs ? Les employés de Chez Simon se souviennent de lui comme d’un « gars très gentil et travailleur, qui ne pensait qu’à réussir son concours ».
En 2004, c’est chose faite. La remise de sa distinction par le président Jacques Chirac reste pour lui un moment inoubliable. Quatre ans après, l’émotion est intacte, même si le jeune boulanger est désormais familier des salons présidentiels. « Quand je fais mes livraisons, je me promène dans l’Élysée, c’est un endroit magnifique. Mais la première fois que j’y ai mis les pieds, je ne m’en suis pas aperçu : je ne voyais rien, j’étais dans un autre monde ! » L’année suivante, le lauréat achète le fonds de commerce du Duc de la Chapelle. Il lui faut diversifier les produits, élaborer de nouvelles recettes, gérer une équipe etÂÂ rassurer la clientèle. Pas évident à seulement 25 ans. Aujourd’hui, sa boutique ne désemplit pas et ses clients sont unanimes : « C’est peut-être le pain que mangent les Sarkozy, mais c’est surtout le meilleur qu’on trouve porte de la Chapelle ! »

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Pour décrocher le prix de la meilleure baguette de Paris, le jeune entrepreneur a dû s’y reprendre à trois fois. Cette année encore, cent cinquante boulangers étaient sur les rangs. Beaucoup d’appelés, un seul éluÂÂ Avec les quelques centaines d’euros de récompense qu’il a gagnés mais surtout avec ses économies, Anis a acheté avec son frère une deuxième boulangerie, porte de Pantin. Les deux frangins l’ont baptisée : « Chez Bouabsa. » En toute simplicité.
Des projets de ce type, Anis en a plein la tête. Celui qui lui tient peut-être le plus à cÂÂur : fonder en Tunisie une école de boulangerie « à la française ». Parce que quand il se rend dans le pays de ses ancêtres, c’est le bon pain qui lui manque le plus. Et parce qu’il aime enseigner. Anis ne résiste jamais au plaisir de transmettre à ses amis quelques « petits trucs » pour rendre leurs miches plus légères ou plus croquantes.
En attendant, il prend très au sérieux l’éducation de Babis, son fils, qui commence tout juste à marcher. « Je suis un homme comblé », lâche le jeune père de famille, dans un grand sourire. Il hésite, puis se reprend : « Comblé, mais un peu fatigué ! » Les vacances tunisiennes qui se profilent à l’horizon, il les espère donc reposantes, mais sans illusions. Il sait que les Bizertins ont bien l’intention de fêter comme il se doit la success story du petit boulanger : « Au bled, je vais être accueilli comme un roi ! En France, servir à la table du président, ça fait sourire, mais au pays, c’est grandiose ! »

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