Un marigot, cinq crocodiles

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Kinshasa, palais du Peuple, jeudi 17 juillet. Trois hommes en costume sombre à la coupe hasardeuse et un quatrième en gilet à l’effigie de son héros – Laurent-Désiré Kabila, le « Mzee » assassiné – prêtent serment sous le regard impénétrable d’un cinquième, Joseph Kabila. Accolades, ovations, hymne national : l’ex-Zaïre n’aime rien tant que ces cérémonies d’exorcisme collectif où se mêlent ferveur mystique, flonflons des fanfares, larmes des mamans et absolution générale. Sur fond, le plus souvent, de rancoeurs cachées et de règlements de comptes non soldés. Autour du chef de l’État, 33 ans, fils de son père, il y a là Jean-Pierre Bemba, personnage hautement controversé, massif, malin, homme d’affaires flambeur et ambianceur reconverti avec succès dans la rébellion business. À sa gauche, Azarias Ruberwa, l’homme de l’Est, très proche du Rwandais Paul Kagamé, dur, subtil, calculateur, aussi discret que Bemba est tonitruant. À sa droite, Arthur Zahidi Ngoma, ex-fonctionnaire international, opposant de profession, courageux mais sans autre base politique que l’évanescente « société civile » kinoise et la gloire de se retrouver là, sur ce podium, à la place de l’inoxydable Étienne Tshisekedi. De côté, enfin, front dégarni par le poids des ans et d’une vie riche en rebondissements, frêle mais manoeuvrier comme pas deux, l’homme au gilet : Abdoulaye Yérodia, psychanalyste disciple de Lacan, au parler souvent obscur, inconsolable de la mort du père. Un président et quatre vice- présidents donc, venus consacrer la fin de la guerre la plus destructrice qu’ait connue l’Afrique contemporaine.

Faut-il y croire ? Ce 17 juillet est-il autre chose qu’une caricature de l’Histoire, ce que le ndombolo est à la rumba ? Pour la première fois depuis près de sept ans, les raisons d’espérer en l’avenir de la RD Congo équilibrent celles de désespérer. Certes, les fragilités, les motifs de douter sont multiples. Entre les cinq hommes chargés de conduire la transition, la méfiance règne, y compris en ce qui concerne leur sécurité physique, et le risque est réel de voir les incidents se multiplier à Kinshasa entre bandes de gardes du corps rivales. La nouvelle Constitution et le nouveau gouvernement (soixante ministres et vice-ministres !) sont beaucoup plus faits pour empêcher un camp de prendre le pas sur un autre que pour reconstruire et diriger un État. L’armée et les services de sécurité sont placés sous la double tutelle, quasi ingérable en pratique, du cabinet présidentiel de Kabila et du RCD Goma de Ruberwa. Une grande région comme le Kasaï se plaint amèrement de n’avoir aucun représentant au sein du quintet présidentiel et menace déjà de faire sécession… Les esprits chagrins, en somme, ont de quoi alimenter leur scepticisme.

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Pourtant, force est de reconnaître qu’à Kinshasa la dynamique politique est peut-être en train de supplanter la dynamique de guerre. Pour la première fois, toutes les factions ont leur part de pouvoir – donc de gâteau – et les faucons incurables risquent d’être rapidement marginalisés. Certes, rémunérer tout ce beau monde coûte cher, mais beaucoup moins que la guerre, d’autant qu’une aide financière internationale conséquente est annoncée. Surtout, l’ensemble du processus est placé sous étroite tutelle extérieure des parrains de la paix : le Comité de suivi de l’ONU, les troupes de la Monuc, les médiateurs européens et africains, le FMI et la Banque mondiale, les États-Unis, la France, la Belgique, l’Afrique du Sud, la Cour pénale internationale… Quelles que soient leurs arrière-pensées, leur degré de moralité et de patriotisme, les acteurs du palais du Peuple sont sous surveillance et ne l’ignorent pas.

Concession obligée – et en théorie plus que souhaitable – à la bonne gouvernance : des élections générales devront avoir lieu en RD Congo dans deux ans, trois au maximum. Le gouvernement de transition, aidé par la communauté internationale, est chargé de les organiser, puis de passer la main. Est-ce bien raisonnable ? Quand on sait qu’il n’existe dans ce pays-continent dévasté et pillé ni état civil fiable, ni infrastructures, ni listes électorales, et qu’aucun recensement n’y a été effectué depuis les lustres, quand on sait aussi que le nouveau gouvernement devra auparavant avoir réunifié le Congo, aboli les fiefs, restauré l’autorité administrative de l’État et la liberté de circulation, et intégré les milices dans une force armée unique et nationale, la « conditionnalité » électorale est tout simplement impossible à remplir. L’exiger dans des délais aussi courts et précipiter l’ensemble de la classe politique dans une compétition fratricide, alors que l’immense majorité de la population aspire avant tout à revivre, est donc irresponsable.

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