Questions sur un putsch « soft »

Le coup d’État mené par le major Pereira s’est déroulé dans une relative indifférence de la population. Pas de la communauté internationale.

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 6 minutes.

Nul besoin de mobiliser plusieurs bataillons pour prendre le pouvoir à São Tomé e Príncipe. Une poignée d’hommes suffisamment déterminés suffit pour renverser le régime en place, geler la Constitution et suspendre les institutions. La junte menée par le major Fernando Pereira, alias Cobo, en a fait la preuve en renversant, dans la nuit du 15 au 16 juillet dernier, le président élu Fradique de Menezes. Ainsi, le film des événements de cette nuit-là peut être qualifié de court-métrage. À 3 h 30 (GMT), une section d’élite de l’armée (qui compte au total moins de 800 hommes et une dizaine d’officiers supérieurs) sort de son cantonnement de la capitale. Selon le plan élaboré par Cobo, ces hommes se divisent en plusieurs petits groupes. Les premiers prennent d’assaut le siège de la radiotélévision de l’archipel, les autres se dirigent vers les résidences de Maria Das Neves, Premier ministre, et de Dionisio Dias, président du Parlement. Pour neutraliser le personnel de garde, les golpistas (« putschistes ») tirent quelques rafales en l’air. Un semblant de résistance des policiers en faction au siège de la radiotélévision les amène à jeter quelques grenades offensives, des engins censés faire plus de bruit que de mal.
Le coup d’État s’achève, aux premières lueurs du jour, sans victimes ni dégâts, ni pillage, ni exaction. Maria Das Neves, qui a fait un malaise cardiaque lors du siège de sa résidence, est transférée à l’hôpital. Les douze autres membres du gouvernement (le quatorzième, Mateus Meira Rita, ministre des Affaires étrangères est alors à Lisbonne, au Portugal) ne sont pas interpellés chez eux, mais convoqués au quartier général des insurgés, situé au centre d’instruction militaire que dirige Cobo. Ministres et députés sont bien traités. Quant au président Fradique de Menezes, il est au même moment en visite de travail au Nigeria, où il négocie le développement d’une zone économique commune avec le puissant voisin.
Quelques heures après la première intervention publique de Cobo à la radio, la vie reprend son cours et les commerces ouvrent. Seule conséquence visible du putsch : le couvre-feu est maintenu. Le 18 juillet, une partie des ministres est libérée, et l’aéroport rouvert, le temps de recevoir un avion devant évacuer les touristes bloqués à São Tomé.

Qui sont les auteurs du putsch ?
Ils sont encadrés par trois hommes : deux militaires – le major Fernando Pereira et le capitaine Arlesio Costa – et un civil – Sabino Dos Santos, président du Front démocratique chrétien (FDC), parti d’opposition radicale et seule formation politique à s’être rangée derrière les golpistas. Cobo, 40 ans, est l’officier de carrière le plus populaire au sein de la troupe. Formé à l’Académie militaire de Lisbonne, il n’a pas la réputation d’être putschiste dans l’âme, car il n’a pas participé au seul et éphémère précédent de l’histoire de l’archipel, quand des militaires insurgés avaient, le 15 août 1995, investi le palais présidentiel et momentanément retenu en otage le chef de l’État, Miguel Trovoada. Le major est également apprécié des pays lusophones pour avoir dirigé des unités de la force de maintien de la paix de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP).
À quoi Cobo doit-il sa popularité auprès de ses frères d’armes ? Le 24 avril 2002, il dénonce publiquement les conditions de vie dans les casernes, les six mois d’arriérés de solde (un deuxième classe touche 15 euros par mois) et la vétusté de l’équipement. En juin 2003, il décide de rédiger un cahier de doléances et l’adresse à la présidence et au Premier ministre. Faute de réponse, le 15 juillet, il change de stratégie et passe à l’action. Instruit des erreurs des putschistes de 1995, il attend que le président s’absente du pays.
L’itinéraire de son compère Arlesio Costa est plus trouble. Ancien du « Bataillon Buffalo », unité de supplétifs angolais, mozambicains et santoméens de l’armée sud- africaine du temps de l’apartheid, il a notamment servi sous les ordres de Jonas Savimbi en Angola et fait le coup de feu contre la Swapo de Sam Nujoma en Namibie. En outre, il aurait mis son « savoir-faire » militaire au service de la société de mercenariat sud-africaine Executive Outcomes.
Sabino Dos Santos, est aujourd’hui le porte-parole de la junte. Formé en 1988 à Libreville, le FDC n’a jamais connu de succès électoral, et son encadrement est réputé être un ramassis d’anciens du groupe Buffalo. Cette formation s’est illustrée ces dernières semaines en appelant à une grève générale pour obtenir le départ de Maria Das Neves et du président Menezes, grève initialement prévue pour le 24 juillet. Le FDC comptait prendre le pouvoir par la rue, la colère des casernes a constitué une véritable aubaine.

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Pourquoi la rue n’a pas bougé ?
Comme le précédent, le coup d’État du 16 juillet se caractérise par son côté « soft ». Cela tient à la situation socio-économique du pays, dont l’élite est peu nombreuse et le taux d’analphabétisme important. Sous forme de boutade, les Santoméens n’hésitent pas à dire que la majorité d’entre eux ne sait pas encore que les colons portugais ont quitté le pays il y a plus d’un quart de siècle. Autre image répandue : STP, les initiales qui forment le nom de l’archipel, sont détournées en Somos todos primos, « nous sommes tous cousins » en portugais. Tout le monde a un lien de parenté avec tout le monde, ce qui explique l’absence de violence lors des deux putschs et l’indifférence populaire pour la « chose politique ».
Mais considérer le silence de la rue comme un soutien aux putschistes serait inexact. Si les revendications socio-économiques des golpistas semblent légitimes, il n’en demeure pas moins que la majorité de la population redoute les conséquences de leurs actes et appréhende les dommages collatéraux d’une éventuelle intervention militaire nigériane.

Comment la communauté internationale a-t-elle réagi ?
Avec une extrême célérité. Premier à réagir, justement : le Nigeria. Olusegun Obasanjo s’est exprimé uniquement parce que le chef d’État renversé était alors son invité, mais également pour des raisons stratégiques. D’immenses gisements pétroliers (certaines sources parlent de réserves se montant à 11 milliards de barils) se situent au large des côtes nigérianes et santoméennes. En outre, l’archipel est depuis quelques années le centre d’une bataille d’influence entre le Nigeria et l’Angola. Et Menezes est considéré comme l’homme d’Abuja, contrairement à son prédécesseur, Miguel Trovoada, réputé proche de Luanda. Un troisième protagoniste de la sous-région est resté curieusement discret : le Gabon. Le pays d’Omar Bongo et São Tomé e Príncipe se disputent la souveraineté d’un îlot perdu dans le golfe de Guinée, qui serait riche en hydrocarbures.
Plus largement, la condamnation du coup d’État est quasi unanime. Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, et Joaquim Chissano, au nom de l’Union africaine (UA), exigent le retour de l’ordre constitutionnel. De nombreuses capitales leur emboîtent le pas : de Paris à Washington en passant par Lisbonne, qui organise des assises extraordinaires du CPLP. Chissano se rend à Abuja, le 17 juillet, pour discuter avec Obasanjo les détails d’un mandat de l’UA autorisant une intervention armée des forces nigérianes. Zèle du président mozambicain ? Chissano se sent particulièrement concerné par ce dossier : cela fait six jours qu’il a hérité du statut de président en exercice de l’UA et son pays, comme São Tomé e Príncipe, est membre du CPLP. Mais contrairement au Nigeria et à l’UA, cette même CPLP préconise une solution politique. Par ailleurs, il n’est pas exclu qu’à l’issue de médiations internes, et notamment celle que mène l’Église catholique par le biais de Dom Abilio Ribas, évêque de São Tomé et personnage haut en couleurs de la vie politique locale, le président Menezes puisse revenir dans son pays et recouvre ses prérogatives sans un quelconque recours à la force.

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