Plaidoyer pour le Sud

La deuxième conférence de l’International Aids Society a rapidement dévié de son objectif initial, dresser un bilan de la recherche. Seul a compté l’accès aux médicaments dans les pays en développement.

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 6 minutes.

Les nouveaux médicaments auraient dû être à l’honneur. Mais c’est vers Nelson Mandela, l’ancien président sud-africain, que se sont tournés les projecteurs. Son discours, lors de la cérémonie d’ouverture de la deuxième conférence de l’International Aids Society – coorganisée avec l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), qui s’est tenue du 13 au 16 juillet à Paris, a réveillé et ému les foules. Dès les premières heures de ce congrès, habituellement destiné à couvrir les avancées de la recherche, l’accent a été mis sur l’accès aux traitements dans les pays du Sud.
Il ne s’agissait donc plus de soigner avec de nouvelles molécules, mais de soigner partout, avec celles dont nous disposons déjà. Comme l’a souligné Mandela, « la plus grande crise sanitaire de l’histoire de l’humanité » est une « réalité choquante » et « une injustice », dans la mesure où « la science nous a donné le moyen de stopper la maladie. Le problème est qu’il ne peut pas être utilisé là où il est nécessaire ». Madiba a alors demandé « pourquoi nous avions échoué à traduire les progrès scientifiques en actes dans les régions les plus pauvres du globe ». Et pour mieux appuyer cette détresse, il a égrené les chiffres : 45 millions de personnes vivant avec le sida dans le monde, 10 000 morts par jour, 26 millions de décès depuis le début de l’épidémie, dont 95 % dans les pays en développement (PED), 6 millions de séropositifs ayant besoin d’un accès immédiat au traitement… Pour un peu, on aurait cru que Mandela se présentait sous les couleurs d’Act Up, l’association de défense des personnes séropositives, le charisme et l’histoire en plus. D’ailleurs, les militants d’Act Up ont profité de ce discours pour réaliser une intrusion, comme ils sont habitués à le faire lors de chaque réunion de ce type. Mais cette fois, ils ont été capables de respect pour leur « hôte ». Qui le leur a bien rendu puisque l’ancien président sud-africain les a applaudis tout en reprenant les slogans figurant sur leurs banderoles. Et Mandela d’enfoncer le clou en ajoutant que le pas le plus important était de rendre les traitements accessibles au Sud, et qu’il n’existe aucune excuse pour le retarder.
À tous ceux qui se préparaient à opposer au discours de Madiba la fameuse théorie « coût/efficacité », selon laquelle il coûte plus cher de soigner les séropositifs du Sud que de les laisser mourir, Jean-Paul Moatti a apporté un démenti cinglant. L’économiste français spécialisé dans les questions de santé a en effet précisé que « l’accès aux médicaments n’est pas seulement un impératif moral, mais aussi un bon choix économique ». Pour preuve, les initiatives brésiliennes. Mis en place depuis 1997, le programme d’accès gratuit aux antirétroviraux (ARV), financé par Brasilia, a coûté, jusqu’à fin 2001, 1,8 milliard de dollars (1,6 milliard d’euros), selon une étude dirigée par Paulo Texeira, directeur du programme national de lutte contre le VIH. Mais il a surtout permis d’économiser 2 milliards, dont 1,1 en hospitalisations évitées. L’autre bénéfice de la prise en charge des malades est l’accès facilité à la prévention. Il ne fait désormais plus aucun doute que si une population sait qu’elle pourra disposer de traitements, elle ira se faire dépister, et que si elle est séronégative, elle fera tout son possible pour préserver cette sérologie. Les résultats ne se sont pas fait attendre. La survie pour un porteur du virus est passée de six mois à cinq ans, et la survenue d’infections opportunistes a décliné d’environ 70 %.
L’exemple du Brésil peut, on le sait, être discuté. Il s’agit d’un pays à revenu intermédiaire, dont la richesse est bien supérieure à celle de la plupart des pays du continent africain. Mais Moatti, dans Economics of Aids, une étude publiée par l’ANRS à l’occasion de la conférence, enfonce le clou : en Afrique aussi, c’est possible. Ainsi, en Côte d’Ivoire, Serge-Paul Eholié, du département des maladies infectieuses de l’hôpital de Treichville, à Abidjan, a étudié les résultats de la politique de prise en charge organisée par la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE). De 1995 à 1999, avant l’introduction des traitements, le sida était la principale cause de décès des employés. Sur les deux années d’observation, la mortalité a chuté de 60 %, les nouveaux cas de sida de 78 %, les hospitalisations liées à l’infection de 81 % et l’absentéisme de 94 %. Et surtout, une économie de 558 000 dollars a été réalisée, pour 217 000 dollars investis.
Toutefois, sans financement, l’accès aux traitements dans les PED ne sera pas possible. En témoigne l’accord récemment signé au Burkina Faso, entre le gouvernement et Cipla, le laboratoire indien de médicaments génériques. La trithérapie y est désormais disponible pour 220 000 F CFA (33,5 euros) par mois. Mais le salaire moyen d’un Burkinabè est de 225 000 F CFA. Sans aide extérieure, les séropositifs ne pourront pas plus acheter de génériques que de spécialités. Il faudra également, afin de viabiliser le traitement, assainir tous les dysfonctionnements annexes. Comme ceux de la transfusion sanguine par exemple. Michel Sidibé, directeur du département Appui aux pays à l’Onusida, revient d’une visite de travail à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). Ce qu’il y a vu l’a « écoeuré ».
Dans un pays où l’on recense 3 millions de séropositifs, où 120 000 nouveaux cas sont découverts chaque année et où seules 900 personnes ont accès aux traitements, Sidibé a été « scandalisé de constater que 80 % du sang utilisé pour les transfusions n’était pas testé, et que 75 % de ces poches étaient destinées aux enfants de moins de 5 ans et 15 % aux femmes enceintes ». Tant que de tels problèmes n’auront pas été résolus par les gouvernements, il sera difficile d’espérer enrayer la propagation de l’épidémie.
En attendant, de nombreux pays ont besoin de financements. Et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose, créé il y a deux ans, souffre d’un manque d’argent. Le troisième appel à projet, prévu pour octobre 2003, ne pourra être financé avec les 1,24 milliard de dollars actuellement disponibles. Dix milliards sont nécessaires à son fonctionnement annuel. Côté américain, 1 milliard de dollars sont destinés au Fonds mondial, pour cinq années d’exercice. Une somme extraite de la promesse de 15 milliards effectuée par Bush lors de son discours sur l’état de l’Union, en janvier 2003, et qui devrait devenir loi si le Congrès américain fait fi de ses réticences. Mais ce montant, selon Mandela, n’est « qu’un point de départ ». Et selon lui, « l’Europe devrait égaler, sinon dépasser la contribution américaine ». Une petite réprimande – pas vraiment dissimulée – à la suite au revirement de l’Union européenne (UE). Dans un premier temps, la France avait annoncé, lors du sommet du G8 d’Évian, le triplement de sa contribution, de 50 millions d’euros à 150 millions. Le président français Jacques Chirac avait alors appelé ses homologues à adhérer à cette politique, afin d’atteindre un total de contributions européennes de 1 milliard d’euros par an. Mais l’Allemagne et les Pays-Bas ont refusé. L’UE s’est donc contentée de conseiller à tous ses membres de permettre au Fonds d’exercer ses prérogatives. « Une hypocrisie » pour Marie-José Mbuzenakamwe, de l’association nationale de soutien aux séropositifs et aux sidéens du Burundi, qui a rappelé que son travail consistait actuellement à décider « de qui vivra et qui mourra parce que l’on n’a que 30 traitements à donner et 120 malades à soigner ». Et de rappeler que, depuis deux ans, tous les malades croient que le Fonds leur permettra d’avoir accès aux traitements.

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