L’Iran véritable

Ancien conseiller du directeur général de l’Unesco, à Paris, le sociologue iranien EhsanNaraghi était à Téhéran il y a moins de deux mois. Ses impressions sur les changements en cours dans son pays prennent tout leur sens à la lumière du mouvement estud

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Contrairement à l’image véhiculée en Europe, l’Iran n’est pas un pays soumis à un régime religieux austère et traditionaliste. De profonds changements y sont à l’oeuvre. Trois catégories de la population confirment ce constat : les femmes, les jeunes et le clergé.
La présence des Iraniennes est d’abord visible dans le secteur de l’éducation. Sur 1,4 million d’inscrits au concours d’entrée à l’université pour l’année 2003-2004, on enregistre 800 000 étudiantes, soit 60 % des candidats, alors que leur proportion était seulement de 30 % il y a vingt-cinq ans. Les femmes sont présentes dans tous les secteurs de l’économie, mais aussi dans les domaines du cinéma, de la littérature et des médias. Seule la politique reste la chasse gardée des hommes : sur 300 députés, on ne compte que 13 femmes. Mais, à elle seule, cette poignée d’élues accomplit un travail remarquable sur le dossier des discriminations dont sont victimes leurs compatriotes du même sexe.

Alors que le nombre d’étudiants était de 170 000 au début de la Révolution, il a dépassé cette année 1,6 million, et les universités ont poussé dans la plupart des villes de province. Ces étudiants sont le fer de lance du mouvement de protestation contre le pouvoir et s’étaient violemment opposés en juillet 1999 à la police du régime. Depuis, ils campent sur la même position critique et hostile. Il faut dire en passant que ces jeunes Iraniens sont les principaux consommateurs de journaux, livres et autres publications. En 2002, 24 000 ouvrages récents étaient présents à l’exposition annuelle du livre, un chiffre record par rapport à d’autres pays musulmans. En outre, le cinéma iranien a constitué un important facteur d’ouverture au monde extérieur. Le fait qu’il figure parmi les plus importants du monde – 75 films sont produits par an – a servi d’« autothérapie collective », comme le dit si bien le sociologue Hormuz Koiey, dans Les Racines du cinéma iranien (Karthala, 2000).
Alors que l’ayatollah Khomeiny espérait imprégner l’université de l’influence des centres religieux, c’est le contraire qui s’est produit. À Qom, où des instituts d’enseignement de langues étrangères ont été créés dans l’intention de promouvoir le message de la République islamique à l’étranger, la préoccupation des jeunes théologiens a été d’abord de parfaire leurs connaissances linguistiques et de découvrir des textes scientifiques publiés en Europe et en Amérique. Sur les 30 000 étudiants en théologie de cette ville, 4 000, au moins, possèdent parfaitement l’anglais. Contrairement au clergé plus traditionnel qui bénéficiait de l’aide matérielle des commerçants du Bazar, ces jeunes théologiens gagnent leur vie en dispensant des cours et ont créé plus de 150 centres culturels dans cette seule ville.

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Naguère convaincus des idées de l’ayatollah Khomeiny, ces religieux « nouvelle génération » sont persuadés que la pratique du régime actuel ne correspond pas aux idéaux de la Révolution. Sous l’impact des sciences humaines occidentales qu’ils ont introduites dans leurs cursus universitaires, ils sont acquis aux idées libérales et démocratiques. J’ai assisté personnellement à un séminaire international à Qom sur les droits de l’homme. Sur 120 participants, 40 étaient étrangers, dont 22 juristes américains. Les théologiens iraniens sont tombés d’accord avec leurs homologues occidentaux pour prôner la suppression de toutes sortes de discriminations et d’injustices. On comprend pourquoi, aujourd’hui, c’est ce clergé, et non pas les étudiants laïcs, qui est une source d’inquiétude pour les traditionalistes au pouvoir.
De fait, la société iranienne est incroyablement dynamique. Pour autant, je ne peux pas parier sur un changement immédiat du régime. Il ne faut pas que les Américains le précipitent. Le risque qui menace cette évolution serait, en effet, une ingérence étrangère. Il faut laisser l’Iran avancer à son rythme.

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