Le monde, une vocation…

Plus d’un résident sur dix travaille pour une organisation internationale. Mais les ressortissants étrangers ne sont pas tous logés à la même enseigne.

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

La question ne peut que tarabuster le visiteur débarquant pour la première fois à Genève : comment cette modeste ville de Suisse romande – quelque 180 000 habitants – est-elle devenue le rendez-vous incontournable du gotha mondial ? La discrète cité de Calvin abrite à elle seule une vingtaine d’institutions internationales, quelque 170 ONG et environ 160 missions étrangères. C’est, après New York, la plus grande concentration d’organismes de coopération. Siège européen de l’Organisation des Nations unies (ONU), Genève héberge notamment la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) ou l’Organisation mondiale du commerce (OMC)… Plus de 33 000 fonctionnaires internationaux font quotidiennement la navette entre leurs différents sièges.
« La Genève internationale est progressivement devenue, depuis 1945, une composante essentielle de tout un canton », reconnaît, à Berne, la capitale suisse, le département fédéral des Affaires étrangères. Il faut remonter loin dans l’histoire du XXe siècle pour trouver la source de cette vocation. En 1919, grâce à l’intervention du président américain Wilson, Genève devient le siège de la Société des nations (SDN), supplantant Bruxelles et La Haye. Les Suisses votent alors de justesse l’adhésion à la nouvelle organisation. Ils refuseront, en revanche, de se joindre à l’ONU, créée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Genève en accueillera tout de même le siège européen dès 1946. Il faudra attendre le 10 septembre 2002 pour voir la Confédération intégrer le giron des Nations unies.
Son bureau de représentation permanente se situe dans le quartier de Varembé, ancien pâturage gagné par les sièges d’organismes internationaux. Immeuble rectiligne, vitrages blindés, caméras de surveillance, sas de sécurité… un vrai coffre-fort. Installé dans un vaste bureau, Jean-Marc Boulgaris, ambassadeur et représentant permanent à Genève de la Suisse auprès des Nations unies et des organisations internationales, nous explique pourquoi son pays a tant tardé : « Cela provient de l’interprétation que la Suisse avait donnée à sa neutralité à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À ses yeux, l’ONU ressemblait à une organisation de vainqueurs. Lorsque les deux Allemagnes y ont fait leur entrée, la Suisse a estimé que le principe d’universalité était atteint. » Moins d’un an après, l’ambassadeur dresse un bilan très positif de l’adhésion de son pays : « Nous avons pu défendre nos intérêts beaucoup mieux, et nous participons activement aux débats sur la réforme de l’ONU. Il s’agit entre autres de modifier la structure du Conseil de sécurité, en l’élargissant et en le rendant plus transparent. » La Suisse s’est dernièrement illustrée en contestant clairement l’intervention militaire anglo-américaine en Irak sans l’aval de la communauté internationale. Et Genève, fidèle à sa réputation de cité de la paix, arbore encore dans ses quartiers populaires des centaines de drapeaux arc-en-ciel marqués « Peace ».
Mais Genève est aussi, de tradition, une ville de négoce. Et la proximité d’organisations internationales a certainement rendu ses habitants particulièrement au fait des problèmes liés à la mondialisation. En juin dernier par exemple, lors du sommet du G8 organisé à Évian (France), la ville a été le théâtre de manifestations altermondialistes. Le bâtiment abritant l’OMC a d’ailleurs plus d’une fois été choisi pour cible. « La sécurité a été renforcée, les sièges onusiens et les organismes apparentés font depuis l’objet d’une étroite surveillance policière », déplore un coopérant suisse. Revers de la médaille, cette « sécurisation » risque d’accentuer encore l’impression de « ghetto pour fonctionnaires ». Or les autorités de la ville ont à coeur d’entretenir une cohabitation harmonieuse. Les ressortissants étrangers (200 nationalités) représentent près de 40 % de la population. « Genève est un formidable laboratoire de la diversité, avec une population qui va du sans-papiers au fonctionnaire du Bureau international du travail », résume Patrice Mugny, conseiller administratif chargé des Affaires culturelles, en poste depuis le 1er juin dernier. « Mais l’intégration, cela ne signifie pas seulement cohabiter, poursuit-il. Il faut admettre des divergences importantes. Comment peut-on organiser ensemble une société si une partie de la population n’a pas le sentiment d’être réellement genevoise ? »
Patrice Mugny, ancien député Vert au Parlement fédéral, est un ardent défenseur du droit de vote municipal pour les résidents étrangers. L’initiative – qui devrait bientôt faire l’objet d’une consultation populaire – permettra sans doute de rehausser le débat sur la citoyenneté. Dans une ville qui connaît « très peu d’actes racistes au sens grave » et veut assurer la scolarisation des enfants d’immigrés en situation irrégulière, l’écologiste revendique la notion de cité-refuge : « On doit obtenir de Genève qu’elle cesse d’expulser les sans-papiers qui n’ont pas commis de délits. » Le magistrat défend également l’égalité des chances devant la formation, quelle que soit l’origine : « L’obtention de bourses d’études est ouverte à toute personne habitant la ville. Sans autre condition. »
Dans la réalité, les travailleurs immigrés et les demandeurs d’asile sont encore les principales victimes d’une administration qui a un gros effort à faire pour garantir à certains résidents étrangers un traitement décent et les sortir de la précarité. Arrivé en 1987 à Genève comme universitaire, invité par la Confédération, le Congolais Tschiala Lay a ainsi dû batailler pendant quinze ans et produire des centaines de justificatifs pour régulariser sa situation sur le sol helvétique et terminer son doctorat. « Chaque année, je risquais de ne pas voir renouvelé mon permis de séjour, ou de me faire expulser. » Il a finalement obtenu la nationalité suisse, le 7 janvier 2003.
Genève est pourtant une ville de tolérance et profite en retour de l’incroyable vitalité de ses milieux associatifs. Amicales italiennes, espagnoles ou portugaises, restaurants érythréens, épiceries indiennes, bars africains, librairies latino-américaines… la multiplicité des lieux de rencontre et de réunion mis en place par les ressortissants étrangers rend impossible leur recensement exhaustif. Un grand nombre d’ONG gardent le contact avec le pays d’origine en appuyant des projets de développement. D’autres permettent aux communautés étrangères établies dans la région de mieux défendre leur culture et leurs valeurs, tout en favorisant leur intégration dans la ville.
La capitale de la Suisse romande est aujourd’hui confrontée à une autre limite : celle de sa capacité d’accueil – en 2002, le nombre d’emplois dans les organisations internationales a augmenté de 17,2 %. Par sa situation géopolitique, « tout la prédisposait à devenir une capitale régionale à vocation transfrontalière », commente Alfred Dufour, professeur à l’université de Genève. Hélas ! le canton du bout du lac éprouve aujourd’hui l’exiguïté de son territoire. Signe des temps, le taux d’appartements vacants est tombé depuis l’été 2002 sous le seuil alarmant des 0,1 %. Et il faut remonter aux années 1980 pour trouver pareille crise immobilière.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires