Élection côté coulisses

À l’exception de leur président, l’ancien chef de l’État malien Alpha Oumar Konaré, les membres de la Commission de l’organisation continentale n’ont été élus qu’après de longues tractations.

Publié le 23 juillet 2003 Lecture : 6 minutes.

A l’issue de son deuxième sommet ordinaire, tenu du 10 au 12 juillet à Maputo, l’Union africaine (UA) s’est dotée de son principal organe exécutif : la Commission (voir encadré). Enfin presque, car le portefeuille des affaires économiques, huitième selon l’ordre établi par l’Acte constitutif de l’organisation continentale, ne devrait être pourvu qu’en février 2004, à Addis-Abeba, lors du quatrième Conseil des ministres des Affaires étrangères. À cause notamment de la complexité du processus électoral adopté par l’UA.
Cet organe est composé d’un président, de son vice-président (tous deux élus par les chefs d’État et de gouvernement) et de huit commissaires, chacun à la tête d’un portefeuille. Ses dix membres représentent les cinq sous-régions du continent. En outre, une parfaite parité entre femmes et hommes est obligatoire. La présidence (le Malien Alpha Oumar Konaré) et la vice-présidence (le Rwandais Patrick Mazimhaka) ayant échu à deux hommes, cinq commissariats sur huit étaient donc destinés à des femmes. La présélection a relevé du casse-tête.
Le 1er sommet de l’UA, du 8 au 10 juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud), avait chargé Amara Essy d’organiser le processus électoral. Selon le système de rotation, le poste de président revenait à l’Afrique de l’Ouest francophone – le Mali et la Côte d’Ivoire décident de tenter leur chance. Celui de vice-président étant nouveau, les candidatures étaient ouvertes aux autres régions. L’Afrique de l’Est et l’Afrique australe sont en lice. Les deux postulants sont retenus sans difficulté. Pour les commissaires, la tâche s’avère plus ardue : une combinaison est nécessaire, qui allie le respect des critères régionaux et de genre tout en privilégiant la compétence. Pour assister Amara Essy et son équipe, un panel de dix chefs de la diplomatie (deux par région) et un comité de consultants indépendants chargés d’évaluer les candidatures ont été constitués. Objectif : arriver à dresser une liste de seize noms. Entre autres critères retenus par les consultants, la longueur des CV, le nombre de diplômes et l’expérience acquise au sein de structures gouvernementales ou d’organisations internationales. Soixante-quatre postulants sont sortis du lot.
Après de multiples péripéties, faites de batailles dans chaque région et de manoeuvres diplomatiques, un Conseil des ministres est convoqué, le 21 mai, à Sun City (Afrique du Sud). Le panel ramène cette liste de soixante-quatre à vingt-trois noms. Des délégations protestent, qui ont vu leurs candidats recalés même s’ils ont obtenu une note supérieure à celle des candidats choisis. La colère est telle qu’elle annonce un sommet de tous les dangers à Maputo. Trois pays mènent la « rébellion » : Éthiopie, Soudan et Tchad, qui transmettent des lettres de protestations à Amara Essy. La contestation ne concerne pas uniquement la sélection finale. Elle tourne également autour de l’ordre des élections. Celle du premier commissaire originaire d’Afrique du Nord (en l’occurrence Saïd Djinnit au portefeuille paix et sécurité) a ainsi entraîné de facto l’élimination de toutes les candidatures masculines (Tunisie, Égypte et Libye) de la compétition. L’Afrique du Nord n’avait d’autre possibilité que de placer « une » commissaire. Inacceptable pour de nombreuses délégations qui veulent que l’ordre du scrutin soit renégocié.
Le sommet de Maputo ne pouvait être que quelque peu chahuté. Le huis clos houleux du Conseil des ministres, tenu le 9 juillet dans la capitale mozambicaine, en a été l’illustration. Pour la première fois, la réunion est présidée par une femme. Clarisse Dlamini Zuma, dame de fer de la diplomatie sud-africaine, achève à Maputo son mandat. Elle tient à ne pas rater sa sortie. Elle a fait du succès de l’élection des commissaires une affaire personnelle. Les contestations de certaines délégations l’agacent, même si elle s’y attendait. Pour contenir la colère de ceux qui ont été éliminés de la course, elle a bénéficié de l’aide de ministres « alliés ». L’Algérien Abdelkader Messahel, le Libyen Abderrahmane Chelgham qui a symboliquement retiré tous ses candidats, afin de libérer quelques places, ou encore le Mauricien Amil Gayan qui, en coulisses, a tenté de calmer les esprits.
L’Éthiopie, d’habitude virulente dans la défense de ses intérêts, a fini par mettre un bémol à ses revendications. Le ministre Mesfin ne peut retirer ses réserves, mais promet de les exprimer avec moins de véhémence. Le Soudanais Mustapha Ismaïl en fait autant. Seul le Tchadien Nagoum Yamassoum reste intransigeant. Dans l’après-midi du 9 juillet, Dlamini Zuma lit son rapport sur le processus électoral des commissaires. Le conseiller juridique de l’UA, le Kényan Ben Kioko, intervient pour expliquer aux ministres les critères imposés par les textes ; l’Algérien Messahel, pour rendre hommage au travail du panel dont il est membre. Mais, comme attendu, le ministre tchadien, le premier, tire à boulets rouges sur la méthodologie. « Je voudrais que l’on m’explique par quel subterfuge mon candidat, Mahamat Habib Doutoum, premier selon votre système de notation, a été éliminé. »
L’ambassadeur soudanais appuie le Tchadien en mettant en doute l’indépendance des consultants qui n’ont pas vérifié la validité des diplômes des candidats présélectionnés. « Votre classification est non fondée », lance-t-il à Dlamini Zuma. Celle-ci s’emporte : « Il est du droit du représentant du Soudan de contester la qualité de notre travail. En revanche, ce qui est moins compréhensible est que ce soit un candidat recalé qui exprime ces réserve. » Le délégué soudanais est dans ses petits souliers. Un ange passe. Pour détendre l’atmosphère, le ministre mauricien intervient pour dire qu’aucun système n’est parfait et qu’il faudrait, à l’avenir, réfléchir à une meilleure méthodologie. « Pour l’heure, l’urgence est de doter l’UA de sa Commission. »
Le Lesotho et le Burundi apportent un soutien sans réserve à Dlamini Zuma, sans laquelle « la Commission ne serait pas sortie de l’intérim. » L’Éthiopie intervient à son tour, pas Mesfin, absent de son siège, mais une ambassadrice au verbe hésitant qui s’en prend au travail des consultants, tout en épargnant celui de Dlamini Zuma. Le président du Conseil exécutif, Leonardo Santos Simao, chef de la diplomatie mozambicaine, met fin au débat en affirmant : « Je comprends que l’on puisse émettre des réserves, mais il est inacceptable que l’on mette en doute la qualité du travail du panel. Le report des élections n’est pas envisageable. Aussi je déclare adopté le rapport de Mme Dlamini Zuma. » Standing ovation pour la Sud-Africaine : elle n’a pas raté sa sortie. Le scrutin a débuté, comme prévu, le 10 juillet, par celui du président de la Commission.
L’ancien chef de l’État malien, Alpha Oumar Konaré s’est retrouvé candidat unique, après le retrait, le 6 juillet, du poulain de la Côte d’Ivoire, Amara Essy. Il est élu dès le premier, avec trente-cinq voix pour, six contre et quatre abstentions (voir J.A.I. n° 2218). L’élection du vice-président sera moins aisée. En course, deux candidats : le Rwandais Patrick Mazimhaka et le Zambien Kasuka Mutukwa. Le conseiller diplomatique de Paul Kagamé est passé in extremis, à l’issue d’un quatrième et ultime tour avant la suspension du scrutin. Il a dû son élection à un fait anodin. À l’issue des deux premiers tours, les candidats étaient au coude à coude : vingt-quatre voix pour le Rwandais contre vingt et un au Zambien. Le dépouillement du troisième tour trouble quelque peu le processus : vingt-cinq pour Mazimhaka, dix-neuf pour Mutukwa et une voix pour… Saïd Djinnit, qui n’est pourtant pas candidat à la vice-présidence, mais au commissariat à la paix et à la sécurité.
Le Premier ministre éthiopien demande une suspension du vote pour un éclairage : Que se passera-t-il si aucun des deux candidats ne rassemble la majorité qualifiée requise : vingt-neuf voix. Le président mozambicain Joaquim Chissano consulte son assesseur Saïd Djinnit. « Les textes sont clairs, si au prochain tour aucun des deux candidats ne réunit les vingt-neuf suffrages nécessaires, les élections sont suspendues jusqu’au prochain sommet ordinaire. » La peur de l’inconnu plane. Patrick Mazimhaka est élu au tour suivant avec trente voix.
Ainsi va l’Afrique.

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