La dépêche de Niamey

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Seize mots. Seize mots de trop prononcés par le chef de l’Amérique impériale dans son discours sur l’état de l’Union, le 28 janvier dernier. Et un scandale, désormais incontrôlable, qui menace d’emporter avec lui le directeur de la CIA, transformé en bouc émissaire et, pourquoi pas, le vice-président des États-Unis. Tenet, Cheney, d’autres peut-être : les mensonges d’État, ces armes d’intoxication massive, sont toujours dévastateurs quand ils sont découverts à temps. Ce qui est le cas de celui-là.

Certes, de l’explosion (accidentelle) du cuirassé Maine en 1898, qui justifia l’annexion de Cuba, aux manipulations médiatiques d’anthologie de la première guerre du Golfe, en passant par l’attaque (imaginaire) de deux destroyers dans le golfe du Tonkin en 1964, prétextes aux bombardements sur le Nord-Vietnam, l’histoire de la superpuissance américaine est riche en manipulations de l’opinion publique. Mais jamais la « psy war » – qu’il ne faut pas confondre avec la très classique propagande de guerre – n’avait atteint ce degré. Depuis le 12 septembre 2001, elle a installé au Pentagone un bureau permanent et émet en continu, au rythme des chaînes d’information.
La poussière du World Trade Center n’était pas encore retombée que les faucons – les « néoconservateurs », dit-on à Washington – avaient décidé qu’après l’Afghanistan viendrait le tour de l’Irak. Un vieux compte de dix ans à régler avec Saddam Hussein, une occasion à ne pas manquer. Le problème, bien sûr, était que l’Irak exsangue n’entretenait aucune relation avec el-Qaïda, ne possédait pas (ou plus) d’armes de destruction massive et ne constituait pas une menace pour les États-Unis ou leurs intérêts. D’où la nécessité de fabriquer un casus belli, un « smoking gun », en mettant le renseignement, l’intelligence au sens anglo-saxon du terme, au service non pas de la découverte de la vérité, mais de la fabrication du mensonge. Une perversion extrêmement dangereuse, fort heureusement à double tranchant dans ce qui est tout de même une démocratie, certes grisée de puissance, mais à maints égards exemplaire.
L’« Uraniumgate » a ceci d’intéressant qu’il démontre que les machines d’intox les plus sophistiquées peuvent s’effondrer, victimes de leur orgueil et de leur suffisance. En décidant de désigner l’Afrique, et plus particulièrement le Niger – un pays dont beaucoup d’Américains ont dû apprendre l’existence à l’occasion de ce scandale -, comme la source du pseudo-approvisionnement de l’Irak en uranium, les « faiseurs de guerre » n’ont pas pensé une seconde à l’effet boomerang de leurs accusations. Nul besoin, puisqu’il s’agissait de ce continent sans valeur stratégique, où tous les trafics sont plausibles, de vérifier, de croiser, de soupeser les informations. Ah bon, ce n’est pas le Niger ? Alors c’est peut-être le Gabon, ou la Namibie, susurrait-on il y a peu encore dans les couloirs du Pentagone. Ah bon, nos documents décrivant une transaction secrète entre les autorités nigériennes et irakiennes étaient des faux grossiers ? Et alors ! C’est la faute aux services italiens, qui les auraient obtenus auprès d’un diplomate véreux de l’ambassade du Niger à Rome, aux Britanniques, qui les auraient relayés, et à la CIA, qui n’aurait rien vérifié. Sidérante ligne de défense, dont on imagine qu’elle ne tiendra guère sous les coups de boutoir des démocrates et d’une partie des médias, trop heureux d’une telle pitance. Inutile de préciser, par ailleurs, qu’aucune excuse ne sera formulée à l’égard du gouvernement de Niamey, lequel doit s’estimer heureux de ne pas être inclus sur la liste des voyous de la planète.

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Aux historiens, cette affaire en rappelle une autre. Il y a cent trente-trois ans, en juillet 1870, le chancelier allemand Bismarck déforma sciemment et fit publier dans la presse un compte-rendu diplomatique destiné à provoquer Napoléon III. La France déclara la guerre, s’y précipita et la perdit. Cette fois, ce sont les Américains qui, sur la base de cette terrible création des conseillers en communication de George W. Bush qu’est le terme d’« armes de destruction massive », ont envahi l’Irak. Et s’y enlisent. Il est vrai que, de la dépêche d’Ems à celle de Niamey, il y a une différence notable : Rumsfeld n’est décidément qu’une caricature de Bismarck…

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