Israël à l’assaut de l’Irak

Les hommes d’affaires de l’État hébreu rêvent de prendre pied dans un pays dont les ressources et les besoins sont considérables. Mais il n’est pas sûr du tout qu’ils y soient les bienvenus…

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 7 minutes.

Avant même que la guerre en Irak ne soit terminée, beaucoup d’Israéliens se sont mis à rêver de conquérir le pays de Saddam. À les entendre, l’invasion de la Mésopotamie est en marche. Des agences de voyages ont commencé à former des guides israéliens. Benyamin Netanyahou, ministre de l’Économie, a annoncé à Londres que l’oléoduc entre Kirkourk et Haïfa devrait être rouvert sous peu. L’ancien Premier ministre s’apprête, par ailleurs, à faire modifier la loi israélienne pour permettre aux producteurs de son pays d’exporter directement en Irak, toujours considéré comme pays ennemi. John Taylor, nouveau patron américain de l’Irak, a annoncé aux investisseurs israéliens que la route de Bagdad leur était ouverte. Pour l’économie israélienne, actuellement en pleine crise, le marché irakien pourrait constituer, il est vrai, une bouffée d’oxygène.
L’Intifadha d’el-Aqsa, lancée fin septembre 2000, a aggravé la récession économique dans l’État hébreu. Le mouvement financier et humain vers Israël s’est inversé au cours des deux dernières années, et l’on a assisté à des fuites de capitaux et de populations vers l’étranger. Conséquence : avec des taux de croissance du PIB négatifs, estimés, respectivement, à – 0,9 % et – 1,5 %, les années 2001 et 2002 ont été parmi les plus médiocres que l’économie israélienne ait connues depuis sa fondation en 1948. Autre conséquence : le niveau de vie des Israéliens a baissé de 6 %. De plus en plus de foyers ont été obligés de casser leur tirelire, provoquant une baisse considérable de l’épargne nationale et de l’investissement intérieur. À cette baisse directe du Produit national brut s’est ajoutée une chute des investissements directs étrangers, des exportations de biens et services, et des recettes du tourisme. Benyamin Netanyahou, qui n’a rien d’une colombe, a fait récemment cette déclaration étonnante : « Le véritable plan de sauvetage de l’économie israélienne, c’est la feuille de route. » Traduction : sans une solution, même imparfaite, du conflit israélo-palestinien, aucune reprise n’est possible.
Pour relancer leur économie, les Israéliens ont donc besoin du retour de la paix dans les Territoires palestiniens, mais aussi de la stabilité dans toute la région. D’autant qu’ils envisagent sérieusement de tirer profit des retombées de l’occupation américaine de l’Irak, un pays dont les richesses (en pétrole) et les besoins (en presque tout) sont incommensurables. Ils se demandent seulement quels marchés les Américains sont disposés à leur concéder et dans quelle mesure les Irakiens sont prêts à accepter une normalisation économique avec l’État hébreu, même par Américains interposés.
Dès la fin la guerre en Irak, des responsables du ministère israélien de l’Infrastructure ont réfléchi à la possibilité de rénover le pipeline entre l’Irak et les raffineries du port de Haïfa. « Ce projet est pour le long terme », a cependant estimé l’un d’eux. Avant d’ajouter : « À court ou à moyen terme, je ne serais pas surpris de voir Israël importer du pétrole irakien, soit par l’intermédiaire d’un pays tiers, soit par une compagnie étrangère. » Citant des sources autorisées à la présidence du Conseil à Jérusalem, des journaux israéliens ont révélé, vers la mi-mai, deux semaines après la fin officielle de la guerre d’Irak, que le sujet de la vente de pétrole irakien à Israël a été soulevé dernièrement « d’une manière informelle » entre responsables israéliens et américains. Amir Makov, président de l’Institut israélien du pétrole et de l’énergie, a déclaré, pour sa part, que soulever le sujet était encore prématuré, tout en reconnaissant que cette perspective – qui permettrait à Israël de diversifier ses sources d’approvisionnement – avait bel et bien été soulevée.
Le quotidien Yedioth Aharonoth a révélé, le 4 juin, que l’avocat Gilaad Sher, ancien conseiller du Premier ministre Ehoud Barak, qui a pris part aux négociations avec les Palestiniens, oeuvre depuis quelques semaines pour l’implication de firmes israéliennes dans des projets liés à la reconstruction de l’Irak. Le quotidien a parlé d’une dizaine d’entreprises possédant un savoir-faire et une expérience reconnus internationalement dans les domaines de la santé, du matériel médical, de la pharmacologie, de l’ingénierie et du BTP. Ces sociétés devraient cependant opérer en Irak de manière indirecte, c’est-à-dire en collaboration avec les autorités américaines, en coordination avec quelques pays de l’Union européenne ou, pour certains projets, avec la Banque mondiale. Dans tous les cas, l’identité israélienne des sociétés serait gardée secrète. La situation sécuritaire en Irak étant encore très délicate, la présence d’acteurs économiques israéliens pourrait provoquer une forte hostilité de la part de la population.
Avigdor Itshaki, directeur de cabinet d’Ariel Sharon, qui a participé au World Economic Forum, le Davos du Moyen-Orient, organisé les 21 et 22 juin à Shouneh, sur la rive jordanienne de la mer Morte, a confirmé à plusieurs journalistes israéliens et occidentaux que son pays envisage sérieusement de participer à la reconstruction de l’Irak. « Israël ne pourra cependant s’impliquer dans ce pays que dans le cadre d’une coopération avec les États Unis ainsi qu’avec les pays du Golfe, la Jordanie et les Palestiniens », a-t-il précisé. Traduction : les partenaires arabes, qui désirent participer à la reconstruction de l’Irak, mais qui n’en ont pas les compétences, pourraient le faire en acceptant une collaboration plus ou moins discrète avec Israël. L’État hébreu fournirait le savoir-faire et la technologie tandis que les pays arabes assumeraient la commercialisation et les contacts officiels avec les Irakiens. Selon Itshaki, des contacts ont déjà eu lieu entre des opérateurs israéliens et arabes. Ils concernent notamment la haute technologie et l’agriculture.
Par ailleurs, l’Institut israélien des exportations a estimé à 3 millions de dollars d’ici à la fin 2003 le potentiel d’exportation des entreprises israéliennes vers l’Irak. Pour un début, ce n’est pas si mal. Selon Shraga Brosh, le président de l’Institut, ce courant commercial pourra se développer dans quatre secteurs : l’agroalimentaire, les techniques de gestion de l’eau, l’industrie pharmaceutique et le textile militaire. « Pour un service ou un produit comparable, Israël sera toujours plus attractif », a-t-il expliqué, en insistant sur la proximité géographique d’Israël et de l’Irak, qui donne un avantage décisif, selon lui, aux entreprises israéliennes face à leurs concurrentes européennes ou américaines.
Selon d’autres informations publiées, fin juin, par la presse israélienne, l’entreprise Magal, un des leaders du contrôle d’accès aux zones sensibles, de la protection des frontières, des bases militaires et des bâtiments publics, et qui commercialise ses équipements dans une soixantaine de pays, pourrait vendre du matériel à l’Irak…
Citant des sources proches des renseignements égyptiens, le quotidien émirati Al-Bayane a fait part, le 27 juin, d’informations en provenance de l’Irak selon lesquelles « une importante délégation israélienne s’est rendue, courant juin, secrètement, à Erbil, dans le Kurdistan irakien, pour examiner avec Massoud Barzani, chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), la possibilité d’acheter de vastes terrains dans la région en vue d’y installer des Juifs kurdes qui avaient fui le pays dans les années 1950 et au lendemain de la guerre de libération du Koweït pour s’installer en Israël ». Ils seraient environ 150 000. Le quotidien relève, par ailleurs, que « toutes les manoeuvres israéliennes dans le nord de l’Irak se font en coordination avec les forces d’occupation américaines ». Et de livrer cette conclusion, qui peut paraître saugrenue : « Tout semble indiquer que l’État hébreu cherche à construire des colonies juives dans le nord de l’Irak dans le but de contrôler le pétrole dans la zone… »
Alors que les responsables israéliens échafaudaient des plans pour avoir un « pied-à-terre » en Irak, prendre leur part du butin de guerre ou seulement ébaucher une normalisation de leurs relations avec ce pays, l’ayatollah chiite Kazem al-Haïri a publié une fatwa interdisant la vente de terrains aux Juifs et ordonnant de tuer tout acquéreur juif de biens appartenant à des Irakiens. Selon le quotidien arabe paraissant à Londres, Al-Qods al-Arabi, qui a rapporté cette information, les sources religieuses chiites à Qom, en Iran, ont confirmé, elles aussi, l’exactitude de la fatwa, qui a obtenu, également, l’appui des dignitaires sunnites de Mossoul.
Dans un entretien accordé au quotidien palestinien Al-Qods, le 26 juin, Adnan Pachachi, l’un des hommes les plus en vue de l’ère post-Saddam, a affirmé, de son côté, que « l’Irak n’établira aucune relation diplomatique avec Israël tant qu’un État palestinien ne sera pas instauré, avec Jérusalem comme capitale, tant que les colonies ne seront pas démolies et que les réfugiés palestiniens n’auront pas retrouvé leur terre… » L’ancien ministre des Affaires étrangères irakien a souligné, par ailleurs, que « l’Irak ne normalisera pas ses relations avec Israël tant que des territoires arabes seront occupés ». Il pensait sans doute aussi au Golan syrien et aux fermes de Shebaa au Sud-Liban.
L’analyste israélien Jack Houri se montre tout aussi sceptique quant aux perspectives d’une normalisation entre Tel-Aviv et Bagdad. Dans une chronique publiée par Maariv le 26 juin, il rappelle à ses compatriotes que « les fidèles de Saddam continuent à lutter contre l’armée américaine et à lui infliger des pertes » et que « les Irakiens pansent leurs blessures, après trente-quatre années de régime dictatorial ». « Ces Irakiens sont désorientés par les changements intervenus, écrit-il. Ils ne savent pas encore à quoi ressemblera le prochain pouvoir et sont encore incapables de profiter de cette liberté nouvellement acquise. Et c’est donc dans cette pagaille que le riche seigneur tel-avivien souhaite débarquer afin de se porter acquéreur de pétrole, déguster des poissons sur l’Euphrate et tenter de récupérer les biens laissés par ses ancêtres il y a plus de cinquante ans. C’est effrayant ! […] Les Irakiens sont dans leur immense majorité propalestiniens, et les touristes israéliens sont d’autant moins bienvenus à Bagdad que leur vie pourrait être en danger dans ce pays sans loi. »

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