Fidèle à son image

Ville cosmopolite, siège d’organisations internationales et temple du secret bancaire, la capitale de la Suisse romande profite de sa bonne réputation tout en cultivant soigneusement la discrétion.

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

«Une cité de la paix, un havre de sécurité ». Quand Genève se présente, c’est toujours pour défendre l’image d’une ville empreinte de sérénité. À première vue, elle ne serait rien d’autre qu’un agréable lieu de villégiature. On la décrit aussi comme une sorte de village cosmopolite comptant 40 % d’étrangers. Ceux qui l’égratignent – souvent par amour – préfèrent la décrire comme la « ville des paradoxes ».
Depuis longtemps centre principal des agences onusiennes, Genève se fait néanmoins toujours discrète sur la scène politique mondiale. Haut lieu des conférences de réconciliation, il lui tient à coeur de respecter le principe de neutralité suisse et elle reste bien à l’écart des turbulences qui ravagent le monde. Capitale mondiale de la gestion de fortune et du secret bancaire, elle semble à chaque fois étonnée de retrouver dans ses coffres l’argent de dictateurs africains, au risque de défrayer la chronique. Carrefour de l’Europe occidentale, elle fait partie d’un pays isolé qui, même s’il a paraphé un certain nombre d’accords bilatéraux, n’est toujours pas membre de l’Union européenne.
Les arguments qui font de Genève une « ville à part » ne manquent pas. Hommes d’affaires et diplomates apprécient d’abord sa facilité d’accès : elle n’est qu’à une heure d’avion de Paris ou Milan, à moins de deux heures de Rome, Madrid ou Londres. Volontiers tournée vers la sphère anglo-saxonne, elle est quotidiennement reliée à New York par des vols directs. Plus d’une centaine de multinationales, principalement américaines, ont choisi d’y établir leur siège, en faisant une véritable tête de pont pour « servir la défense de leurs intérêts en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient », précise Daniel Loeffler, conseiller aux entreprises à l’Office de la promotion économique de Genève. En outre, la capitale de la Suisse romande est sans conteste l’un des plus importants centres de congrès et d’expositions de la planète. Plus de 2 000 conférences et réunions s’y déroulent annuellement au sein des organisations internationales, attirant au total quelque 100 000 délégués ou experts. Et chaque année, « environ 3 000 chefs d’État ou de gouvernement, ministres et autres personnalités officielles passent à Genève », vante un porte-parole de l’administration fédérale.
Si les raisons d’un tel succès échappent à nombre de Genevois, les autorités locales ne manquent pas de présenter aux investisseurs étrangers les atouts de leur ville-canton, singulière entité repliée sur un minuscule territoire de 282 km2. « Depuis longtemps, tout a été mis en oeuvre pour que les entreprises puissent disposer de collaborateurs multilingues et hautement qualifiés. Ces aptitudes professionnelles ne restent pas sans influence sur le niveau des salaires, relativement élevé. Mais tous les groupes multinationaux établis à Genève confirment que la qualité du travail, le sens des responsabilités, un faible absentéisme, l’absence de grèves et une forte productivité compensent largement ce handicap initial. » Dans la course à la mondialisation, la « république du Bout du lac » a remporté une autre bataille : « Le maintien à Genève du siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a représenté un moment clé de l’avenir de la ville, analyse Jean-Pierre Gonthard, directeur adjoint de l’Institut universitaire d’études du développement (IUED). Son départ aurait eu des conséquences très graves. Parce que les missions diplomatiques auraient suivi le mouvement, mais aussi les organisations privées internationales qui regardent de près les régulations du commerce mondial. » Dernier exemple en date : l’organisation humanitaire internationale Oxfam a ouvert des bureaux à Genève afin de se rapprocher de l’OMC.
Pour renforcer son rôle de plate-forme européenne et de siège des organisations internationales, la place peut compter sur un soutien de principe des autorités fédérales. « La promotion de la Genève internationale est une des cinq priorités de la politique suisse », souligne Jean-Pierre Gonthard. Le territoire genevois profite par conséquent d’un régime d’exception par rapport aux vingt-cinq autres cantons qui forment la Confédération helvétique. « À Berne, la capitale, on se rend compte que la réputation mondiale de Genève – méritée ou non – représente un atout considérable. La ville accueille bien des réunions de très haut niveau. Ici, on peut se rencontrer discrètement. Tous les problèmes techniques et les questions de sécurité sont immédiatement réglés par les autorités. Ce sont des prestations qui se paient cher, bien entendu. » Un visiteur de marque s’est ainsi attardé à Genève pendant une semaine, après le sommet du G8 à Évian, sans même que la presse internationale n’en parle : Luiz Iñacio Lula da Silva, président du Brésil. Pour Jean-Pierre Gonthard, sa venue ne doit rien au hasard : « Il a peut-être profité de ce séjour pour se reposer, ou pour rencontrer des personnalités qu’il ne pouvait voir ni au G8 ni à Brasilia… »
Salons internationaux, clubs diplomatiques ou discrets réseaux d’affaires, les occasions d’approcher les hommes de pouvoir n’y manquent pas. Il arrive même couramment que Pascal Couchepin, le président de la Confédération, serre pour la première fois à Genève la main d’un chef d’État invité en Suisse. Ce fut par exemple le cas avec le président malgache Marc Ravalomanana, en janvier 2003.
C’est encore depuis Genève qu’est organisé le très contesté Forum économique mondial, réunissant chaque année à Davos les « décideurs de la planète ». Si, dans les couloirs du Palais fédéral, les députés ont coutume de dire que les décisions importantes concernant l’économie suisse se prennent d’abord à Zürich, pôle industriel et financier, avant d’être entérinées à Berne, diplomates et businessmen savent qu’ils ont plus de chances de rencontrer leurs homologues étrangers à Genève que dans la capitale du pays, moins bien desservie et où domine la langue allemande, alors que le français et l’anglais, plus courants pour les échanges, sont bien ancrés à Genève.
Pour bien des spécialistes et observateurs de la vie locale, les nouveaux défis qui attendent la ville restent cependant nombreux. Genève doit faire preuve de toujours plus d’ouverture envers les fonctionnaires internationaux, les diplomates et les grandes organisations humanitaires, sans pour autant favoriser l’émergence d’une société à deux vitesses. Ni oublier que sa vocation de cité-refuge prône traditionnellement l’ouverture à tous les persécutés. Depuis le XVIe siècle, elle doit à ses immigrés de tous horizons une bonne partie de son rayonnement européen et de sa prospérité. « Terre d’asile, Genève a su accueillir, à travers des siècles des vagues successives de réfugiés, qui ont contribué à son développement – imprimerie, horlogerie ou industrie de la soie, notamment », rappelle un historique de la municipalité. En clair, Genève doit veiller à ce que sa vocation internationale ne se limite pas à faire de « l’hôtellerie de diplomatie ». Elle doit aussi donner l’exemple et mettre en oeuvre, plus que tout autre, sur son propre territoire et avec sa population cosmopolite, les principes de paix, de droits humains et d’entraide mondiale édictés dans les salons feutrés des Nations unies. Sans discrimination aucune.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires