Exorcisme à Essaouira

Le VI e Festival des musiques du monde s’est tenu du 26 au 29 juin. Une manifestation contre les démons de l’intolérance.

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 2 minutes.

Avouons-le d’emblée, Essaouira est une ville magique dont la fréquentation rend euphorique sans qu’il soit besoin de fumer la moindre substance illicite. On succombe fatalement à son charme, que l’on s’y rende pour la première fois ou qu’on soit un fidèle mélomane en pèlerinage annuel. Entre le 26 et le 29 juin, l’ancienne Mogador a accueilli la sixième édition du Festival gnaoua des musiques du monde, un événement qui a largement contribué à la notoriété de cette cité balayée par les alizés et à la réhabilitation d’un genre musical jusqu’alors négligé.
Bien sûr, l’attrait que suscite Essaouira ne plaît pas à tous. À commencer par certains de ses habitants, qui se plaignent de la flambée de l’immobilier qui a chassé les familles les plus modestes hors des remparts de la médina vers de nouveaux quartiers périphériques. Et, bien entendu, l’ambiance de fête, la mixité et le vent de liberté qui souffle sur ce petit port pendant les jours et les nuits de cette grand-messe ne sont pas du goût des barbus et autres extrémistes chagrins. Ils ne supportent pas la vue de la jeunesse vibrant aux rythmes gnaouas, et cela fait des années qu’ils crient haut et fort leur répulsion pour cette manifestation haute en couleur où se côtoient mères de famille en haik (habit traditionnel souiri), jeunes filles voilées et libérées (à les voir en transe), loubards dragueurs de Marrakech, bimbos casablancaises exhibant leur nombril, jet-set affublée d’un badge VIP : un vrai concentré du Maroc tel qu’il est.
Essaouira figurait parmi les villes cibles du réseau terroriste qui a frappé le 16 mai à Casablanca. On comprend donc aisément la « peur » d’A3, l’équipe 100 % féminine qui organise cette manifestation. Peur que le pire advienne dans ce lieu idyllique, peur de voir l’événement boudé, peur d’un dispositif de sécurité paranoïaque qui plomberait l’ambiance. Mais aucun imprévu n’est venu gâcher ce festival, et les seules surprises ont été les heureuses révélations. Comme celle du groupe casablancais Hoba Hoba Spirit, mené avec brio par Réda Allali et dont les morceaux engagés et engageants ont ravi la foule. Pas de faux-bond du public puisqu’on estime à 350 000 le nombre des festivaliers, gotha compris, décidés à narguer les obscurantistes et à dormir, pour les plus démunis, à la belle étoile sur la plage éclairée par des spots géants. Excepté le premier jour, présence du prince Moulay Rachid oblige, le service de sécurité n’a pas fait preuve d’excès de zèle.
Que l’impensable se produise à Essaouira est impossible : cette cité est habitée par des esprits gnaouas qui la protègent. D’autant plus qu’ils sont convoqués par les plus grands maalems (Mahmoud Guinea, Abdeslam Alikane, Omar Hayat, etc.).
Courir tous les concerts programmés (gratuits pour la plupart) sur les huit scènes était impossible, sauf à se démultiplier. Outre les incantations des Tyour Gnaoua, on a encore la tête qui résonne des chants des Bnet Houariyat, groupe de femmes apôtres de l’émancipation. Et l’on se souvient de la joyeuse pagaille semée par Amazigh Kateb lors du concert de clôture. Au grand dam des autorités, mais pour le plus grand bonheur d’un public proche de l’hystérie, le chanteur frondeur des Gnawa Diffusion a invité la foule à franchir l’espace interdit par les responsables de la sécurité. Le 16 mai n’était plus qu’un lointain souvenir.

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