« Comment j’ai découvert la manipulation américaine »

Publié le 23 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Le gouvernement américain a-t-il manipulé les informations concernant les programmes d’armement de Saddam Hussein afin de justifier une invasion de l’Irak ? Mon expérience des mois précédant le déclenchement de la guerre me porte à répondre par l’affirmative. […]
Ce qui, aujourd’hui, m’amène à prendre la plume, c’est une mission que j’ai effectuée, l’an dernier, au Niger.
Tout a commencé en février 2002, lorsque des fonctionnaires du service du vice-président Dick Cheney m’ont fait part de leurs préoccupations concernant un rapport secret impliquant ce pays sahélien. La raison de leur inquiétude : un document que je n’ai jamais vu évoquant un possible trafic d’oxyde d’uranium vers l’Irak. On me proposa de mener l’enquête sur place. Après avoir obtenu l’accord du département d’État, j’acceptai de faire le voyage à Niamey. Ma mission, bien qu’effectuée en toute discrétion, n’en était pas pour autant secrète. La CIA prenait en charge l’ensemble de mes dépenses, mais j’agissais bien pour le compte du gouvernement des États-Unis.
Fin février, j’atterrissai dans la capitale nigérienne. La ville ne m’était pas étrangère : j’y avais été diplomate au milieu des années 1970 et j’y étais retourné, en tant que fonctionnaire du Conseil national de sécurité, à la fin des années 1990.
Le lendemain matin de mon arrivée, je rencontrai l’ambassadrice américaine Barbro Owens- Kirkpatrick. Comme je pouvais m’y attendre, cette dernière avait déjà eu vent des allégations concernant ces mystérieuses ventes d’uranium à l’Irak et en avait déjà avisé Washington. Elle se montra très coopérative. Les huit jours suivants, je rencontrai des membres des gouvernements nigériens précédent et actuel.
Il me fallut peu de temps pour comprendre qu’un commerce illégal d’uranium ne pouvait raisonnablement pas avoir eu lieu. La raison en était simple : il n’existe que deux mines d’uranium au Niger, la Somaïr et la Cominak, exploitées par des sociétés étrangères française, espagnole, japonaise, allemande et nigériane. Le gouvernement nigérien n’aurait pu « récupérer» une partie de cet uranium sans en informer l’un des consortiums exploitants. Or ceux-ci sont strictement surveillés par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Aucune vente n’aurait pu se faire sans l’accord du ministre nigérien des Mines, du Premier ministre et très certainement du président. On le comprend : avec un tel contrôle, il aurait été impossible de vendre de l’uranium en secret à l’Irak.
Début mars, je retournai à Washington et fis un compte-rendu détaillé de mon voyage à la CIA, puis au bureau des affaires africaines du département d’État. Il existe au moins quatre documents confirmant ma mission : deux rapports de l’ambassade américaine à Niamey, un document de la CIA résumant mes conclusions ainsi qu’un compte-rendu (probablement oral) de la CIA à l’attention du bureau du vice-président.
L’ « affaire » du Niger tomba quelque peu dans l’oubli jusqu’à ce jour de septembre 2002 où le gouvernement britannique publia un dossier réquisitoire accusant l’Irak de posséder des armes non conventionnelles et, ainsi, de représenter une menace pour la sécurité mondiale. Pour appuyer sa démonstration, le rapport indiquait que Bagdad avait tenté d’acheter de l’uranium auprès d’un pays africain. En janvier 2003, le président Bush reprit ces accusations à son compte. Cette position me troubla et je fis part de mes doutes à un ami du département d’État, lui rappelant que les conclusions de mon voyage au Niger contredisaient ces déclarations. Il me répondit que le président Bush se référait peut-être à un des trois autres pays africains producteur d’uranium : le Gabon, l’Afrique du Sud ou la Namibie. J’acceptai son explication ignorant à cette époque que le département d’État avait déjà publié un document accusant nommément le Niger.
Aujourd’hui, je me demande si mon rapport de mission n’a tout simplement pas été écarté parce qu’il n’allait pas dans le sens d’une décision politique celle d’attaquer Bagdad qui, visiblement, avait déjà été prise. Si tel est le cas, il devient légitime de douter du bien-fondé de l’intervention militaire américaine contre l’Irak.

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