C’est loin d’être joué

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

A lire la presse, à écouter les radios ou à regarder les télévisions, on a l’impression que les Américains sont déjà enlisés en Irak, qu’ils doivent y faire face à une guérilla organisée et ne parviennent pas à remplir le vide créé par la chute de Saddam Hussein, à sortir le pays du chaos.
Les Américains (et leur allié britannique) ont plus de 150 000 hommes en Irak, la plupart militaires, et dépensent dans cette folle entreprise – chiffre astronomique ! – 1 milliard de dollars par semaine.
Ils cherchent désespérément, et jusqu’ici en vain, parmi leurs anciens ou nouveaux amis, comme l’Inde, des pays qui pourraient y envoyer des troupes pour remplacer une partie des leurs.
À l’intérieur des États-Unis et de la Grande-Bretagne, l’opinion commence à grogner : Dick Cheney, vice- président, et George Tenet, directeur de la CIA, sont sur la sellette ainsi que, à Londres, Jack Straw, le ministre des Affaires étrangères, et Tony Blair lui-même.
Tout cela est bien vrai. Mais la situation de libérateurs-occupants n’est pas – ou pas encore – aussi dégradée qu’on peut en avoir l’impression.

Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les arguments des opposants à la politique de Bush et Blair commencent certes à faire leur chemin dans l’opinion, mais ces opposants sont faibles et divisés.
En Irak même, le nombre des soldats américains et anglais tués par « la résistance » est très faible, de l’ordre de quarante en quatre-vingts jours d’après-guerre, chiffre inférieur à celui des militaires américains tués dans des accidents en Irak.
Les « résistants » ne se recrutent, pour le moment, que parmi les débris du régime déchu et les islamistes, plus largement chez les sunnites, et n’opèrent que dans Bagdad et ses villes satellites.
Ils n’ont pas été capables de faire du 17 juillet, jour anniversaire de la prise du pouvoir par le Baas en 1968, une journée différente des autres.

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On dit trop vite que les Américains ne connaissent rien au pays. Même s’ils donnent, en effet, l’image d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, ils ont su, d’emblée, se concilier
– les Kurdes (20 % de la population), qu’ils contrôlaient déjà avant la guerre ;
– et la majorité chiite du pays, marginalisée et opprimée par Saddam.
Or les chiites ont pour dirigeants des politiques consommés. Leur mot d’ordre : ne pas collaborer avec les Américains, mais ne pas engager la lutte contre eux ; leur stratégie : laisser d’autres se mettre en avant, attendre que les Anglo-Saxons, maîtres du pays, réalisent qu’ils n’ont d’autre choix que d’installer les chiites au pouvoir.
Les États-Unis ont reçu le message : le Conseil de gouvernement qu’ils ont installé est… à majorité chiite.
Ce Conseil ne pourra pas fonctionner de manière efficace, parce que, résultant de multiples compromis, il est une vraie mosaïque. Mais c’est un creuset, un laboratoire et un vivier : il exclut le Baas et tous ceux qui ont exercé le pouvoir sous Saddam, mais tout l’Irak politique de l’ère post-Saddam y est représenté par ses plus hauts dirigeants.

La guerre d’Irak s’est officiellement achevée il y a moins de trois mois. C’est beaucoup, parce que les Américains apparaissent déjà aux yeux du monde et à leurs propres yeux davantage comme des occupants que comme des libérateurs. Ils donnent en outre l’impression de ne pas bien savoir ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter, de regretter déjà de se trouver, seuls, embarqués dans une aventure aussi complexe et coûteuse.
C’est peu, parce que ces mêmes Américains ont l’argent, la puissance, la ténacité, des moyens et des amis qu’ils peuvent mobiliser. Le pétrole et pas de vrai adversaire.
Conclusion : la partie n’est pas jouée, il faudra attendre encore six mois pour savoir si ceux qui ont réussi à déclencher cette guerre sont parvenus à transformer leur victoire militaire en succès géostratégique.
Lord Douglas Hurd, ancien ministre britannique des Affaires étrangères (1989-1995), pose les bonnes questions lorsqu’il s’interroge : « Le Pentagone s’exprime comme si le temps jouait en notre faveur. Ce n’est peut-être pas le cas. Les attaques quotidiennes contre les forces d’occupation signent-elles la fin de Saddam Hussein, surtout si on le retrouve bientôt mort ou s’il est capturé ? Ou est-ce, au contraire, le début d’une Intifada en Irak contre l’occupation étrangère ? »
La réponse à ces questions devrait commencer à poindre au début de 2004.

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