Bourguiba proclame « sa » République

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

La scène se déroule le 25 juillet 1957, au palais du Bardo, dans ce qui fut jadis la salle du Trône. Les travées de l’Assemblée constituante sont pleines. Habib Bourguiba, père de l’indépendance et homme fort du pays, prend la parole à 15 h 30. Devant un auditoire acquis à sa cause, il instruit le procès de la dynastie régnante, dénonce ses « bassesses » et ses « trahisons ». Le réquisitoire dure deux heures. Il s’achève par ces phrases : « Le peuple tunisien a atteint un degré de maturité suffisant pour assumer la gestion de ses propres affaires. Je sais toute l’affection qu’il me porte. Certains ont pensé que je pourrais prendre en charge ses destinées. Mais j’ai un tel respect pour le peuple tunisien que je ne lui souhaite pas de maître et que le seul choix que je puisse lui indiquer est le choix de la République. » Le trône de Sidi Lamine, le dernier bey de Tunis, vacille. Le temps de faire voter les députés, et il est à terre : la République est proclamée, et Bourguiba « accepte d’en devenir le président ».

Invité, le 10 avril 1956, à former le premier gouvernement de la Tunisie indépendante, Habib Bourguiba ne voulait rendre de comptes à personne, sauf, peut-être, à l’Histoire. La forme monarchique de l’État avait été maintenue, mais cette concession était de pure forme. Le beylicat était une survivance du passé. Faible, commandée par des monarques souvent vieux et impotents, la dynastie husseïnite avait fait son temps. Fondée en 1705 par le janissaire ottoman Hussein Ben Ali, renégat chrétien d’origine grecque, elle ne signifiait plus rien depuis qu’elle s’était compromise avec l’occupant français pour sauvegarder un semblant de pouvoir. Moncef Bey, le souverain patriote, prédécesseur de Lamine Bey, aurait pu, s’il avait réussi, redonner un avenir à l’institution beylicale. Malheureusement pour lui, il a été destitué par les Français en mai 1943, moins d’un an après son intronisation. Définitivement discréditée, la monarchie allait faire les frais de la décolonisation. Bourguiba avait accepté dans un premier temps de gouverner sans régner. Mais, à ses yeux comme à ceux des cadres modernistes de son parti, l’édification de la Tunisie nouvelle passait par une rupture radicale avec les traditions désuètes et arriérées, et avec tout ce qui pouvait les symboliser.
Dès le 30 mai 1956, la Constituante vote l’abolition des privilèges de la famille royale. Relégué dans son palais de La Marsa, Lamine, le vieux souverain, n’est jamais associé aux grandes décisions qui engagent le pays ; c’est à peine si on le consulte. En visite officielle à Tunis, en février 1957, Ibn Saoud, le roi d’Arabie, est choqué par le peu d’égards avec lequel est traité son homologue maghrébin. Bourguiba se comporte en chef d’État, mais enrage de ne pouvoir être reconnu comme tel. Sa frustration est à la mesure de son ambition : incarner la Tunisie. Pour en finir avec l’anomalie beylicale, il prend l’offensive, début juillet 1957, et dénonce la corruption à la cour et les malversations de princes. Le 18, il annonce que l’heure des comptes va sonner. Le 25 au soir, il est couronné. Le bey, désormais simple citoyen, est conduit, sans violence, dans une résidence modeste de La Manouba, à la périphérie de la capitale. En août, les biens de sa famille sont confisqués par l’État. Les husseïnites sombrent dans l’oubli, et, pour certains, dans la pauvreté.

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Aujourd’hui, l’heure est à la redécouverte. Après avoir été en grande partie occulté par le bourguibisme triomphant, l’apport beylical à l’histoire de la Tunisie est en cours de réévaluation. Le public, curieux, se passionne pour l’histoire glorieuse ou anecdotique de ces souverains méconnus aux noms si familiers. La Dernière Odalisque, le livre du petit-fils de Sidi Lamine, Fayçal Bey, relatant l’histoire de sa grand-mère, a ainsi connu un réel succès de librairie.

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