« Bientôt un championnat professionnel à la sénégalaise ! »

Youssoupha Ndiaye, ancien joueur de football aujourd’hui ministre sénégalais des Sports, fustige les moeurs financières du milieu et esquisse des solutions.

Publié le 23 juillet 2003 Lecture : 8 minutes.

En Afrique, il y a d’un côté des décideurs, qui connaissent mal le sport pour ne pas l’avoir pratiqué et qui en parlent à tort et à travers. Et d’autres, qui le connaissent suffisamment pour en discuter longuement. Ancien footballeur, Youssoupha Ndiaye, ministre d’État chargé des Sports du Sénégal, est de ceux-là.

J.A./L’INTELLIGENT : Le haut magistrat et le ministre des Sports que vous êtes se souvient-il de Youssoupha Ndiaye, footballeur à l’US Gorée et dans l’équipe du Sénégal ?
Youssoupha Ndiaye : Oui bien sûr et, surtout, des beaux jours de l’enfance, dans les années 1950 ! Inoubliables jeudis où les enfants pleins de santé que nous étions fonçaient occuper notre petit Maracana à Saint-Louis pour d’interminables matchs disputés pieds nus. On s’acharnait sur des ballons couleur de poussière, faits de chiffons cousus, difformes quelquefois. Chamailleries, bourrades laissaient place au jeu. Il durait jusqu’à la tombée de la nuit. Le foot, par les joies inconnues qu’il nous apportait, par le sens de l’égalité avec nos copains issus d’autres milieux, comblait notre innocence ludique où le monde extérieur adulte n’imprimait pas encore ses gros sabots.

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J.A.I. : Quand et comment êtes-vous devenu un international ?
Y.N. : J’ai été à l’US Gorée de 1953 à 1959, puis de 1961 à 1963. En 1960, je me suis inscrit au lycée Faidherbe de Saint-Louis pour préparer le bac, et j’ai signé à la Saint-Louisienne. J’y ai passé une saison fantastique entouré de grands joueurs, de véritables artistes du ballon. Appelé par les sélectionneurs de l’époque Raoul Diagne et Boubacar Bèye, j’ai débuté avec l’équipe du Sénégal face à la Gambie. Une blessure m’empêcha de participer aux jeux d’Abidjan en 1961. Mais, deux ans plus tard, je prenais part aux jeux de l’Amitié de Dakar.
La sélection du Sénégal était à l’époque encadrée par un collège d’entraîneurs que dirigeait Abdoulaye Thiam, un grand pédagogue adepte du beau jeu et du fair-play. Il avait bâti une équipe merveilleuse, soudée par l’enthousiasme, l’amitié et la joie de jouer.

J.A.I. : Outre la médaille d’or, vous aviez eu droit à une prime… ?
Y.N. : [Rires.] Rien du tout ! Moi, j’ai tout de suite rendu mes équipements, sauf ma paire de Robert-Jonquet, et je suis retourné à la fac. J’ai ainsi manqué la réception offerte par le chef de l’État. Le président Senghor a remis à notre capitaine Domingo Mendy la médaille de chevalier de l’ordre des Lions, et il lui a dit : « C’est pour toute l’équipe. » Mes coéquipiers l’ont « arrosée » avec de la limonade, puis ils se sont séparés.

J.A.I. : Aujourd’hui, vous auriez été millionnaires ?
Y.N. : Notre génération est venue trop tôt au foot. Les vedettes d’aujourd’hui ne parlent que de millions d’euros ou de dollars. Et les jeunes qui rêvent de devenir des El Hadji Diouf, Fadiga, Camara ou Diao se détournent de l’école.

J.A.I. : Vous, vous aviez choisi les études ?
Y.N. : Sur l’avis de l’un de mes professeurs (Mme Michèle Catala en l’occurence), une fois obtenu ma licence de droit privé en 1964, je suis parti en France. Ma carrière internationale de footballeur s’est terminée en queue de poisson. J’ai raccroché les crampons à l’issue d’un match amical qui avait opposé Gorée à un club tchèque.

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J.A.I. : Avez-vous pensé être un jour ministre des Sports ?
Y.N. : Jamais ! J’avais opté pleinement pour la magistrature.

J.A.I. : Ministre des Sports ou ministre du Football ?
Y.N. : Depuis que je suis membre du Comité olympique international, j’ai appris à aimer et à admirer tous les sports. J’adore le hockey sur glace, la gymnastique et la natation. Chaque discipline a sa beauté et sa dignité. Savez-vous que le Sénégal est champion du monde de pêche sportive ? Pratiquer librement le sport est un droit de l’homme comme le sont la santé, l’éducation, la sécurité… Cela dit, le foot est la locomotive et, quand il ne roule pas, les autres restent aussi en rade.

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J.A.I. : Les exploits des Lions lors de la Coupe du monde 2002 sont loin de refléter les réalités du football sénégalais. Entre l’élite expatriée et la masse locale des pratiquants, la fracture est nette. Comment la réduire ?
Y.N. : J’en suis conscient. Comme joueur puis comme dirigeant de l’US Gorée, j’ai bien connu le football… d’en bas. Le fossé est là. Il faut le combler. Comment ?
D’abord, commencer par offrir le cadre adéquat de la pratique : les infrastructures. Dans ce domaine, j’admire les réalisations de la Tunisie. Ensuite, dépoussiérer la législation du sport et en moderniser l’administration. Enfin, innover. Le Sénégal est mûr pour mettre en route un championnat de clubs non amateurs. La compétition pourra se disputer sur des terrains en gazon artificiel (c’est l’avenir en Afrique), opposer des joueurs mieux préparés et entourés de techniciens de bon niveau. Le projet suscite déjà de l’enthousiasme, et les opérateurs économiques, le public seront au rendez-vous.

J.A.I. : L’équipe du Sénégal semble n’avoir pas géré au mieux, économiquement et sportivement, l’après-Mondial 2002. Elle a du mal à se maintenir au top niveau. Est-ce irrémédiable ?
Y.N. : C’est là un défaut bien africain. Feu Léopold Senghor disait : « Ce qui nous manque à nous autres Négro-Africains, ce sont l’organisation et la méthode. » Il avait profondément raison. Dès la fin de la campagne d’Asie, tout le monde avait les yeux braqués sur la sélection du Sénégal. C’était un capital extraordinaire qu’il eût fallu exploiter. Mais, puisque nous ne sommes pas organisés et que d’un seul coup, il y avait de l’argent, beaucoup d’argent, nous avons oublié l’essentiel. Au moment où je vous parle, c’est-à-dire un peu plus d’un an après France-Sénégal de Séoul, le bilan financier de la CAN et du Mondial 2002 n’est pas établi. Idem pour les enseignements techniques. J’ai appris, début juin, qu’on mettait sur pied un séminaire sur le sujet ! Dès la fin du Mondial, en l’espace de un à deux mois, les pays organisés ont bouclé les comptes, tiré les leçons de leur participation, remplacé les structures défaillantes, mis en place de nouveaux encadrements et ils sont repartis du bon pied. Nous, nous devons tout recommencer.

J.A.I. : Le départ de Bruno Metsu n’a-t-il pas tout perturbé ?
Y.N. : On en a parlé des semaines durant. Puis la Fédération sénégalaise de football (FSF) s’est mise à la recherche d’un nouvel entraîneur. Ne fallait-il pas dresser une liste de candidats, puis procéder à des éliminations avant d’entamer des négociations avec le ou les retenus ?
À peine installé au ministère, j’ai trouvé le brouillon d’une convention entre la FSF et un candidat au poste. J’ai conseillé de poursuivre les négociations. Et puis, l’on m’a présenté un projet de contrat de vingt pages plus quatre annexes. La recrue pressentie s’est offert les conseils d’un grand avocat parisien qui a tout prévu jusqu’au portable et à l’abonnement à Internet… Je n’ai pas signé le document parce que je l’ai jugé inacceptable. Ma décision a provoqué des débats publics, et certains ont personnalisé l’affaire. Mais un ministre, juriste de surcroît, est en droit de dire : « Moi, je ne signe pas pour l’instant, parce qu’il faut renégocier et parfaire l’acte. » Cela a évidemment traîné. On est parvenu en fin de compte à conclure et le contrat fut signé le 25 janvier. Depuis, j’entretiens d’excellentes relations avec M. Guy Stéphan.

J.A.I. : Le programme d’assistance financière (PAF) lancé par la Fifa depuis 1998 ne cesse de provoquer des conflits entre les associations nationales et les autorités de tutelle qui réclament de partager la subvention…
Y.N. : Les fédérations sont les interlocutrices de la Fifa, c’est incontestable. Et ce sont elles qui bénéficient des avantages du PAF et du projet « Goal ». La FSF s’est ainsi offert un nouveau siège. Moi, j’aurais fait un autre choix. Mais passons. Je suis en total désaccord avec les ministres de Sports qui veulent traiter directement avec la Fifa. Les associations nationales reçoivent une délégation de pouvoir, il faut les laisser travailler. Mais, dès lors que l’activité sportive relève de la compétence de l’État, tout ministre de tutelle doit avoir la possibilité de sanctionner s’il constate des erreurs de gestion ou un dysfonctionnement. Mais je suis contre toute dissolution de fédération qui intervient suite à des mauvais résultats, des querelles de personnes ou des appétits financiers.

J.A.I. : La formation est de plus en plus à la mode par les temps qui courent. Elle se développe en Afrique sans réelles balises juridiques. Que faire ?
Y.N. : J’ai souvent déploré que des individus de nationalités diverses se retrouvent ici à Dakar et organisent sur un terrain de jeu privé des matchs entre les jeunes des écoles de football. Agents et recruteurs sont là. On joue toute la journée. Les gosses sont notés puis suivis à la trace. Ils sont appâtés ainsi que leurs parents. Certains sont embarqués C’est la foire aux bestiaux. C’est une forme d’esclavagisme pour un militant des droits de l’homme comme moi.
Il fallait réagir. J’ai mis en place un groupe de travail qui bouclera incessamment des projets concrets. Nous avons récupéré en France tous les textes législatifs qui régissent les centres de formation. Nous nous sommes inspirés de toutes les expériences dont celle, admirable, de Jean-Marc Guillou en Côte d’Ivoire. Nous recensons les écoles qui existent au Sénégal, et nous leur proposerons un statut juridique tout en leur laissant entière liberté dans le recrutement et le fonctionnement. Nous prendrons aussi en charge la formation des formateurs.

J.A.I. : Joue-t-on mieux au foot aujourd’hui ?
Y.N. : Je ne l’affirme pas par nombrilisme : on jouait mieux. C’était de l’art. Souvenez-vous du Brésil de Pelé, Didi et Garrincha… Aujourd’hui, je déplore la rareté des beaux gestes techniques ainsi que l’évolution du langage des footballeurs. Tenez, El Hadji Diouf, par exemple, parle branché : « Le match, c’est la guerre ! », « On va se battre ! On va gagner les duels au milieu du terrain ! »…
Les ailiers manquent cruellement dans le foot. Moi, quand je vois Henri Camara démarrer sur l’aile droite, provoquer son adversaire, le déséquilibrer, le déborder puis filer jusqu’au poteau de coin avant d’ajuster un centre au cordeau, je suis heureux. Je suis peut-être un nostalgique, mais c’est cela le foot, le vrai ! Avant, on admirait le joueur qui effectuait un beau service de 40 mètres. On faisait circuler le ballon pour progresser. Maintenant, les joueurs sont confinés dans une zone d’action et basta, plus de liberté d’initiative. Et souvent, on fait tourner le ballon pour geler le jeu ou « tuer le match » !

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