Au nom de tous les Nègres

Hommage du Mali et de l’Afrique à l’oeuvre d’Aimé Césaire. Qui vient de fêter ses 90 ans.

Publié le 21 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Aimé Césaire à Bamako ? C’était du 27 au 29 juin 2003. Loin du bourg de Basse-Pointe où le poète vit le jour un certain 26 juin 1913. Cette célébration en terre lointaine est née d’une proposition de livre d’entretiens avec l’enfant de la Martinique, présentée en décembre 2002 à Kadiatou Konaré, directrice de Cauris éditions.
L’éditrice s’est rendue à la Martinique. « Dès l’instant où j’ai ouvert le bureau de Césaire, confie- t-elle, j’ai compris ce que j’étais venue faire là. Devant moi, j’avais un ancien, un grand-père, mais surtout un humaniste dont la grande foi en l’Afrique et en la jeunesse du continent m’a bouleversée. » L’entente est totale, et l’idée de recueillir quelques propos est abandonnée. Césaire mérite que toute l’Afrique lui rende hommage. Ce seront les Rencontres Afrique-Amériques, hommage à Césaire.
Si la rédaction du Cahier d’un retour au pays natal, publié en 1939, a commencé en Yougoslavie où Césaire séjournait chez un ami, l’oeuvre, elle, reste africaine. Destinée aux frères nègres, d’Afrique et d’ailleurs.
Nègre est le mot qui a sculpté et façonné Césaire, avant de lui donner une âme rebelle. Via le concept de négritude qu’il enfanta, dans un Paris hostile à ses colonisés, avec Léopold Sédar Senghor, Léon G. Damas, mais aussi grâce au soutien d’Alioune Diop, directeur de la Société africaine de culture.
Presque timide, sinon réservé, tout Césaire est dans son écriture. Touffue, inspirée, coléreuse. « Il ne sait pas écrire les choses secondaires, dit de lui le Guinéen Tierno Monénembo. Il n’avait pas de passé à magnifier, contrairement à Senghor. Son royaume d’enfance à lui était fait d’interrogations. Il avait tout à réinventer. » Pour s’adresser à une humanité sourde à sa condition d’Africain transporté aux Antilles.
C’est dans la poésie et le théâtre (Et les chiens se taisaient, La Tragédie du roi Christophe, Une saison au Congo) que Césaire a posé sa révolte, la cosmogonie de sa pensée. Sa plume fit connaître l’insurrection victorieuse des Noirs de SaintDomingue (1791-1804), où la négritude se mit pour la première fois debout.
Loin de la polémique créole, qui oppose Antillais et Africains, ses écrits sont devenus le « journal de bord de plusieurs générations d’Antillais et d’Africains ». Et c’est pour cela que les jeunes de Bamako n’ont pas voulu manquer le rendez-vous. « Pour moi, lâche Neïssa Coulibaly, étudiante en sociologie et présidente d’un cercle de lecture, Aimé Césaire est celui qui redonne le perpétuel espoir. Son écriture, même arrimée dans un quotidien hideux, laisse toujours scintiller une certaine foi en l’homme noir. »
Césaire condamne aussi ce qu’il appelle « l’afro-dénigrement ». En soldat de couleur, il accepte d’être la « bouche des malheurs qui n’ont point de bouche ». Son écriture devient la colère des siens. Qu’il apostrophe dans une cinglante boutade : « Je demande trop aux hommes et pas assez aux Nègres ! »
À cet homme avenant, le Mali a rendu hommage. Césaire connaît bien la terre rouge des Mandés, pour l’avoir cherchée. Il a côtoyé Modibo Keïta, premier président du Mali, à l’Assemblée nationale française, fait ses classes auprès du sage Hamadou Hampâté Bâ, et même séjourné au pays des ancêtres : ses écrits en témoignent.
Au Muso Kunda, musée des Femmes, en présence de l’ancienne première dame, l’historienne Adame Bâ Konaré, le public s’est prêté aux joutes de la palabre africaine. Le thème « Négritude et droit à l’initiative » a révélé la soif d’une jeunesse attentive. À la question « La négritude aujourd’hui, quels enjeux pour la jeunesse africaine ? », le poète mauricien Édouard Maunick a répondu : « Après ma rencontre avec Césaire, j’ai écrit : « Je suis nègre de préférence. » Je cédais ainsi au sang pluriel que je porte pour me tourner vers ma seule partie noire. Et la négritude, qui n’est pas une philosophie, mais une manière de vivre, d’observer sa culture et son cosmos, ne saurait mourir. Ni même être un vain mot. »
« Jazz et vin de palme pour Aimé ». Venus d’Afrique, des Amériques et de France, invités et visiteurs ont tous célébré l’oeuvre du fils de tous les Nègres. Une rencontre rythmée par un panel d’artistes africains et américains, Rokia Traoré, Cheikh Tidiane Seck, Marque Gilmore, Mohamed Ifsa, Maïssa Ngom. Autour d’un grand homme de 90 ans qui n’avait pas pu faire le déplacement.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires