Youssou Ndour se met à table

Après un disque sur l’islam, et avant de se lancer dans le cinéma, le musicien sénégalais a participé à l’écriture d’un livre consacré à la cuisine de son pays. Pourquoi une telle boulimie ? L’artiste s’en explique.

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 6 minutes.

« Comme je ne peux malheureusement pas boire mes neuf tasses d’ataya [thé vert à la sénégalaise] quotidiennes, je me contente d’un simple Lipton », explique Youssou Ndour en sirotant ledit breuvage. Paris, une journée orageuse de juin. En cette fin d’après-midi morose, un ciel de cendres qui menace sans cesse de s’ouvrir surplombe la capitale. Installé au bar d’un grand hôtel parisien tout près des Champs-Élysées, le musicien sénégalais semble particulièrement décontracté. Vêtu d’un jean et d’un tee-shirt blanc, il se carre dans son fauteuil et vous observe de son regard pénétrant. Youssou est à Paris pour quarante-huit heures. Petite devinette : quel produit la superstar est-elle venue promouvoir ? Non, vous n’y êtes pas, il ne s’agit pas d’Égypte(*), son nouveau disque, sorti au début du mois. Ni d’un duo prestigieux avec une autre grande voix de la chanson, ou d’une compilation de ses meilleurs morceaux.
Youssou Ndour est là pour parler d’un livre… de recettes. La Cuisine de ma mère, c’est ainsi que s’intitule le magnifique ouvrage auquel il a collaboré et qui paraîtra en septembre. Au menu, tous les classiques d’une cuisine festive, populaire et savoureuse. Une farandole de mets qui déclinent toute la gamme des spécialités sénégalaises, des entrées jusqu’aux desserts, en passant par les en-cas et les jus de fruits. De quoi se pourlécher les babines ! L’artiste, d’habitude si réticent à ouvrir son jardin secret, se laisse volontiers cuisiner. Il parle avec un plaisir gourmand de ce bel ouvrage.
Youssou Ndour ambassadeur de bonne volonté pour la FAO, le BIT et l’Unicef, Youssou Ndour, le roi du mbalax, collaborant étroitement au choix des recettes et mettant son grain de sel dans l’élaboration d’un succulent thiebou dieune (riz au poisson), à qui aurait-on pu faire gober cela ? C’était oublier que l’artiste, s’il a un joli filet de voix, n’en est pas moins un fin gourmet qui apprécie le filet de mérou. Après le tam-tam, place à la tambouille ! Ce livre de recettes pourtant fort éloigné de l’univers de la musique, il en a accueilli le concept avec… délectation. « J’adore manger, confie-t-il. Je garde un excellent souvenir de la cuisine de ma mère. Il ne faut pas oublier qu’au Sénégal les cuisinières, qu’on appelle ménagères, jouent un rôle très important. Alors, quand on m’a parlé de ce projet, je l’ai trouvé génial et original, car pour une fois je pouvais parler de ma mère que j’adore. »
La conception de ce livre a été l’occasion de recréer une ambiance chère à son coeur, celle de son enfance. Pour l’occasion, toute la famille s’est regroupée autour de la marmite. La grand-mère, les tantes et même les voisines, chacune y est allée de son petit conseil pour réussir au mieux le mafé (boeuf à la sauce arachide) ou le yassa (poulet au citron vert). « J’étais là et je mangeais, confirme Youssou. J’ai pu me délecter en particulier du soupoukandia (soupe aux gombos) qui est mon plat préféré. Je ne peux malheureusement pas en manger aussi souvent que je le voudrais, car l’huile de palme avec laquelle on l’accommode altère les cordes vocales. » On en reste sans voix.
Décidément, Youssou est sur tous les fronts. Mais ne craint-il pas de se couper du monde de la musique en s’intéressant à tant de domaines ? Le chanteur se défend d’être un homme-orchestre. Pour ce qui concerne son rôle d’ambassadeur pour des organismes des Nations unies ou de l’Unicef, il consiste essentiellement à prêter son nom et son image. Pour lui, accompagner l’Unicef dans un projet de vaccination est un devoir qu’il se sent obligé d’accomplir en tant que père de famille. D’ailleurs, de son propre aveu, ce type d’activité est une vraie source d’enrichissement. « Déjà tout petit, indique-t-il, je refusais de m’enfermer dans la musique, car j’avais compris que la musique était aussi un moyen de faire avancer les choses plus rapidement. Et puis, même si on fait du bénévolat, on y gagne quelque chose. Parfois des gens me disent : « Tiens, Youssou, je t’ai entendu l’autre jour sur CNN parler des enfants et c’est super ! » Ces gens-là, s’ils n’évoquent pas ma musique, valorisent quelque part des mots qui sont les miens et qui ne sont pas glissés dans une chanson. »
Jamais là où on l’attend, Youssou Ndour est un homme de défis qui refuse d’être catalogué. Dans Égypte, il abandonne les rythmes effrénés du sabar (une variété de tam-tam) pour s’essayer à ceux, langoureux, des instrumentations acoustiques. Les arrangements de cet album à la gloire de Dieu (le nom d’Allah orne la pochette) ont été confiés à l’Égyptien Fathy Salama, qui crée un mariage réussi entre les cordes ou la flûte cairotes et les instruments traditionnels sénégalais comme la kora ou le balafon.
Ce disque, entièrement tourné vers sa foi, tient une place particulière dans la discographie du chanteur. Alors qu’il a été enregistré en 1999, Youssou a retardé la sortie de cet album à cause des événements du 11 septembre 2001. Et l’année dernière, pour protester symboliquement contre la guerre en Irak, il a annulé tous ses concerts aux États-Unis. La décision n’a pas été facile à prendre, mais l’artiste, foncièrement pacifiste, se voyait mal chanter dans un pays en guerre.
Aujourd’hui, Youssou est loin de tout cela. Il réclame encore du thé, pauvre substitut de son odorant ataya. La conversation glisse sur son site Internet www.youssou.com, plutôt réussi, mais particulièrement chiche en images. « C’est justifié par une culture de la photo en Afrique que je n’aime pas trop, explique-t-il. Là-bas, comme tout le monde se décrète photographe du jour au lendemain, on court le risque de tomber sur des amateurs. Ça n’a l’air de rien, mais une photo mal prise peut très bien renvoyer une image faussée. En Occident, les professionnels prennent leur temps pour avoir le bon cliché, quitte à en faire des centaines, ce qui n’est pas le cas en Afrique. Mais le site Internet va forcément évoluer, je vais en parler à celui qui le gère et, promis, je me lâcherai un peu plus. »
En attendant que l’artiste trouve le temps de poser devant l’objectif, on pourra toujours le retrouver sur grand écran. Eh oui, notre chanteur va abandonner pour un temps les feux de la scène pour ceux des projecteurs. Youssou Ndour comédien ? C’est confirmé, il va faire ses premiers pas d’acteur cet été dans une production italienne pour l’instant top secret. En août, il se rendra à Rome pour cinq semaines de tournage. Dans ce film où il tient le rôle principal, le chanteur se glissera dans la peau d’un ancien policier sénégalais qui émigre en Italie. Là-bas, ému par le sort des prostituées africaines qui triment nuit et jour sous le joug des proxénètes, il devient détective pour tenter de les sortir des griffes de la mafia du sexe. Un projet qui le passionne : « On m’a souvent proposé de jouer dans des films, mais j’ai toujours refusé : les scénarios qu’on m’envoyait ne me convenaient pas. Celui-ci me plaisait. Je n’aurais pas accepté un projet cinématographique qui aurait eu pour cadre le monde de la musique. » Les cinéphiles devront néanmoins patienter jusqu’en mai 2005, date de sortie du film, en plein Festival de Cannes.
S’il n’est pas certain de remporter la palme du meilleur acteur, Youssou Ndour a d’ores et déjà reçu les lauriers de la gloire. En 2005, il fera son entrée dans le Petit Larousse. « Un honneur pour ma famille, car moi j’ai déjà eu ma part d’honneur dans la vie, indique le chanteur avec modestie. Je pense à mes enfants qui seront les premiers à lire ce dictionnaire et ça me fait énormément plaisir de leur laisser cet héritage moral. »
Quelle nouvelle surprise pourrait bien réserver le musicien sénégalais dans les mois à venir, lui qui explore les domaines où l’on s’attend le moins à le retrouver ? Comme s’il prenait un malin plaisir à brouiller les pistes. Il ne peut présager de l’avenir, mais s’il y a bien un domaine auquel il ne se frottera jamais, avoue-t-il, c’est celui, épineux, de la politique. Car la seule foule que Youssou, le tribun chantant souhaite haranguer, c’est son public.

* Egypte, Nonesuch/Warner.

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