Pétrole contre agriculture
Alors que les pays d’Afrique centrale gèrent, tant bien que mal, leur forte dépendance aux hydrocarbures, l’Afrique de l’Ouest, elle, vit au rythme des pluies qui conditionnent les récoltes et le développement économique.
Avec ses 34 millions d’habitants et ses 3 millions de km2, la Cemac ne peut rivaliser avec l’Uemoa qui est près de deux fois et demie plus peuplée (76 millions d’habitants sur 3,5 millons de km2). Mais sur le plan économique, l’écart se resserre très nettement. Le Produit intérieur brut (PIB) de la Cemac talonne de plus en plus celui de l’Uemoa : 16 626 milliards de F CFA, contre 20 568 milliards en 2002, au point que la Cemac pourrait bientôt passer devant sa voisine de l’Ouest.
Cela veut dire qu’une population beaucoup plus nombreuse en zone Uemoa se partage une richesse globale à peine supérieure. Un habitant de l’Uemoa dispose de 389 dollars par an pour vivre, soit environ 700 F CFA par jour, alors que son voisin de la Cemac peut compter, lui, sur 1 254 F CFA. Au Burkina, en Guinée-Bissau, au Mali, au Niger et au Togo, on ne dispose même pas de 1 dollar par jour en moyenne, ce qui est le seuil de l’extrême pauvreté défini par les Nations unies. En zone Cemac, seuls la Centrafrique et le Tchad sont dans cette situation.
Une telle différence n’est guère étonnante puisque l’Uemoa compte quatre pays parmi les plus pauvres au monde : Burkina, Guinée-Bissau, Mali et Niger. Tous les quatre figurent parmi les quinze derniers États du classement selon le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), contre seulement le Tchad et la Centrafrique dans la Cemac.
Même la Côte d’Ivoire, le pays le plus riche de l’Uemoa, n’arrive que loin derrière le Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale en termes de richesse par habitant. Elle ne dépasse que d’une très courte tête le Cameroun.
Du fait de leur appartenance à la zone franc et de leur histoire, les nations de l’Uemoa et de la Cemac ont pourtant suivi des politiques économiques et monétaires assez semblables depuis leur indépendance. Ils ont entretenu des relations économiques et commerciales avec les mêmes partenaires, à commencer par la France, appliqué les mêmes programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale, subi la même dévaluation du franc CFA en 1994…
Mais la Cemac vit de son sous-sol, l’Uemoa de sa terre. Alors que le golfe de Guinée est l’une des zones pétrolières les plus riches et les plus prometteuses au monde, la majorité de la population de l’Union livre un combat quotidien contre un climat sahélien hostile, une terre de plus en plus convoitée et pauvre en ressources minières.
La vocation pétrolière de la Cemac a été récemment consacrée avec l’entrée en production du gisement de Doba, au Tchad, l’an dernier, et la fulgurante montée en puissance de la production équatoguinéenne depuis la fin des années 1990. Ces deux pays ont ainsi rejoint le clan des pays pétroliers de longue date : Cameroun, Congo et Gabon. La Guinée équatoriale les a même doublés pour devenir le premier producteur de la zone. Aujourd’hui, la Centrafrique est le seul pays de la Communauté à ne pas jouir de la manne pétrolière.
L’Uemoa aussi a son pétrole : le coton, cultivé à perte de vue dans tous les pays de la zone. Mais or noir contre or blanc, le match est trop inégal. D’un côté, des États qui prélèvent des royalties sur l’attribution des zones d’exploration aux sociétés pétrolières, de l’autre des millions de paysans qui subissent l’évolution fluctuante des cours internationaux du coton, du café, du cacao, de l’arachide, de l’huile de palme ou de l’hévéa. D’autant que, depuis bientôt deux ans, la zone Uemoa vit au rythme de la crise ivoirienne et de ses répercussions sur la région. Fort heureusement, à en croire la dernière étude de l’Agence française de développement (AFD) sur la zone franc, en avril 2004, « les conséquences tant sur le pays lui-même que sur les économies des pays de la sous-région […] n’ont pas eu l’ampleur qu’on pouvait craindre. On constate même, avec les bons résultats pluviométriques enregistrés au cours de cette dernière campagne au Sahel, que les précipitations ont plus d’incidences macroéconomiques qu’une crise politique majeure dans le pays voisin et que l’interruption des circuits d’approvisionnement. » Voilà qui est rassurant ! D’ailleurs, précise l’AFD, « les échanges se sont réorientés et sont en train de trouver un nouvel équilibre ». Finalement, « la zone Uemoa a su s’adapter à la crise ivoirienne. Si les affrontements n’y reprennent pas de manière ouverte, l’économie de la zone poursuivra sa route comme elle l’a fait jusqu’ici, avec néanmoins une croissance globalement amoindrie ». Cela s’appelle dédramatiser une situation qui, sans doute faute de recul suffisant, laissait le champ libre aux interprétations les plus alarmistes. Ce sont donc, en grande partie, les bonnes campagnes cotonnière et céréalière 2003-2004 qui devraient permettre à l’Uemoa d’afficher une croissance soutenue cette année et l’an prochain (voir graphiques ci-contre).
Quant à la Cemac, elle surfe allègrement sur la vague d’un baril de pétrole à 40 dollars : 2004 devrait enregistrer un record de croissance (8 % selon l’AFD) du fait de la montée en puissance du pétrole tchadien, d’une conjoncture favorable au Cameroun et du prix élevé du pétrole. Mais plus dure sera la chute si le prix du baril retombe et, surtout, ce qui est inéluctable, lorsque la production commencera à décliner. C’est d’ailleurs déjà le cas au Cameroun et au Gabon. Si le premier de ces deux pays possède une économie bien diversifiée avec une agriculture forte, ce n’est pas le cas du second, où l’après-pétrole s’annonce difficile. À l’inverse, pour la Guinée équatoriale, qui a enregistré en 2001 un record mondial de croissance à 58 %, ainsi que pour le Tchad, le véritable problème est de gérer cette soudaine manne financière alors que leurs structures politiques et administratives sont celles de pays qui figuraient il y a peu de temps encore parmi les plus pauvres au monde.
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