Pluie d’or noir sur le Sahel ?

Après le Tchad hier et la Mauritanie demain, le Mali et le Niger pourraient eux aussi connaître un avenir pétrolier. Des recherches préliminaires semblent l’attester. Leurs résultats devraient changer la face de la région.

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 6 minutes.

Pour une fois, ce ne sont pas les investisseurs français qui ouvrent le bal, mais un homme qui vient de loin, de très loin. L’explorateur pétrolier Max de Vietri, 51 ans, vient d’Australie… Lorsqu’il fait le long voyage Perth-Bamako ou Bamako-Perth, via Singapour et Paris, il travaille un peu sur son ordinateur dans l’avion et parle beaucoup aux gens. « En trente-deux heures de voyage, je rencontre toujours des personnes différentes et merveilleuses », aime-t-il à raconter. Pour son premier voyage à Bamako, le 13 mai, il était à la fois excité – il va à la découverte d’une nouvelle zone pétrolifère – et content de tenir sa vengeance sur une petite mésaventure…
Lorsqu’il était jeune géologue basé à Bobo-Dioulasso, au Burkina voisin, en 1979-1980, il avait décidé de visiter le Mali et, surtout, Tombouctou. Mais le très mauvais état des pistes ne lui avait pas permis d’aller plus loin que Sikasso, où son 4×4 s’était enlisé. Un quart de siècle plus tard, le voilà qui débarque à l’aéroport de Bamako, précédé d’une certaine réputation. Depuis qu’il a découvert du pétrole en Mauritanie (voir J.A.I. n° 2259), Max de Vietri est en effet devenu célèbre. Hier, il cherchait de l’or et de l’uranium, aujourd’hui, il traque le pétrole dans les bassins négligés par les grandes compagnies pétrolières.
Avec la Mauritanie, il s’est pris au jeu : l’Afrique, ce vaste continent encore peu prospecté, l’intéresse. Les pétroliers des années 1960 ou 1970 ne savaient pas être patients : ils espéraient des gisements énormes, de la taille d’un Hassi Messaoud ou d’un Hassi R’mel en Algérie, abandonnaient leurs permis s’ils ne trouvaient rien au bout de quelque temps, et confiaient une copie des données sismiques et des résultats de leurs travaux aux autorités locales. Envoyé en Mauritanie par une société minière, Vietri profite de son séjour pour s’intéresser au pétrole, récupère un maximum de données géologiques et ouvre la voie à la découverte du gisement offshore de Chinguetti – dont l’exploitation commerciale commencera en 2005 – et de bien d’autres gisements au large de Nouakchott… La petite société australienne Hardman Resources, qui a racheté ses parts et accepté d’investir en Mauritanie, a vu sa capitalisation boursière multipliée par 375, passant de 4 millions en 1995 à 1,5 milliard de dollars australiens (860 millions d’euros) aujourd’hui.
Après Chinguetti, Max de Vietri s’intéresse au bassin désertique du Taoudeni, à cheval sur la Mauritanie, le Mali, l’Algérie et le Niger. Avec son partenaire mauritanien, le banquier et homme d’affaires Isselmou Tajedine, il loue deux permis dans le Taoudeni mauritanien (69 000 km2) et lorgne sur le Mali. Il y est accueilli à bras ouverts, durant la seconde quinzaine de mai, par le président Amadou Toumani Touré, en présence de Hamed Diane Semega, ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, et de son collègue Ousmane Thiam, en charge de la Promotion des investissements et des Petites et Moyennes Entreprises.
Max de Vietri arrive à point nommé : le Mali est sur le point de lancer un nouveau code d’investissement pétrolier et de choisir des explorateurs pour leur confier quinze grands permis de recherche (blocs) dans le nord du pays. Le géologue a déjà étudié l’historique du sous-sol malien. Sa société est toute prête à se lancer dans l’aventure : Baraka Mali Ventures Ltd (BMV) est créée en partenariat avec Isselmou Tajedine et d’autres investisseurs amis. « Plus que tout, j’étais ravi d’être reçu par ATT. J’ai pu lui expliquer le travail que j’allais entreprendre et l’intérêt que présentent les différents bassins maliens », explique Max de Vietri, alors qu’ATT lui confie : « Je me couche en pensant au pétrole. Je rêve de pétrole et quand je me réveille je pense encore au pétrole. »
Pays enclavé, le Mali paie cher ses achats de produits pétroliers : ils représentent depuis 2000 entre 18 % et 21 % de toutes les importations du pays, soit entre 110 et 150 milliards de F CFA (entre 168 millions et 229 millions d’euros). Pour les sept années 1996-2002, la facture pétrolière a absorbé les deux tiers de toutes les recettes d’exportation de coton, soit 608 milliards de F CFA sur les 936 milliards rapportés par l’or blanc. ATT a donc bien raison de rêver de pétrole. Si après-demain Max de Vietri et ceux qui vont le suivre en découvrent, cette manne changera la donne économique, sociale et politique dans le pays. Et l’intuition de l’Australien lui dit que les indices du bassin malien du Taoudeni sont prometteurs…
La société BMV a pris une option sur cinq blocs de recherche (les nos 1, 2, 3, 4 et 9) dont la superficie (193 200 km2) couvre le tiers des quinze blocs en cours d’attribution (603 400 km2), lesquels représentent la moitié de la superficie du territoire national. L’accord sera finalisé dans les prochaines semaines, probablement au cours du mois d’août, au lendemain de la promulgation du code pétrolier.
Ce n’est pas le seul motif de satisfaction de Max de Vietri. Il est aussi content d’avoir trouvé auprès des autorités maliennes les archives – informatisées, ce qui est une exception en Afrique – des précédentes fouilles pétrolières. Ces dernières ont été entreprises dans les années 1960 et 1970 par les firmes Agip (Italie) et Texaco (États-Unis). Leurs recherches sismiques visaient de gros gisements : le maillage sismique était très large (50 à 80 km). Agip a effectué un forage qu’elle n’a pas achevé (Haousa 1), puis est partie. Celui de Texaco (Agbolag 1) a rencontré des traces de gaz avec un débit de 13 500 m3 par jour, qu’elle n’avait pas jugé rentable. La société française Elf a suivi avec un forage (Yarba 1). Elle a trouvé des indices, mais n’a pas poursuivi ses efforts. Puis Esso est arrivée au début des années 1980 : elle a repris les travaux d’Agip et de Texaco avant d’effectuer une étude sismique plus poussée : elle a découvert à Atouila 1, dans le nord du pays, un réservoir à 3 000 m environ de profondeur : il était vide, et sa source carbonisée par une intrusion magmatique, explique Max de Vietri. Esso a conclu, elle aussi, à l’absence de potentiel.
Les autorités maliennes n’en sont pas moins restées optimistes. Elles ont alors demandé l’avis d’un consultant international indépendant, le Beicip-Franlab. Son verdict : un gisement carbonisé ne signifie pas pour autant que toute la région l’est. Atouila 1 peut être un problème purement local. Cette nouvelle interprétation des données fut examinée à huis clos, en toute confidentialité, comme il est d’usage en la matière. C’était il y a vingt ans. Le gouvernement d’ATT a repris les choses en main : en rassemblant les données, en organisant la consultation informatique des archives, en concevant un nouveau code pétrolier et en incitant de nouveaux explorateurs à venir, misant sur le fait que les majors suivront dès la première alerte, comme ce fut le cas en Mauritanie avec l’arrivée de Total dans le bassin du Taoudeni et de British Petroleum dans l’offshore.
« En quelques jours à Bamako, j’ai fait le travail de plusieurs mois », explique Max de Vietri, d’accord avec l’interprétation du Beicip-Franlab. « Au Mali, il y a les roches sources, les pièges et les réservoirs. Ce ne sont pas des frontières humaines qui vont empêcher les bassins de courir entre l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger. »
La société BMV a acheté les données sismiques nécessaires. Elle va s’atteler au cours des mois à venir à les réinterpréter et à les compléter par d’autres travaux de recherches aériennes et au sol. Plusieurs millions de dollars vont être investis. Les coûts seront d’autant plus élevés que les régions sont enclavées : pour une ligne de sismique, il faut cinq ou six camions qui roulent l’un derrière l’autre pour générer des ondes et écouter le sol… Cela nécessite une logistique lourde : services médicaux, cuisine, sécurité, communication. Avec une équipe allant jusqu’à quatre cents personnes, cela peut coûter entre 10 000 et 20 000 dollars au kilomètre. Pour balayer les zones intéressantes, il faudrait investir un minimum de 20 millions de dollars. Sans compter le forage, qui revient, selon les formules, entre 6 millions et 10 millions de dollars l’unité.
Si tout va bien, il faudra envisager un budget minimal de 30 millions de dollars. Cela n’effraie pas Max de Vietri : « Derrière moi, j’ai un noyau d’investisseurs. J’adore faire ce travail en Afrique. Je suis dans mon élément. Les indices sont prometteurs. Si ce n’est pas pour demain, alors ce sera pour après-demain ! »

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