Le Sud contre-attaque

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Rubens Ricupero, le secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), ne pouvait cacher sa joie à l’issue de la XIe conférence de l’institution, qui s’est achevée le 18 juin à São Paulo, au Brésil. À sept mois du terme de son mandat, le sexagénaire Brésilien s’apprête à tirer sa révérence avec le sentiment du devoir accompli. Il a redonné toute sa force à une organisation qui était marginalisée il y a encore quelques années. Créée en 1964 avec pour objectif principal d’élaborer les voies et moyens d’une économie solidaire, la Cnuced a connu deux décennies difficiles avant de devenir une tribune pour les pays en développement (PED) à la fin des années 1990.
Une fois de plus, les pays riches en ont pris pour leur grade à São Paulo. Durant plusieurs jours se sont succédé à la tribune les chefs d’État du Sud – dans le rôle de témoins à charge acclamés par une assistance acquise à leur cause – pour dénoncer les grandes injustices du commerce mondial. Hégémonie américaine et européenne, subventions agricoles… Critiques et témoignages sur les méfaits des politiques occidentales, qui appauvrissent les nations du Sud, n’ont pas manqué.
« La faim ne fait pas que tuer, elle enlève la capacité d’apprendre et de travailler, et, plus dramatiquement, elle tue l’espoir de millions et de millions d’êtres humains », a déclaré l’hôte de la manifestation, le président brésilien Luiz Inácio Da Silva, qui propose de taxer les transactions financières et le commerce des armes, et d’en consacrer les ressources au développement des PED.

Sur le fond, on ne peut pas reprocher aux dirigeants du Sud leurs prises de position tant il est vrai que le déséquilibre mondial est criant. Près de la moitié de la population mondiale, environ 2,8 milliards de personnes, vit avec 2 dollars par jour, voire moins. Et la part du commerce mondial des pays les moins avancés (PMA) n’a fait que régresser, passant de 1,7 % dans les années 1970 à 0,6 % en 2002. Et ce alors que la Cnuced indique que les cinquante nations les plus pauvres de la planète sont non seulement plus ouvertes au commerce international que les autres PED, mais ont atteint un degré d’ouverture équivalent aux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Bref, la planète ne tourne pas rond et sert surtout les intérêts des pays du Nord.
Mais plus encore que ces constats maintes fois ressassés, ce qu’il faut retenir de cette dernière conférence de la Cnuced, c’est la solidarité retrouvée des pays du Sud et leur volonté de favoriser le commerce entre eux. Quarante-quatre PED ont décidé de rouvrir les négociations pour la mise en place du système global des préférences commerciales (SGPC), dont l’objectif est de promouvoir leurs échanges en réduisant les droits de douane et industriels. Un nouveau cycle de discussions débutera en novembre prochain et devra être bouclé avant novembre 2006.
Les promoteurs de cette initiative ont invité la Chine à se joindre à eux en s’appuyant sur une tendance « lourde » : les échanges Sud-Sud ont progressé à un rythme deux fois plus rapide dans les années 1990 que la moyenne du commerce mondial. Les flux de biens et de marchandises de la Chine avec l’Afrique et l’Amérique latine représentent respectivement 5,14 et 6,36 milliards de dollars.

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En prenant la décision de relancer ce cycle, les pays du Sud infligent aussi un camouflet à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui n’est pas associée aux discussions. Et démontrent leur force et leur solidarité au moment où les négociations agricoles du cycle de Doha pour le commerce et le développement sont le plus intenses. Pour mettre les États-Unis, l’Europe et le Japon « le dos au mur » et les forcer à assouplir leurs positions, ils ont fait savoir qu’un échec des négociations de l’OMC renforcerait la légitimité du SGPC.
Les pays du Sud parviendront-ils à infléchir les politiques de Bruxelles et de Washington ? L’Union européenne semble disposée à démanteler une partie de ces aides agricoles. Mais, avec George Bush aux commandes et à quelques mois de l’échéance présidentielle, Washington n’est pas près de lâcher ses farmers. Les représentants des pays du Sud sont, en tout cas, repartis de São Paulo « regonflés » et bien décidés à ne pas s’en laisser conter.

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