Les réformes au petit trot

La coalition Arc-en-Ciel prend son temps pour tenir ses promesses. La population s’impatiente, les bailleurs de fonds américains aussi.

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Mwai Kibaki et son gouvernement Arc-en-Ciel doivent-ils déjà être voués aux gémonies ? Un peu moins de deux ans après l’arrivée de la nouvelle équipe au pouvoir, toutes les promesses faites pendant la campagne électorale de 2002 – lutte contre la corruption, éducation primaire gratuite pour tous, nouvelle Constitution – n’ont pas encore été tenues. Et la Maison Blanche a décidé de sévir. Le Kenya ne fait donc pas partie des huit pays choisis en mai pour bénéficier des dons substantiels versés dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), comme l’avait instamment demandé le président Kibaki lors de sa visite à George W. Bush en octobre 2003. Le milliard de dollars promis sera en fin de compte partagé entre le Bénin, le Mali, le Cap-Vert, le Mozambique, le Ghana, le Sénégal, le Lesotho et Madagascar.
À Washington, Charles Snyder, le sous-secrétaire d’État adjoint pour les Affaires africaines, a écarté l’idée que le Kenya paierait ainsi les dissensions internes de la coalition au pouvoir (National Rainbow Coalition, Narc) et le retard pris dans la lutte contre la corruption : le pays « progresse suffisamment pour être éligible la prochaine fois », a-t-il déclaré, faussement sibyllin. Une manière fort diplomatique d’atténuer la critique, car si le Kenya n’a pas satisfait aux seize critères de l’ONM – parmi lesquels figurent en bonne place la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance – c’est qu’il lui reste encore un long chemin à parcourir. Même si de remarquables progrès ont été accomplis : opération « Mains propres » dans le milieu judiciaire en octobre 2003, entrée en vigueur de l’éducation gratuite, relance du procès Goldenberg portant sur 600 millions de dollars d’exportations fictives d’or et de diamants, etc.
Mwai Kibaki a beau prôner « l’enseignement de l’éthique et de la lutte contre la corruption dans les écoles primaires », rappeler à l’envi que le gouvernement a été élu à partir « d’une plate-forme qui a beaucoup promis » et mettre en place un Comité national anticorruption (National Anti-Corruption Campaign Steering Committee), sa bonne volonté affichée ne suffit pas toujours pour convaincre, même ses alliés.
Ainsi le Liberal Democratic Party (LDP, membre de la coalition) a-t-il été échaudé par le « scandale des passeports » qui défraie la chronique depuis le début du mois de mai. Quatre fonctionnaires de haut rang ont été suspendus et une enquête est actuellement en cours à ce sujet. Elle concerne l’attribution d’un contrat de 34,6 millions de dollars à une entreprise française, François-Charles Oberthur Fiduciaire, pour l’impression de nouveaux passeports sécurisés, alors que le coût initial du projet avait été évalué à 10,2 millions de dollars. Le choix d’Oberthur Fiduciaire aurait été réalisé sans le moindre appel d’offres, à la suite de l’intervention d’une mystérieuse entreprise, l’Anglo Leasing & Finance Ltd. Une accusation démentie dans la presse kényane par Oberthur, pour qui ces soupçons sont « diffamatoires puisqu’il est impossible de comparer les projets, dont l’ampleur – et donc le coût – sont totalement différents ». L’importance accordée au projet viendrait de la volonté du gouvernement de prouver « son intention d’améliorer la sécurité nationale et de lutter contre le terrorisme ».
Cette affaire est venue s’ajouter aux accusations de trafic d’influence portées contre le ministre du Commerce, Mukhisa Kituyi, au sujet d’une entreprise publique de ciment, l’East African Portland Cement Company.
Dans les deux cas, le gouvernement a réagi avec célérité, et il semble que l’affirmation du secrétaire permanent du ministère de l’Éthique et de la Gouvernance, John Githongo, selon laquelle « l’administration en place est prête à payer le prix politique de la lutte contre la corruption dans ses propres rangs, et cela quel que soit le niveau atteint par le phénomène », ne restera pas qu’un voeu pieux.
Prochaine étape : la nouvelle Constitution, promise au pays pour le 30 juin. Le délai risque d’être dépassé, mais, comme l’affirme Kiraitu Murungi, le ministre de la Justice et des Affaires constitutionnelles : « Nous ne devrions pas nous sentir pris en otage par cette date. La balle est désormais dans le camp des parlementaires, des hommes d’Église, des entrepreneurs et de la société civile pour parvenir à un consensus sur les quelques aspects encore non résolus… Je pense que c’est une question de mois. » Pour l’instant, les Kényans sont plus patients que Washington. Il n’est pas sûr qu’ils le restent éternellement.

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