L’autre Débarquement

La Normandie ne doit pas faire oublier la Provence. En aôut 1944, près de 150 000 soldats débarquaient à leur tour sur les plages du sud de la France. Parmi eux, de nombreux Africains.

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

La terre se rapproche assez vite, le littoral est empanaché de colonnes de fumée grise, seules manifestations visibles de pilonnages tout récents. Les bâtiments voguent vers la France et « sur tous les navires éclate la Marseillaise la plus poignante jamais entendue », écrira le général de Lattre de Tassigny.
Les hommes regroupés discutent, grillent quelques cigarettes quand ils n’ont pas le mal de mer. D’autres, le nez dans leur sac, vérifient une dernière fois leur paquetage et graissent leur armement.
II est 20 heures, ce 16 août 1944. Sur les plages de Cavalaire débarquent les éléments avancés de la 1re Division motorisée d’infanterie sous les ordres du général de Lattre de Tassigny. Essentiellement composée de troupes noires, la 1re DMI foule le sol de France avec émotion. Parmi les troupes d’assaut, la 9e Division d’infanterie coloniale et ses neuf mille tirailleurs sénégalais font preuve, dès le début des combats, d’un courage sans faille pour la prise du pont de Solliès.
Au cours de l’attaque de La Valette, une rencontre hors du commun a lieu. Alors que la bataille fait rage, le sergent-chef Lebreton, Français de métropole, conduit sa section à l’assaut d’une casemate tenue par l’ennemi. Une grenade à manche explose, le blessant grièvement au bras. C’est alors que le caporal-chef Tiémoko Konaté se porte au secours du sous-officier. II le panse sous la mitraille allemande et le ramène à l’arrière, le sauvant ainsi d’une mort certaine. Puis il rejoint sa section et combat jusqu’à la victoire.
Les deux hommes ont noué là des liens indéfectibles qui ne céderont ni à la distance ni au temps. De nombreuses années plus tard, après la libération de l’Alsace et la guerre d’Indochine, alors que M. Konaté est rentré au Mali, son pays d’origine, il reprend contact avec son compagnon d’armes. Son fils souhaitant poursuivre ses études en France, le vétéran demande à son camarade de l’aider. Ce que M. Lebreton fait tout naturellement, en souvenir de la fraternité qui les avait unis des années auparavant. Le fils de M. Konaté est aujourd’hui diplômé.
J’ai voulu profiter, il y a quelques années, de ma position de ministre de la Coopération pour forcer un peu le destin et leur permettre de se revoir. J’ai fait en sorte que les deux combattants se retrouvent lors de la commémoration du Débarquement de Provence en 1994. M. Konaté a fait le voyage jusqu’à Fréjus, où M. Lebreton l’a accueilli. Cinquante années étaient passées, mais elles n’avaient en rien entamé le souvenir de ce jour de combat.
Ces actes d’héroïsme se sont répétés jusqu’à la fin de la campagne d’Allemagne. Ils nous rappellent notre dette envers l’Afrique. Il faut que les nouvelles générations africaines continuent de récolter les fruits semés par les anciens combattants de l’armée d’Afrique au moment de la Libération.
De nombreux soldats ont sacrifié leur vie pour défendre une terre lointaine et inconnue, mais aussi les valeurs qui font la grandeur de la France et dépassent les frontières. Nombreux sont les participants à la première campagne de France en 1940 qui ont refusé la défaite et, s’évadant de prison, ont rejoint les maquis ou les troupes de la France libre.
Nombreux sont ceux qui ont refusé d’être démobilisés en 1944, au lendemain de ce débarquement de Provence, pour demeurer auprès de leurs frères d’armes jusqu’à la libération totale de notre territoire.
Si nous sommes libres, nous le devons en grande partie à cette armée d’Afrique. Et quelle fierté pour nous, Français, d’entendre aujourd’hui d’anciens combattants de cette armée affirmer : « La France demeure notre mère patrie. »
Grâce à ces soldats, la France a surmonté en partie l’humiliation de 1940, et figuré en 1945 dans les rangs des vainqueurs. Elle doit maintenir son effort de solidarité, pour montrer qu’elle n’oublie pas ceux qui, unis dans un destin commun, ont servi sous son drapeau et, quelle que soit leur nationalité, demeurent une part d’elle-même. Et peut-être entendrons-nous le 14 juillet prochain sur les Champs-Élysées retentir le « Chant des Africains ».

* Michel Roussin, ancien ministre français de la Coopération, est vice-président du groupe Bolloré.

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