Laurent Nkunda

Général dissident du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD)

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

L’homme n’était certes pas un inconnu. Mais depuis qu’il a pris les armes contre le régime de transition en République démocratique du Congo (RDC), Laurent Nkunda est devenu le militaire le plus célèbre du pays. Le 2 juin dernier, le général dissident se rendait maître de la ville de Bukavu, dans l’est du pays, en en chassant l’armée régulière. Même s’il a évacué l’agglomération au bout d’une semaine, l’officier du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) demeure toujours une grave menace pour la paix au Nord- comme au Sud-Kivu. Après avoir placé les Casques bleus de la Monuc (Mission des Nations unies au Congo) en porte-à-faux, il a menacé directement le processus de paix en cours, se déclarant prêt à « libérer l’est du Congo » si des mesures n’étaient pas prises pour protéger la communauté banyamulenge. Celle-ci est composée de pasteurs rwandophones installés pour certains depuis le XIXe siècle sur les collines du Kivu. À proximité de Bukavu, son allié, le colonel Jules Mutebusi, s’est même battu contre l’armée régulière. Peu à peu, la « dissidence » semble glisser vers la rébellion, dont le Rwanda est présenté par Kinshasa, une fois de plus, comme le principal instigateur.

Il est vrai que Nkunda ne cache pas sa proximité avec le régime de Kigali. Tutsi congolais de 37 ans, la stature élancée, le visage émacié, Laurent Nkunda a d’ailleurs commencé sa carrière militaire, comme beaucoup de ses frères d’armes, pour le compte de Paul Kagamé. Il a combattu dans les rangs du Front patriotique rwandais (FPR), l’ex-rébellion qui a permis à l’actuel président rwandais de renverser le régime de Juvénal Habyarimana, en juillet 1994.
Interrogé, quelques heures après la chute de Bukavu, sur ses relations avec le Rwanda voisin, le général Nkunda n’a rien caché de ses relations avec le pays des Mille Collines. « Je suis un rwandophone, j’ai été un officier rwandais pendant leur lutte. Ce sont mes frères. » Il a toutefois nié être entré en dissidence avec le soutien de Kigali. Né en 1967 dans le territoire de Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu, Nkunda a fait des études de psychologie à l’université de Kisangani, la principale ville du nord-est de la RDC. Il a également suivi des cours à l’université adventiste de Mudende, localité située au nord-ouest du Rwanda. Mais depuis plus de dix ans que Nkunda a revêtu le treillis, il a successivement combattu aux côtés du FPR, puis contre Mobutu et, enfin, au sein du RCD contre le régime des Kabila père et fils. C’est donc sur le terrain que ce jeune homme aux allures d’intellectuel a acquis ses galons et, surtout, l’estime de ses hommes. En temps de guerre, sa troupe compte quelque 4 000 éléments. En temps de paix, il dit pratiquer l’élevage bovin sur les collines tempérées du Nord-Kivu. Sa langue maternelle est le kinyarwanda. Mais, contrairement au colonel Mutebusi, Nkunda n’appartient pas à la communauté banyamulenge.
Depuis la constitution du gouvernement d’union nationale, le 30 juin 2003, l’officier est théoriquement rattaché à l’état-major général de l’armée congolaise, à Kinshasa. Mais il a toujours refusé de rejoindre la capitale, affichant ouvertement sa méfiance à l’égard du processus d’intégration des ex-rebelles au sein de la grande muette. Cette réticence n’est sans doute pas étrangère aux événements qui ont déchiré Kisangani en mai 2002. Gravement mis en cause par l’organisation Human Rights Watch (HRW), pour son implication dans la répression sanglante de la mutinerie qu’a alors connue cette ville, Laurent Nkunda craindrait d’éventuelles poursuites pour crimes de guerre.

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Des craintes toutes relatives, si l’on en croit les organisations de défense des droits de l’homme : « Les exactions commises à Bukavu démontrent ce qui peut arriver lorsque les crimes du passé restent impunis, explique HRW. Le général Nkunda était l’un des officiers en charge du commandement des soldats du RCD-Goma qui ont aveuglément tué des civils et commis de nombreux viols et pillages. En dépit de la condamnation de ces crimes par l’ONU, ni Nkunda ni les autres officiers n’ont fait l’objet d’une enquête et encore moins d’une inculpation. Au contraire, le RCD-Goma a proposé que Nkunda aide à diriger l’armée unifiée. »
Résultat : l’officier supérieur et ses hommes se sentent en position de force. Après avoir pris Bukavu, le général a d’abord voulu composer avec Kinshasa, reconnaissant d’emblée l’autorité du chef de l’État, Joseph Kabila. Mais, très vite, son discours s’est radicalisé. Le 14 juin, il menaçait de déclarer la guerre au gouvernement si une commission d’enquête sur des crimes présumés à l’encontre des Banyamulenges n’était pas créée.

Trois jours après cet ultimatum, Nkunda s’est montré plus conciliant : il a assuré ne pas vouloir la partition de la RDC, mais prôner « le fédéralisme ». Des propos qui ne sont pas sans rappeler les deux rébellions, celle lancée en 1996 par Laurent-Désiré Kabila contre Mobutu, puis, en 1998, celle menée contre Kabila par ses anciens alliés, l’Ouganda et le Rwanda voisins.
Reste à savoir si le Rwanda, cette fois encore, sera partie prenante. Selon HRW, la question ne se pose même plus : « Le général Nkunda a été formé au Rwanda et entretenait des liens étroits avec les Rwandais tout en servant dans les rangs du RCD-Goma. À Bukavu, des sources locales ont affirmé que des éléments de l’armée rwandaise étaient présents lors des récents événements. Elles ont prétendu avoir identifié des commandants qu’elles connaissaient de l’occupation rwandaise précédente et ont également déclaré avoir pu reconnaître les véhicules, armes et uniformes utilisés par l’armée rwandaise. »
Accusé par Joseph Kabila de jeter de l’huile sur le feu, le régime de Paul Kagamé, lui, nie énergiquement toute implication dans le guêpier du Kivu. « Nous sommes une nation et nous ne contractons d’alliances qu’avec des nations », a déclaré le ministre rwandais des Affaires étrangères, Charles Murigande, le 15 juin. Non sans ajouter que l’intervention de soldats dissidents congolais dans l’est de la RDC était « probablement justifiée ».
Seule certitude, les marches orientales de l’ex-Zaïre restent la proie des « forces négatives » : milices Maï-Maï, extrémistes hutus « Interahamwes », rebelles en rupture de ban… Des combattants de tout poil qui hantent toujours les deux Kivus. Et les autorités de Kigali ne se plaindront sans doute pas de voir l’un de leurs alliés naturels faire « un peu de ménage » sur la rive congolaise du lac Kivu. Pour sa part, le général Nkunda reste très elliptique sur cette évidence stratégique. « Avec Kigali, nous sommes dans une communauté d’intérêts régionale », déclare-t-il, laconique. Reste à savoir jusqu’où…

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