L’armée des ombres

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 2 minutes.

Question : au sein des forces d’occupation en Irak, quel est le contingent militaire le plus nombreux après celui des États-Unis ? La plupart des gens répondront sans doute : le corps expéditionnaire britannique. Eh bien, c’est une erreur : le plus important est composé de mercenaires – milices privées et soldats de fortune -, soit plus de dix mille hommes. Cela dans le cadre d’une sorte de « privatisation » de la guerre, discrètement mise en oeuvre par Washington et qui prend chaque jour plus d’ampleur.
Un étrange incident pouvait récemment alerter, tout au moins intriguer… Au début de l’année, un tir de mortier frappa l’aéroport de Bagdad, tuant aussitôt le « caporal » Tomasi Ramatau, 41 ans. Rien là, pensera-t-on, de très remarquable, dans le contexte irakien. Mais, plus bizarrement, personne ne mentionna sa mort et nul n’ajouta son nom à la liste officielle des victimes.
Une enquête menée par Foreign Report, publication « confidentielle » du Jane’s Information Group, spécialisé dans les questions militaires, permet de lever un coin du voile. Le « caporal » Ramatau était en réalité un civil originaire des îles Fidji, qui travaillait pour une firme privée opérant au Moyen-Orient. Il cherchait de l’argent et trouva la mort, illustrant ainsi, par son drame personnel, une évolution plus générale et plus révélatrice : l’usage grandissant d’organismes militaires privés regroupant sous contrat des hommes et des femmes pour servir d’auxiliaires aux troupes américaines. Selon des chiffres officiels du gouvernement des États-Unis, sur un total de 85 milliards de dollars alloués aux opérations militaires du Moyen-Orient, plus d’un tiers va à ces firmes privées, soit une somme qui dépasse les budgets défense de la plupart des pays. Comment cela s’est-il passé ?

Ce personnel civil sous contrat fut d’abord affecté au transport et à la maintenance, puis au fonctionnement des nouveaux types d’armement : les « drones » (sans pilote) dits « Predators », les Global Hawks et les bombardiers « furtifs » B2. Ce genre de missions connut une extension progressive au lendemain des combats proprement dits. C’est ainsi qu’une société américaine a obtenu des contrats lucratifs pour entraîner la nouvelle armée irakienne. Une autre a été chargée de recruter et de former la nouvelle police irakienne. Et maintenant, même la protection rapprochée du chef de l’administration civile américaine en Irak, Paul Bremer, a été confiée à une société de « gorilles » privés plutôt qu’aux troupes américaines régulières. Une autre de ces sociétés, basée aux États-Unis, se charge de patrouilles opérant sur tout le territoire irakien avec un arsenal qui va des fusils d’assaut M4 aux canons de 20 mm montés sur ses propres hélicoptères de combat. Ces sociétés privées sont en mesure de recruter nombre de jeunes hommes, parfois démobilisés dès les lendemains de l’après-guerre froide et qui sont toujours prêts à la guerre. D’autant plus qu’ils sont bien payés : officiellement, quelque 170 000 dollars par an en Irak, plus de substantiels dessous-de-table. Autres avantages pour Washington : leur perte est plus facilement acceptée que celle des soldats « normaux », et ils travaillent dans une zone légalement « grise », l’emploi de mercenaires étant interdit par les conventions de Genève.

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