Konaré : mon programme

À l’occasion du sommet de l’organisation continentale, du 6 au 9 juillet à Addis-Abeba, le président de la Commission présentera aux chefs d’État et de gouvernement sa « feuille de route » pour les quatre prochaines années. Voici en exclusivité des extrai

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

Près d’un an après son élection et neuf mois après son installation effective à la tête de la Commission de l’Union africaine, le 19 septembre 2003, Alpha Oumar Konaré passe à l’offensive. Il soumettra aux chefs d’État membres de l’organisation panafricaine, début juillet à Addis-Abeba, « sa » feuille de route. À savoir, deux documents portant à la fois sur la « vision et les missions » de l’exécutif continental et sur les grandes lignes d’un programme « stratégique » quadriennal censé conduire à l’intégration politique, économique et socioculturelle des 53 pays membres. « On doit tous s’y mettre, écrit Konaré dans une note liminaire. D’abord, les États, pour ce qui concerne les ressources financières et humaines, ensuite, les peuples, parce qu’il n’y aura d’intégration que celle voulue et dictée par eux, enfin, les organes de l’Union, qui doivent se départir des tares du passé. Si ces derniers sont dotés de moyens nouveaux, conséquents et durables, ils devront se soumettre à une logique d’entreprise. Donc, devenir plus exigeants avec eux-mêmes, développer leurs propres indicateurs de performance et s’obliger à avoir les résultats annoncés dans les échéances prévues. »
Pour se faire une idée plus précise des difficultés de sa mission, Konaré, épaulé par les neuf autres membres de la Commission, a mis à profit ces derniers mois pour écouter les avis et les conseils de personnalités d’horizons divers : fonctionnaires du siège et des bureaux extérieurs, diplomates, politiques, opérateurs économiques, patrons de presse, intellectuels, responsables d’ONG, partenaires au développement basés dans la capitale éthiopienne : « L’exercice participait, assure-t-il, d’une volonté d’appropriation citoyenne de la question de l’intégration africaine. » Au sortir de ces séances de brains-torming, la Commission a dégagé six objectifs « prioritaires » à réaliser d’ici à 2008. À savoir, rendre l’exécutif continental « plus fort et plus responsable » ; formuler une « vision partagée » de l’avenir du continent, contribuer à son rayonnement culturel, en ayant à l’esprit ce proverbe africain : « aucun pays du monde ne s’est développé en se couchant sur la natte des autres ». Mais aussi favoriser la coopération régionale et interrégionale, promouvoir une « nouvelle citoyenneté » et travailler, mieux que par le passé, au décollage des économies africaines.
« L’Union africaine (UA) se distingue de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) par l’ampleur des responsabilités qui lui ont été confiées, souligne l’un des deux documents. Il est donc crucial que la Commission, qui en est l’aiguillon et le gouvernement continental, dispose de moyens pour lui permettre de s’affirmer à l’extérieur et à l’intérieur. » Tournant résolument le dos au passé, le président de la Commission voit donc grand. Et réclame, au risque de faire grincer des dents du côté de certains chefs d’État, « une délégation de pouvoir dans des domaines à préciser », un transfert progressif de souveraineté tant au niveau régional que continental, la transformation des Communautés économiques régionales actuelles (Cedeao, Cemac, etc.) en « Communautés d’intégration régionale », en rappelant au passage que le Nepad, le fameux Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique, n’est qu’un « organe », parmi tant d’autres, de l’UA. « La Commission doit impulser des réflexions sur des sujets d’intérêt commun, poursuit Konaré, assurer un rôle de veille et de vigie stratégique, être l’interface entre l’Afrique et le monde extérieur. »
Questions : avec quelle équipe entamer la transformation du « machin » qu’était l’OUA en une « machine de guerre » capable d’assurer la renaissance et l’intégration africaines ? Et avec quels financements ? En arrivant, en septembre 2003, à Addis-Abeba, l’ancien président malien a hérité d’une organisation lourde, inefficiente et en panne d’imagination, croulant sous des millions de dollars d’arriérés de cotisations, avec un personnel démotivé et pour le moins nonchalant. Le farniente est terminé. La compétence et la méritocratie sont en passe de retrouver leurs droits. Du moins, si l’on en croit les deux documents dont le contenu sonne a posteriori comme un aveu : « Nous avons un besoin urgent de fonctionnaires hautement qualifiés, compétents, intègres, avec un système de représentation équitable entre les régions et les genres. À cela, il faut ajouter un système de motivations qui permette d’attirer et de recruter les ressources humaines d’Afrique et de la diaspora. Toujours dans le cadre de la recherche de l’efficacité, l’accent sera mis sur un mécanisme régulier d’évaluation des performances, de même qu’un système de formation continue pour assurer la mise à niveau de notre staff dans un contexte international hautement concurrentiel. »
Côté finances, Alpha Oumar Konaré et ses neuf « ministres » n’entendent pas être de simples agents de recouvrement. Ni se contenter des 40 millions de dollars du budget de fonctionnement de la défunte OUA. Sur ce point, ils font preuve de lucidité, d’audace. Ils innovent aussi : « Les contributions financières régulières des États membres et les recouvrements des arriérés ne seront pas suffisants pour couvrir tous les besoins, constatent-ils. Doivent donc être explorées toutes les possibilités de mobilisation de ressources additionnelles pour le financement des programmes de l’Union africaine, singulièrement dans les domaines cruciaux tels que la prévention, le règlement des conflits et le maintien de la paix. L’idée d’une inscription budgétaire pour chaque membre, pouvant aller jusqu’à 0,5 % des recettes totales des États, pourrait être envisagée, de même que la mise en place de fonds fiduciaires. La contribution des Communautés économiques régionales via leurs prélèvements fiscaux et douaniers doit également être envisagée. Ce sera le signe d’une volonté politique forte d’intégration de la part des États et le point de départ de l’indispensable appropriation par les peuples et les Parlements de l’Union africaine. »
Véritable VRP de l’intégration, Konaré envisage, ainsi qu’il nous l’a confié récemment, de suggérer aux chefs d’État de porter le budget de fonctionnement de l’organisation panafricaine de 40 millions de dollars à… 600 millions de dollars (324 milliards de F CFA). À titre de comparaison, l’Union européenne (deux fois moins peuplée que l’Afrique) dispose d’un budget d’environ 120 milliards de dollars par an, soit 1,2 % du PNB des vingt-cinq pays membres. Si la proposition était retenue, une partie de l’enveloppe financière pourrait servir à la lutte contre le sida ou à financer les opérations de maintien de la paix sur le continent. En contrepartie, le président de la Commission s’engage à soumettre l’organisation à une gestion financière et comptable plus rigoureuse, à faire évoluer le système actuel de programmation budgétaire (annuel) vers un programme biennal, voire pluriannuel. Sera-t-il suivi par des États, pour la plupart, en mauvaise santé financière et qui, pour certains, devaient, parfois, compter sur la générosité du Guide libyen Mouammar Kadhafi pour apurer leurs arriérés de contributions ? Konaré, décidément optimiste et volontariste, semble y croire : « Les États ont décidé en toute souveraineté de créer l’Union africaine. Il faut qu’ils en tirent les conséquences et lui donnent les moyens de parvenir à ses objectifs. » « Nous ne demandons pas la lune, ajoute un autre membre de la Commission. 600 millions de dollars, c’est après tout quatre fois et demie moins que les indemnités versées par la Libye aux ayants droit des victimes de l’attentat de Lockerbie… »

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