Elliott Abrams, l’homme d’Israël

Architecte de la politique reaganienne en Amérique latine, le conseiller de Bush sur le Grand Moyen-Orient est un inconditionnel d’Ariel Sharon.

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

Il est souvent difficile, pour un dirigeant éclairé, de nommer l’homme qu’il faut, au poste qu’il faut, au moment où il faut. Moins éclairé, tel l’actuel président des États-Unis, il lui arrive, à l’inverse, de choisir plus tranquillement celui que tout son bilan devrait écarter des fonctions qu’on lui destine. De toutes les nominations auxquelles a procédé George W. Bush, l’une des plus remarquables, à cet égard, est celle d’Elliott Abrams, affecté au Conseil de sécurité nationale successivement comme « directeur du bureau pour la démocratie, les droits de l’homme et les opérations internationales » puis comme principal conseiller présidentiel sur le Grand Moyen-Orient.
Âgé aujourd’hui de 56 ans et devenu ainsi l’un des plus exemplaires « néocons » qui inspirent la Maison Blanche, Abrams est apparu il y a treize ans sur le devant de la scène. Une scène judiciaire. Comparaissant en octobre 1991 devant un juge fédéral, il dut plaider coupable pour un double délit de mensonge au Congrès dans le scandale dit de l’« Iran-Contra » dont il avait été, dans les années 1980, sous Ronald Reagan, l’un des principaux acteurs. Condamné pour parjure, puis gracié en 1992 par George Bush senior, « peu nombreux » pourtant, a pu écrire l’an dernier Michael Dobbs dans The Washington Post, « ceux qui imaginaient le voir revenir au gouvernement ». Las ! George « W », comme George « H », apprécie les talents des spécialistes de son espèce, qu’ils s’appliquent à l’Amérique latine ou au Moyen-Orient.
Or le « passé » latino-américain de celui qui peut aussi, parallèlement à ses fonctions officielles, présider sans rire le Centre d’éthique et de politique, ne manque pas d’éloquence. Conservateur formé à Harvard, devenu sous Reagan secrétaire d’État adjoint et principal architecte de la politique des États-Unis en Amérique centrale, il se manifesta d’emblée comme le partisan le plus agressif de l’intervention américaine au Nicaragua. Sous prétexte de lutter contre Fidel Castro et, plus généralement, contre le « communisme mondial », celle-ci visait à armer les Contras, c’est-à-dire les commandos antisandinistes qui, depuis le Honduras, pendant près de dix ans, multiplièrent les opérations terroristes, au prix de quelque dix mille morts. Alarmé par leur sanglante inutilité, le Congrès adopta l’amendement dit « Boland », qui interdisait de telles fournitures militaires. Elles se poursuivirent néanmoins illégalement, sous la direction du lieutenant-colonel Oliver North, du Conseil de sécurité nationale, avec l’active participation d’Elliott Abrams, son artisan majeur, qui n’hésita pas à témoigner sous serment, à plusieurs reprises, devant ledit Congrès, que seules des « aides humanitaires » étaient apportées aux Contras. D’où, après quatre ans de polémiques et de tergiversations, deux accusations de « félonie », dont il put seulement limiter les conséquences en plaidant coupable. Mary McGlory, du Washington Post, se souvient de ses « comparutions hargneuses, devant les commissions parlementaires, pour défendre les escadrons de la mort et les dictateurs, nier les massacres et mentir sur les activités américaines illégales de soutien aux Contras nicaraguayens. Abrams raillait ses critiques pour leur aveuglement et leur naïveté, ou les traitait de « vipères ». »
Tel est le personnage qui, depuis décembre 2002, par la grâce de George « W », joue désormais un rôle clé dans l’élaboration de la politique moyen-orientale des États-Unis. Certes, il n’a pas encore pu y donner toute sa mesure. Mais il s’est déjà employé à renforcer les liens entre le lobby juif américain de l’Aipac (American-Israel Public Affairs Committee) et la droite chrétienne prosioniste. En sabotant alors tout processus de paix avec les Palestiniens, au motif qu’ils ne manifestaient pas assez leur bonne foi en luttant plus efficacement contre le terrorisme, il scella le destin du Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas, qui démissionna en septembre 2003, frustré par le manque de progrès dans la mise en oeuvre de la « feuille de route » en direction d’un État palestinien.
Par ailleurs, révèle Newsweek, il fut le premier responsable américain à être informé du plan de désengagement de Gaza présenté par Sharon à George W. Bush durant une rencontre à Rome entre l’un et l’autre, en novembre dernier. Et c’est lui, avant tout, qui pressa « W » d’en accepter tous les termes – à commencer par les plus discutables – sans la moindre discussion. Toujours selon Newsweek, un vif débat s’était déroulé entre les responsables de la politique moyen-orientale, comprenant notamment William Burns, secrétaire d’État adjoint. Mais quand, dans son projet final, Sharon exclut la moindre possibilité de « retour » pour les Palestiniens, tout en prévoyant l’annexion définitive de blocs entiers d’implantations en Cisjordanie, Burns dit fermement son hostilité tandis que l’ambassade américaine à Tel-Aviv avertissait Washington que de telles « concessions » compromettraient de futures négociations. Seul Abrams, avec quelques autres « néocons », réussit à convaincre Bush d’accepter.
En vérité, l’unique échec, quoique de taille, subi jusqu’ici par les « néocons » fut la mise à l’écart d’Ahmed Chalabi, longtemps leur enfant chéri mais convaincu, notamment, de passer des documents secrets aux Iraniens, avec la complicité d’anciens de l’Iran-Contra dont les opérations criminelles s’étaient poursuivies de manière souterraine.
Abrams, pour sa part, s’efforce de faire oublier cette fâcheuse connexion pour se concentrer sur une apologie sans nuances d’Ariel Sharon : « Israël, a-t-il pu écrire récemment(*), continue de faire face à un péril mortel, entouré qu’il est d’ennemis qui souhaitent sa destruction. Quand Ehoud Barak rechercha la paix au prix de concessions et de compromis si importants qu’ils menaçaient la sécurité de la nation, ceux-ci furent aussitôt repoussés par l’Autorité palestinienne. La grande majorité des Israéliens vit alors clairement que leurs voisins arabes – aujourd’hui comme dans les guerres de 1948, 1967 et 1973 – ne veulent pas la paix, mais la victoire, non point un compromis mais une reddition, et pas davantage un État juif mais un autre État arabe en Israël. Ainsi les Israéliens ont-ils choisi un dirigeant qui a toujours su, et dit, que la voie de la paix passe par la force plutôt que par la faiblesse, et par la fermeté plus que par des concessions unilatérales. »
N’est-ce pas Ariel Sharon, pourtant, qui parla maintes fois de « concessions douloureuses » ? Elliott Abrams, visiblement, se veut encore plus sharonesque que Sharon lui-même…

* Beliefnet, sous le titre « Pourquoi Sharon ? » [Il s’agit d’un site Internet privé et multiconfessionnel, alimenté par de nombreux auteurs.]

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