[Tribune] L’immigré, cet éternel bouc-émissaire de l’arène politique française
Il fallait bien que cela arrive. Avec l’annonce par le gouvernement français de vingt mesures restrictives touchant les migrants et les demandeurs d’asile – qui remettent à l’ordre du jour l’idée de quotas d’immigration professionnelle et le durcissement des conditions d’accès aux soins médicaux pour les personnes sans titre de séjour –, voilà que l’immigration revient sur le devant de la scène.
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Samia Maktouf
Samia Maktouf est avocate, inscrite aux barreaux de Paris et de Tunis, et conseil près la Cour pénale internationale.
Publié le 13 novembre 2019 Lecture : 4 minutes.
L’immigré est replacé au cœur de l’arène politique, au grand bonheur de certains médias amplificateurs et au grand dam des personnes issues de l’immigration et des demandeurs d’asile. Ils se retrouvent ainsi au cœur d’un tourbillon médiatico-politique alimentant ce malaise indicible qu’éprouve celui qui se sent regardé, scruté, parfois suspecté de profiter indûment de droits.
Fraternité et cohésion nationale
Le débat est légitime. Le droit des étrangers fait partie des législations qui fondent l’ordre juridique d’un pays. Il doit être discuté régulièrement, évoluer et s’adapter aux politiques publiques que l’État souverain souhaite mettre en œuvre. Mais il doit s’inscrire dans une éthique et un respect des droits fondamentaux. Il ne peut s’affranchir des valeurs de fraternité et de cohésion nationale, au cœur de l’esprit républicain. Sans l’hospitalité, une loi sur l’immigration n’en est pas une.
Depuis 1945, pas moins de cent lois sur cette question ont été adoptées en France, de plus en plus dures. Avec cette inflation législative, la porte s’est toujours un peu plus fermée. Non contents d’empêcher les nouveaux candidats à l’immigration d’entrer dans l’Hexagone, les pouvoirs publics ont fini par s’en prendre aussi aux Français qui tentent d’aider un tant soit peu ceux qui parviennent à passer entre les mailles du filet.
C’est devenu un délit, le délit de solidarité. Heureusement, le 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel a critiqué cette qualification, consacrant ainsi, pour la première fois, la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. Salutaire rappel du lien historique entre les constitutions françaises – depuis celle de 1946 – et les conventions internationales, héritières de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui ont régulé le droit d’asile.
Postures stériles
Pourtant, le débat lancé par le gouvernement français en cet automne 2019 se déroule dans un climat délétère, nourri d’une actualité tristement exploitée par les extrêmes, pourvoyeurs de la peur de l’autre, et amplifiée par quelques médias avides de sensationnalisme.
Doit-on pour autant se contenter d’observer de façon passive ces échanges parasités par les stéréotypes, les clichés, les amalgames et les postures stériles ? Doit-on mettre de côté l’humanisme qui distingue l’État de droit français, abreuvé aux idéaux de solidarité et de fraternité qui ont fait l’honneur de la France ? Doit-on renier le siècle des Lumières, qui a fait de la France une terre d’asile et des droits de l’homme ? Pouvons-nous rester impassibles face à ces clichés qui réduisent l’immigré à une charge budgétaire, à n’être que la source d’une prétendue « insécurité culturelle », voire à une menace potentielle à l’ordre public ?
Fallait-il donc lancer un énième débat, alors qu’une loi « asile et immigration » a été votée il y a juste un an
Il y aura toujours, hélas, des abus et des fraudes. Pour autant, faut-il occulter les millions de personnes, immigrées ou enfants d’immigrés nés sur le territoire français ? Tous vouent à la France, leur pays, un profond respect et un dévouement à ses principes et à ses valeurs. Ils poursuivent leur chemin dignement dans la collectivité nationale, dans le respect de l’État de droit, et contribuent pleinement au développement et à la prospérité de l’Hexagone, dans tous les domaines.
Fallait-il donc lancer un énième débat, adopter de nouvelles mesures, alors qu’une loi « asile et immigration » a été votée il y a juste un an ? Voilà qui est bien suspect, à l’approche d’échéances électorales municipales et présidentielle, dans une tentative grossière de mimer les sujets phares de l’extrême droite. Seulement, à force de jouer avec le feu, on finit par se brûler. Normaliser ce genre de discours, c’est à terme le rendre hors de contrôle.
La reprise en main de l’immigration que prétend vouloir effectuer le gouvernement français gagnerait à s’opérer dans le respect de la dignité de l’immigré et du demandeur d’asile. Elle ne doit pas se transformer en alibi pour un affrontement politique qui n’apportera rien et ne peut que creuser encore des fossés dans une société déjà bien fracturée.
Ciment de la société
Au-delà du débat légitime de fond sur l’immigration économique – et ses quotas – qu’il ne s’agit pas d’écarter, ne faut-il pas une approche plus réaliste et plus respectueuse du travailleur immigré, sans recourir aux clichés rétrogrades ? En effet, le débat actuel renvoie au travailleur immigré, non qualifié, tel le « plongeur » qui vient occuper le métier que « les Français refusent d’exercer », évoqué par Emmanuel Macron. Est-ce là l’image que cette politique de quotas souhaite porter ?
Aujourd’hui, les travailleurs étrangers sont aussi hautement qualifiés. Ils évoluent dans tous les secteurs économiques. Ils sont médecins, informaticiens, ingénieurs… Ils font partie intégrante du tissu économique du pays. Eux aussi, ils forment le ciment de la société française. Ils sont originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’ailleurs.
Au-delà des batailles législatives franco-françaises, ce n’est rien de moins que le rapport à l’autre, l’étranger, l’ailleurs, qui se joue une fois de plus. Si seulement la France pouvait se souvenir que la migration concerne toute la planète, qu’elle a construit toute l’histoire de ce monde, car, dans les mots si justes d’Achille Mbembe, « il n’y a d’Histoire que dans la circulation des mondes, dans la relation avec Autrui ».
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