De la fourche à la fourchette

Dans ce centre de recherche de Ouagadougou, les études ont toutes une application concrète dans le quotidien des populations.

Publié le 21 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Alfred Traoré est métamorphosé. En 2001, ce biochimiste burkinabè était directeur de l’université de Ouagadougou. Il avait dû affronter la colère des étudiants qui étaient alors bien plus nombreux que ce que les infrastructures pouvaient absorber. Grève, manifestations, intervention musclée de l’armée, année invalidée… À la suite de ces événements, il a été chargé d’organiser une refondation totale de la faculté. Avant que Joseph Paré ne prenne le relais.
Peut-être épuisé par l’ampleur de la tâche et pourtant menée à bien, ce grand gaillard à la carrure de rugbyman ne souriait plus et affichait une mine terne en permanence. Désormais à la tête du « Pôle d’excellence en biotechnologies » de l’université de Ouagadougou, Alfred revit. Il a retrouvé ses premières amours, la recherche appliquée. Il aurait pu l’exercer à l’université française de Marseille, où il a fait ses études doctorantes et où la direction lui fait régulièrement un pont d’or. Mais il a préféré revenir chez lui et transmettre son savoir appris au Nord dans un pays du Sud.
Dans ce centre unique en Afrique, il ne fréquente que peu son bureau climatisé, préférant de loin la chaleur moite des quatre laboratoires. Il participe de près ou de loin à tous les projets de recherche et en maîtrise toutes les données scientifiques. Pour les étudiants, ce centre, avec son matériel de haute volée technologique n’ayant rien à envier à celui des laboratoires des pays développés, est un cadeau inespéré. L’ensemble des doctorants, issus de tous les pays de la sous-région, ne boudent pas leur plaisir de travailler dans un tel cadre et expliquent avec passion le sujet de leurs études. Car, ici, aucune recherche n’est menée si elle n’a pas une application concrète dans le quotidien des populations locales. De la gestion des déchets à l’alimentation de la mère et de l’enfant, pour éviter notamment les diarrhées souvent fatales aux nouveau-nés, en passant par l’élaboration d’un vaccin contre le paludisme, les études sont destinées à améliorer par des moyens simples la vie des gens.
Les objets d’études sont en général des organismes animaux ou végétaux locaux, exclus des protocoles de recherche des laboratoires pharmaceutiques du Nord. Deux cents molécules sont ainsi en cours de caractérisation. Mais le profit n’est pas l’objet de cette école, qui accueille trente-six étudiants provenant de onze pays, du Congo au Sénégal. Lorsqu’une découverte importante est réalisée, la priorité pour Alfred Traoré est de « la mettre immédiatement en application ». L’administration de l’université ne dépose pas de brevet ni ne vend le produit de ses recherches. La solution la plus utile, selon le président, est de céder ce dernier à une entreprise ou de former des équipes à son utilisation. Ensuite, et c’est là que se trouve le bénéfice pour l’école, « d’autres étudiants de l’école partiront en stage avec ces professionnels ».
Les trente-six doctorants de cette année, parmi lesquels un tiers de filles, sont ravis d’évoluer à ce niveau sur leur continent. Ils apprécient de se sentir utiles pour leurs semblables, par exemple lorsqu’ils réalisent des analyses sanguines pour les séropositifs avec l’appareil le plus performant du pays, ou lorsqu’ils étudient la possibilité de produire de l’énergie à partir du recyclage des déchets agro-industriels.
Il y a peu, personne n’aurait parié un sou sur une école animée d’une telle ambition. Pourtant, elle tourne, pour le plus grand bonheur d’Alfred Traoré qui rappelle que « lorsqu’il est revenu de Marseille, en 1981, rien n’existait dans le domaine des biotechnologies au Sud ». Mais le projet a pu aboutir grâce au soutien de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), qui finance ce pôle d’excellence, permettant ainsi la mobilité des étudiants et des professeurs, dont 77 % sont issus d’universités africaines, contre 17 % d’universités européennes et 6 % d’institutions internationales. D’autres partenaires, notamment les coopérations française, néerlandaise, américaine et belge aident également à la vie de cet établissement, qui acquiert peu à peu une renommée plus large : un étudiant libanais a déposé un dossier de candidature pour intégrer la prochaine promotion. Pour effectuer des recherches qui, comme le rappelle le professeur Traoré, « conduisent directement de la fourche à la fourchette ».

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