Bill Clinton
En librairie aux États-Unis le 22 juin, les Mémoires de l’ex-président américain semblent promis à un très large succès.
« Je ne sais pas si c’est un bon livre, mais c’est à coup sûr une bonne histoire. » Ainsi s’exprimait, faussement modeste, le quarante-deuxième président des États-Unis, William Jefferson Blythe IV Clinton, devant un parterre de deux mille personnes réunies pour l’ouverture de Book Expo America, à Chicago, le 3 juin. Le livre dont il parlait – et sur lequel il a glosé pendant plus de quarante-cinq minutes – est peuplé d’une multitude de personnages connus : on y croise, au gré des années, Yasser Arafat et Itzhak Rabin, Hillary Clinton et Monica Lewinsky, Newt Gingrich(*) et Kenneth Starr, George Bush père et fils, Bob Dole et bien d’autres. Et pour cause. My Life, qui sort le 22 juin en anglais et le 23 juin en français (chez Odile Jacob), n’est rien de moins que l’autobiographie de celui qui fut pendant huit ans le locataire atypique de la Maison Blanche, de 1993 à 2001. Et qui y serait sans doute resté si la Constitution américaine le lui avait permis. Édité par Sonny Metha, chez Knopf (filiale du groupe allemand Bertelsmann), et avant même d’être lu, le livre suscite déjà des commentaires passionnés et promet de devenir l’un des best-sellers de l’année. Même si, selon la rumeur, on n’y découvrira aucun détail croustillant sur les galipettes qui égayèrent le Bureau ovale quand le talentueux saxophoniste au visage poupin et aux cheveux gris y officiait.
Le lancement de My Life a soigneusement été orchestré par l’éditeur, qui a prolongé le suspense en révélant petit à petit tous les détails d’une transaction exceptionnelle dans l’histoire de l’édition. Pour rédiger les 992 pages consacrées aux cinquante-sept premières années de sa vie, Clinton a reçu une avance de 10 millions de dollars – soit 2 millions de dollars de plus que sa femme, Hillary Rodham Clinton, pour l’écriture de Living History (publié chez Simon & Schuster et traduit chez Fayard). Celle que l’ex-président appelle souvent « ma sénatrice » a écoulé 2,8 millions d’exemplaires de son bouquin dans le monde. Pour un premier tirage inférieur de 500 000 à celui de son mari qui, avec 1,5 million d’exemplaires, dépasse le score établi par le pape Jean-Paul II en 1994 (1,3 million)… mais fait pâle figure en regard du petit magicien de la romancière britannique J. K. Rowling, Harry Potter (8,5 millions). Il n’empêche : sur www.amazon.com, le livre est déjà en tête des commandes. L’image que Clinton a laissée dans les esprits n’y est sans doute pas pour rien.
Pour beaucoup d’observateurs, la publication d’un tel pavé prouve que l’ancien président démocrate, controversé mais porté par des idéaux forts, véritable animal politique devenu l’homme le plus puissant du monde à seulement 44 ans, entend demeurer une figure incontournable de la vie politique américaine. Et qu’il compte bien soutenir la carrière d’Hillary – qui envisagerait de se présenter à la présidentielle de 2008. « Il y a beaucoup de choses personnelles… Je ne m’épargne pas dans ce livre », a déclaré l’intéressé lors de son allocution au McCormick Place Convention Centre de Chicago. Mais s’il « aime beaucoup Bob Dole » et « apprécie énormément son prédécesseur, George Bush », le jeune retraité reconverti à l’écriture ne se gêne pas pour souffler le chaud et le froid à l’intention de son successeur républicain. Ainsi, après avoir reproché, en mai, à George W. d’avoir négligé la menace représentée par Oussama Ben Laden pour s’attaquer à Saddam Hussein, Clinton a affirmé, cassant : « La politique n’a rien à voir avec la religion, et nous devrions gouverner sur la base de preuves et non guidés par la théologie. » Puis, plus diplomate, il a choisi de baisser la garde : « Si vous ne soutenez pas le président Bush, pourquoi ne pas relire ce qu’il disait pendant la campagne ? Il fait ce qu’il avait promis. » Un compliment mi-figue mi-raisin retourné au centuple par George W. au cours de la cérémonie organisée pour la présentation du portrait officiel de Clinton à la Maison Blanche. « En tant que chef de l’exécutif, [Bill Clinton] a montré une connaissance profonde et étendue de la chose publique, beaucoup de compassion pour les gens dans le besoin et l’esprit conquérant que les Américains aiment chez un président », a assuré, peu rancunier, le futur adversaire de John Kerry.
Quant à Kenneth Starr, le procureur indépendant auquel Clinton doit ses heures les plus noires à la Maison Blanche, il en prend pour son grade. « Vous comprendrez pourquoi Kenneth Starr pensait vraiment qu’il était normal d’appliquer des règles différentes pour moi […] et pourquoi le Congrès a appliqué des règles différentes pour Newt Gingrich », a annoncé Clinton, avant de poursuivre : « En pensant à l’affaire, je me suis senti comme ce jour où, quand j’avais 5 ans, mon beau-père a tiré un coup de feu dans la maison… Et ce qui m’avait terrorisé à l’époque et que je croyais avoir oublié à jamais était de nouveau là. J’étais si mal que je n’ai plus pu travailler pendant quatre heures. » Écrire cette autobiographie a donc été un exercice « thérapeutique » pour l’ancien président qui a dû « s’immerger dans son propre passé » pour pouvoir raconter son exceptionnel parcours. Sa naissance, le 19 août 1946, à Hope, dans l’Arkansas, trois mois après la mort de son père dans un accident de voiture. L’installation à Hot Springs quand sa mère, Virginia Cassidy, se remarie avec Roger Clinton. La violence de son beau-père, alcoolique, l’engagement politique et les encouragements maternels. Sa toute première élection, comme sénateur d’un gouvernement étudiant qui lui permit de serrer la main d’un certain John Fitzgerald Kennedy, à Washington, et donna un sens à ses ambitions. Puis l’influence croissante de la politique sur sa vie, ses études à la Georgetown University, son opposition à la guerre du Vietnam, ses deux années à Oxford, sa rencontre avec Hillary, à Yale, au début des années 1970, suivie par leur mariage en 1975. Et, enfin, la première d’une série de victoires politiques : l’élection comme procureur général de l’Arkansas en 1976, puis l’accession au siège de gouverneur, deux ans plus tard, véritable marchepied pour la Maison Blanche… Mais My Life n’est pas qu’une succession de chromos et d’anecdotes. Clinton évoque aussi la politique étrangère et son rôle dans les pourparlers de paix en Irlande du Nord et au Proche-Orient pour lesquels il fit montre d’un volontarisme à l’épreuve de bien des sectarismes… Un regret tout de même : son éditeur Bob Gottlieb ne lui a pas permis de s’étendre sur l’un de ses films préférés, High Noon (Le train sifflera trois fois), de Fred Zinnemann, avec Gary Cooper et Grace Kelly…
Vendu 35 dollars, My Life a été programmé avant la course d’obstacles de la présidentielle de novembre 2004 afin de ne pas interférer avec la campagne de John Kerry. Car une chose est sûre : son lancement ne va pas passer inaperçu. Dès le 22 juin au soir, Clinton dédicace les premiers exemplaires à quelques pas de son bureau chez Hueman, célèbre librairie de Harlem, le quartier noir de New York. Tout un symbole pour celui qui a constamment oeuvré pour les minorités. Ensuite commence la tournée des grands ducs : Clinton est l’invité du magazine de CBS 60 minutes, du show télévisé d’Oprah Winfrey, de Today sur NBC et de Good Morning America sur ABC. Quant aux librairies susceptibles d’accueillir l’écrivain en herbe, comme The Book Stall de Winnetka dans l’Illinois ou Politics and Prose de Washington D.C., elles ont déjà soumis de longs mémos afin de le convaincre de participer à une séance de dédicace dans leurs locaux. Question de sous ? Bien sûr : l’autobiographie présidentielle tombe à un moment où les livres politiques comme Plan of Attack, de Bob Woodward, ou Against All Enemies, de Richard Clarke, ont le vent en poupe. Ajoutez à cela le charisme personnel de l’ex-président, son goût prononcé pour les femmes et la proximité d’une présidentielle qui s’annonce très disputée, et vous obtenez tous les ingrédients d’un phénoménal succès.
Incontestablement, Bill Clinton est de retour. Et il faudra compter avec lui. Outre s’occuper de sa fondation (le Clinton Presidential Center), il pourrait, selon certains, coordonner les actions contre le sida ou devenir secrétaire général de l’ONU. Son avenir demeure néanmoins incertain, sauf pour les amateurs de science- fiction, qui pourront se plonger dans la lecture de The X President, signé Philip E. Baruth, dont l’intrigue se déroule en 2055 et met en scène un Clinton âgé de 109 ans qui, au mieux de sa forme, continue de gouverner !
* Newt Gingrich est l’ancien président de
la Chambre des représentants, innocenté
par le Congrès dans une affaire d’adultère.
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