Voyage aux camps des déplacés

Fuyant les violences qui sévissent dans l’est du pays, des milliers de familles ont trouvé refuge dans des cantonnements où l’aide humanitaire est encore précaire.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

Ils n’en finissent pas d’arriver. Les plus fortunés ont entassé leurs biens sur des ânes : des ustensiles de cuisine, des nattes, quelques couvertures et, parfois, des sacs de céréales sauvés des pillages. Aux abords du site de Koukou, dans l’est du Tchad (à 100 km de la frontière soudanaise), les familles cherchent l’ombre pour poser leurs baluchons et installer leur campement de fortune avant d’être enregistrées comme déplacées. Chaque jour, plusieurs dizaines de foyers viennent grossir les rangs des personnes fuyant les violences et l’insécurité de leurs villages. Un phénomène qui a commencé à toucher le Dar Sila (département du Ouaddaï, à la frontière avec le Soudan) au début du printemps. Ils seraient aujourd’hui plus de 150 000, en majorité des femmes et des enfants.
Les pics d’arrivées suivent les flambées de violences, comme le 31 mars dernier lorsque les localités de Tiero et de Morena ont essuyé des attaques faisant entre 200 et 400 morts et des centaines de blessés. En deux jours, 9 000 personnes se sont rendues sur le site de Habile, coin de terre desséchée et écrasée de soleil, qui se trouve à côté d’un camp de 20 000 réfugiés soudanais ayant fui le Darfour depuis 2004. L’endroit recense aujourd’hui 30 000 déplacés. Et le chiffre augmente de jour en jour. « On a créé Habile I, II, et dernièrement III pour les nouveaux arrivants. Les gens viennent encore par peur des attaques et pour rejoindre ceux qui sont partis en avril. Ils se regroupent par village », explique Gilbert Nkusi, du bureau de l’Unicef à Goz Beida. « Il y a six mois, il n’y avait personne ici », remarque-t-il en balayant du regard les huttes en tiges de mil recouvertes, pour certaines d’entre elles, d’une bâche siglée UNHCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés). Au seuil de ces habitations surpeuplées, les témoignages s’égrènent et se ressemblent. « Les Djandjawids ne nous laissent pas vivre chez nous. Ils ont volé notre bétail et pillé nos maisons, alors nous avons quitté notre village à pied », explique cette femme installée à Habile depuis sept mois avec ses sept enfants. « Ils ont brûlé nos maisons, mon fils a été tué », raconte Abderrahmane, 50 ans, arrivé il y a un mois. Si les Djandjawids, milices arabes basées au Darfour voisin, font régulièrement des incursions au Tchad, ils ne sont pas les seuls responsables de l’insécurité qui prévaut dans la zone. Selon différents observateurs, des troupes tchadiennes attaquent aussi les populations. « Les autorités ont équipé des milices pour sécuriser les communautés, mais en réalité la prolifération des armes a mené au développement du grand banditisme, assure un membre de l’Ocha (Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies). Le problème des déplacés peut se régler avec un minimum de volonté politique, car, aujourd’hui, c’est le gouvernement qui déstabilise la région. L’armée est là pour faire la guerre, pas pour protéger les citoyens. »
La zone est effectivement le théâtre d’affrontements entre l’armée régulière et les rebelles – pour certains soutenus et armés par le Soudan – qui ont refusé l’accord de Tripoli signé le 24 décembre 2006 entre le gouvernement et le Front uni pour le changement (FUC). À cela s’ajoute la présence de rebelles soudanais – en partie appuyés par le gouvernement tchadien – qui se servent des camps de réfugiés (235 000 répartis à ce jour dans douze camps le long de la frontière) comme base arrière et lieux de recrutement Sur place, difficile de savoir qui est qui. Dans la brousse et sur les pistes, il n’est pas rare de croiser des pick-up équipés de fusils-mitrailleurs ou de lance-roquettes. « Les militaires se différencient des rebelles par leurs plaques d’immatriculation. Sinon, ils portent les mêmes uniformes, ont le même équipement, parlent la même langue Ils se méfient tous les uns des autres, car ils passent d’un camp à l’autre. Ils ne se reconnaissent même pas entre eux ! » ironise un chauffeur. De son côté, le Dr Joseph, médecin-chef de l’hôpital de Goz Beida, regrette que les accrochages entre les différents groupes aient provoqué un afflux quasi quotidien de blessés. « Le danger est permanent », affirme un membre du HCR. Les nouvelles récurrentes de vols de bétail et d’assassinats de villageois ramassant du bois créent une véritable psychose au sein de la population. « Quand on sort en brousse pour chercher des herbes et du bois, on peut se retrouver encerclés par les Djandjawids opérant dans la zone, indique Souleymane, 29 ans, qui a fui l’attaque de Morena et vit aujourd’hui à Habile. Le site n’est pas sécurisé, ni par le gouvernement ni par les ONG. Notre destin est entre les mains de Dieu »
La gestion des déplacés constitue l’une des principaux défis des agences onusiennes et des ONG. La soudaine augmentation de densité de population dans une zone pauvre en ressources naturelles ne cesse d’attiser les tensions entre communautés. « Quand l’eau manque, les problèmes arrivent », note Gilbert Nkusi. C’est pourquoi nous avons installé des dizaines de pompes manuelles dans Koukou et aux alentours pour que les communautés hôtes en profitent. Cela évite les conflits et la jalousie. » Des postes de santé et des écoles ont également été mis en place, et les distributions de nourriture sont régulières. « La prochaine étape sera la création d’activités génératrices de revenus pour les déplacés et éviter ainsi leur trop grande dépendance à l’aide humanitaire. Ce sont des cultivateurs pour 90 % d’entre eux, mais ici, ils n’ont pas accès à la terre », explique Gilbert Nkusi. « Pour le moment, aucune crise grave n’a éclaté entre les autochtones, les réfugiés et les déplacés », se réjouit-on au HCR. Mais la situation reste « volatile », selon l’expression consacrée, et touche aussi les humanitaires, qui tournent à équipes réduites et quittent les sites en fin d’après-midi, entre 16 heures et 18 heures. « Le gouvernement a reconnu qu’il n’avait pas la capacité d’assurer la sécurité de tous. Les négociations en vue d’obtenir un soutien international dans l’Est continuent. Mais il faut agir vite, souhaite Stephen Adkisson, le représentant de l’Unicef au Tchad. La situation humanitaire est, depuis trois ans, relativement efficace dans les camps de réfugiés soudanais. L’urgence, maintenant, c’est les déplacés. Nos programmes marchent bien, grâce à notre expertise dans les domaines de l’eau, de l’éducation, de la santé et de l’assainissement. Mais la surveillance sur place doit être quotidienne, car il manque d’ONG. De plus, on attend encore 9 millions de dollars d’aide pour boucler l’année 2007 et prévoir quatre à six mois d’approvisionnement dans les zones impraticables pendant la saison des pluies. » De juin à octobre, de larges territoires du Dar Sila seront en effet coupés du monde. Les réfugiés soudanais, les déplacés tchadiens et les populations locales seront alors livrés à leur sort. Malgré les stocks.

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