À qui le tour ?

Après la faillite de Batam, le groupe agro-alimentaire Affès a été mis en redressement judiciaire. D’autres grandes entreprises sont menacées.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

Salah Dhibi, le président de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie, est un homme très sollicité. Souvent, il est appelé au chevet d’entreprises mises en règlement judiciaire pour tenter de freiner leur descente aux enfers. Pas toujours avec succès, hélas ! Il vient par exemple d’en finir avec l’affaire Batam, le groupe de grande distribution dont la faillite a été prononcée au mois d’avril par un tribunal de Tunis, après une longue agonie (cinq ans). Aussitôt après, il a été nommé coordinateur des cinq administrateurs judiciaires chargés de prendre en main la gestion des cinq sociétés du groupe Affès, l’un des fleurons de l’industrie agroalimentaire du pays. Abdesselam Affès et sa famille ont en effet été privés de leurs pouvoirs à la tête du groupe après que celui-ci a été déclaré en cessation de paiements.
Le secteur privé tunisien a connu de nombreuses crises depuis un demi-siècle, mais celles-là – Batam et Affès – sont indiscutablement les plus graves. Toutes deux sont la conséquence d’une gestion approximative, alors que les dirigeants des deux groupes étaient volontiers présentés comme des modèles de réussite managériale. Au moment du déclenchement de la procédure de redressement judiciaire, Batam et Affès présentaient un endettement à peu près identique – 180 millions de dinars tunisiens -, très excessif par rapport à leurs patrimoines respectifs. L’un et l’autre avaient adopté la stratégie (si l’on peut dire) de la fuite en avant, élargissant leurs activités et procédant à des investissements démesurés, avec un schéma de financement fondé sur la dette pour renflouer les affaires existantes, toutes sous-capitalisées.
Dans l’affaire Batam, plusieurs banques et fournisseurs d’équipements électroménagers, sans parler des actionnaires, gros et petits, ont laissé des plumes, beaucoup de plumes. La plupart ne s’en sont pas encore remis. Depuis, les autorités monétaires ont entrepris de mieux contrôler le respect des règles de gestion prudentielle par le secteur financier. Manifestement, cela n’a pas suffi.
Depuis 2004, l’agence de notation Fitch Ratings North Africa a tiré à de multiples reprises la sonnette d’alarme concernant les difficultés des diverses sociétés du groupe Affès. Pourtant, le pire n’a pu être évité. Il a fallu que le groupe soit dans l’incapacité de rembourser à l’échéance prévue, le 20 décembre 2006, la dernière tranche (1,117 million de DT) d’un emprunt obligataire pour que le Conseil du marché financier (CMF), chargé de surveiller le recours à l’épargne publique, hausse publiquement le ton. Le groupe a été contraint de vendre des actifs pour tenir ses engagements, avec quarante jours de retard. Et le piège s’est refermé. La cessation de paiements est devenue publique. Plus personne ne pouvait feindre de l’ignorer.
Sur les 180 millions de DT d’engagements du groupe Affès recensés à ce jour, au moins 120 millions ont été souscrits auprès des banques, et le reste auprès de toute une série de créanciers : fournisseurs, administration fiscale, caisse de Sécurité sociale, société de leasing, etc. Le groupe doit par exemple à l’Office des céréales, l’organisme d’État qui le fournit en matières premières, entre 20 millions et 35 millions de DT. Dans les milieux bancaires, on murmure que l’immunité parlementaire d’Abdesselam Affès, le président du groupe, qui est député du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir, pourrait être levée pour lui permettre de répondre devant la justice du délit d’émission de chèques sans provision et d’effets en portage (la plupart avec des sociétés de capital-risque) d’un montant avoisinant 20 millions de DT.
Comment le groupe a-t-il pu se maintenir à flot pendant si longtemps, alors que ses difficultés n’étaient un secret pour personne ? Un banquier affirme par exemple en avoir eu connaissance il y a une dizaine d’années. Comme dans l’affaire Batam, les financiers se montrent unanimes dans la condamnation – mais après coup ! « Le groupe, c’était l’affaire d’un seul homme, raconte l’un deux. Tout reposait sur Abdesselam Affès, il était la seule source d’informations quand on voulait obtenir des détails sur les états financiers de l’une de ses sociétés. » Et puis le patron ne regardait pas vraiment à la dépense, ni pour ses entreprises, ni dans sa vie de tous les jours. Rien n’était trop beau ni trop cher pour lui !
Pour régler les factures, Affès, qui avait ses entrées partout, était capable de mobiliser des fonds en l’espace de quarante-huit heures, n’hésitant jamais à mettre en avant le fait qu’il employait quelque 1 500 salariés. C’est ce qu’on appelle « l’effet bicyclette ». Une entreprise, c’est comme un enfant qui reste en selle tant qu’il y a de l’énergie pour pédaler. Dès qu’il en est privé, il tombe et se fait mal. Les banques ont ainsi été piégées. Elles payaient pour ne pas déclencher un processus qui se serait achevé par la disparition de l’entreprise – et, surtout, de sa dette !
En attendant la publication, dans trois mois, du rapport de Dhibi et des administrateurs judiciaires, l’industrie agroalimentaire tunisienne, dont le marché est porteur, continue de tourner après le départ de la famille Affès. Mais, de même qu’on ne soigne pas un mourant avec un cachet d’aspirine, mieux vaut éviter de donner une prime à la mauvaise gestion. Les autorités sont, semble-t-il, à la recherche d’éventuels repreneurs pour chacune des sociétés du groupe. Dans cette perspective, plusieurs grandes entreprises auraient été contactées. Premier groupe agroalimentaire du pays, Poulina pourrait être intéressé par le rachat de certaines sociétés. « Sans rachat, estime un banquier, la faillite du groupe Affès est inévitable, à brève échéance. » Tout le monde ici sait que bien d’autres entreprises présentent des impayés qui plombent le secteur bancaire. Après Batam et Affès, d’autres affaires peuvent éclater, à court ou moyen terme. Certains vont jusqu’à citer des noms

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires