Les dossiers chauds de la diplomatie

Le président Bouteflika ne ménage pas ses efforts pour redorer l’image de son pays à l’étranger. Avec des hauts (beaucoup), mais aussi quelques bas. Tour d’horizon.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 9 minutes.

Comme partout en période électorale, la vie politique s’emballe, depuis quelques semaines, en Algérie. Les partis, grands et petits, occupent le devant de la scène, tandis qu’al-Qaïda dans le Maghreb islamique poursuit ses attaques, épisodiques mais meurtrières, et met en place, grâce à Al-Jazira et à Internet, une communication de plus en plus performante. Tout cela a concouru à reléguer au second plan l’activité diplomatique, pourtant intense au cours de ces deux derniers mois.
Le président Abdelaziz Bouteflika a fait de l’amélioration de l’image de son pays une priorité absolue. Paradoxalement, les attentats-suicides du 11 avril contre le Palais du gouvernement et la direction régionale de la police judiciaire ont plutôt servi ses desseins. « La guerre que nous menons depuis plus de quinze ans contre le terrorisme islamiste a déjà fait au moins 150 000 morts sans que la communauté internationale s’en émeuve outre mesure, commente amèrement un diplomate algérien en poste en Afrique. Il a fallu que les vestiges des Groupes islamiques armés (GIA) et du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) fassent allégeance à al-Qaïda pour que le Conseil de sécurité des Nations unies se décide à condamner un attentat islamiste à Alger ! »
Nous étions au mois d’avril et ledit Conseil de sécurité s’apprêtait à prendre position, par le biais d’une résolution, sur l’éternelle affaire du Sahara occidental, raison pour laquelle, sans doute, notre interlocuteur a souhaité conserver l’anonymat… Mais pour capital qu’il soit à bien des égards, le dossier saharien n’accapare quand même pas totalement les diplomates algériens. Beaucoup d’autres, bien sûr, sont en souffrance. Citons le renouvellement des structures de la Commission de l’Union africaine, les différends commerciaux avec l’Espagne, la bataille juridique en vue de l’extradition de l’ex-golden boy Rafik Khalifa (réfugié au Royaume-Uni), le sort des ressortissants algériens incarcérés par les Américains à Guantánamo, l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’élection d’un nouveau président en France, principal partenaire économique du pays, la renaissance de l’irrédentisme touareg au Mali et au Niger voisins Autant de « chantiers » prioritaires que nous allons passer en revue à travers cinq escales.

WASHINGTON. Depuis le 11 septembre 2001, l’administration américaine ne voit plus le régime algérien du même il. La suspicion qui prévalait au temps de Bill Clinton – l’ancien président était convaincu de « la nécessité d’associer les islamistes modérés à la gestion des affaires publiques » – n’a plus cours. Engagée dans une guerre mondiale contre le terrorisme, l’équipe Bush ne peut qu’approuver le combat mené ici contre les maquis islamistes. Mieux, les services américains ont pris conscience du bénéfice qu’ils sont susceptibles de retirer d’une étroite collaboration avec leurs collègues algériens. Résultat : les visites de responsables de premier plan se multiplient, des manuvres militaires sont organisées conjointement et les échanges de renseignements sont de plus en plus systématiques. Les deux pays ont même mené des opérations communes – certes modestes, puisque limitées au transport aérien – au Mali, au Tchad et en Somalie.
Pourtant, l’idylle diplomatique entre Alger et Washington a bien failli tourner court, le mois dernier. Quelques jours après avoir reçu Mohamed Bedjaoui, son alter ego algérien, Condoleezza Rice, la secrétaire d’État américaine, a en effet jugé « sérieux et crédible » le projet d’autonomie du Sahara occidental proposé par le souverain marocain. Or les Algériens voient dans ce plan une atteinte à la légalité internationale, qui, selon eux, a pour objectif essentiel d’empêcher la tenue d’un référendum d’autodétermination. Ce « coup de poignard dans le dos » a été suivi d’un autre incident.
Au lendemain des attaques du 11 avril, un communiqué de l’ambassade américaine à Alger a mis en garde ses ressortissants contre l’imminence d’attentats à la voiture piégée contre le siège de la télévision publique et la poste centrale. Confrontées à un début de psychose populaire, les autorités algériennes ont fort peu apprécié. L’ambassadeur Robert Ford se trouvant absent, son chargé d’affaires a aussitôt été convoqué au ministère des Affaires étrangères, où il s’est vu transmettre les protestations indignées du gouvernement contre cette « intolérable atteinte à la souveraineté nationale ». Le 21 avril, Rice s’est empressée de dépêcher en Algérie l’un des adjoints, Clint Williamson, pour tenter de calmer le jeu. Mais il a fallu attendre le retour de Ford – excellent connaisseur du sérail algérois puisqu’il fut déjà en poste ici pendant les « années de braise » (1993-1997) -, pour que le malentendu soit dissipé et l’incident classé sans suite. Américains et Algériens ont même annoncé conjointement la signature, en juin, d’un mémorandum d’accord sur le développement du nucléaire civil, par le biais d’un transfert de technologie. Une indiscutable marque de confiance en ces temps de polémiques planétaires (Iran, Corée du Nord) sur la question. Quant à la tempête « saharienne », elle s’est apaisée le 30 avril après l’adoption par le Conseil de sécurité d’une résolution réaffirmant le principe de l’autodétermination. Un texte qui comble d’aise les diplomates algériens.

la suite après cette publicité

MADRID. Le moins que l’on puisse dire est que les socialistes espagnols au pouvoir sont peu appréciés à Alger. José Luis Zapatero, le président du gouvernement, et Miguel Angel Moratinos, son ministre des Affaires étrangères, sont même soupçonnés d’incliner plus ou moins discrètement pour les thèses marocaines sur le Sahara occidental. Le problème est que les deux pays sont liés par un traité de partenariat stratégique conclu quand le Parti populaire de José María Aznar était encore aux affaires. Et que, dans ce cadre, de grands projets de développement commun, notamment dans le domaine énergétique, ont été engagés.
Même si l’affaire du Sahara a été mise entre parenthèses pour six mois par le Conseil de sécurité (le secrétaire général présentera un nouveau rapport en octobre), de nombreuses divergences subsistent. À commencer par le prix du gaz. Sur tous les contrats à long terme négociés au cours de la décennie écoulée, les Algériens souhaitent en effet obtenir une augmentation de 1 dollar par tonne métrique – soit 100 millions de dollars au total. Refus catégorique des Espagnols, pour qui « un contrat est un contrat ». Bien que disposant actuellement de réserves de change plus que confortables (80 milliards de dollars), les Algériens s’obstinent avec d’autant plus de détermination qu’un second différend gazier empoisonne les relations commerciales entre les deux pays.
Une directive de l’Union européenne ayant totalement libéralisé le marché de l’énergie, Sonatrach, le groupe public algérien, s’est empressé de créer une filiale pour commercialiser son gaz en Espagne. Le gouvernement Zapatero y a donné son accord, mais en imposant un plafond de 1 milliard de m3. Ce que Chakib Khelil, le ministre algérien de l’Énergie, considère comme une discrimination : « De tous les opérateurs étrangers installés en Espagne, nous sommes les seuls à subir des restrictions concernant le volume de gaz vendu », explique-t-il. Résultat : pour la première fois dans l’histoire des relations entre les deux pays, les diplomates vont s’effacer devant les hommes de loi. L’arbitrage de la Commission des Nations unies pour le droit international va en effet être sollicité.

PARIS. Les relations avec l’ancienne puissance coloniale n’ont jamais été empreintes d’une grande sérénité. Pourtant, en dépit de toutes les crises, parfois aiguës, la France reste, vaille que vaille, le premier fournisseur de l’économie algérienne. Quels sont aujourd’hui les désaccords diplomatiques entre les pays ? D’abord, là encore, le Sahara occidental, que l’ancien président Jacques Chirac a toujours affecté de désigner par les termes très connotés de « provinces du Sud ». Ensuite, la question plus grave encore du « devoir de mémoire ».
Chirac est le seul chef de l’État français à s’être rendu à plusieurs reprises en visite officielle en Algérie. La dernière fois, le 15 avril 2004, il s’était engagé avec Abdelaziz Bouteflika à conclure un traité d’amitié entre les deux pays. Pour exorciser le douloureux passé commun. Mais, aux yeux des Algériens, une telle démarche implique la reconnaissance des crimes commis par l’armée coloniale, un acte de repentance, voire le versement de compensations financières. Le 23 février 2005, l’Assemblée nationale française a très malencontreusement répliqué par l’adoption d’une loi dont l’article 4 salue les « aspects positifs » de la colonisation. Même si ledit article a été ultérieurement abrogé à l’initiative de Chirac, le tollé a été considérable à Alger, où les autorités ont menacé de poursuivre la France devant les instances internationales pour crime contre l’humanité. Elles visent notamment les massacres de Sétif, le 8 mai 1945, et les essais nucléaires de 1960 à Reggane, dans le grand Sud.
L’élection de Nicolas Sarkozy peut-elle contribuer à améliorer les choses ? A priori, il est permis d’en douter. Le nouveau locataire de l’Élysée a plusieurs fois manifesté son hostilité à toute idée de repentance et sa volonté de « ne pas renier ce que nous sommes ». « Nous ne demandons pas aux Français de renier ce qu’ils sont, mais de reconnaître ce qu’ils ont été », réplique un diplomate algérien. Ça promet !

LONDRES. Tout baigne, ou presque, entre l’Algérie et le Royaume-Uni. Même si elle est encore loin de menacer la prédominance du français, la langue anglaise réalise une remarquable percée chez les élites. Depuis quelques années, le volume des échanges commerciaux est en progression constante. Les attentats du 7 juillet 2005, à Londres, ont en outre incité les agents du MI5, le contre-espionnage britannique, à solliciter davantage l’expertise des services de sécurité algériens.
Au nom de la liberté d’opinion, la Grande-Bretagne a longtemps constitué un havre pour les « pères spirituels » – ou les commanditaires – des assassins des GIA et du GSPC. Le siège de la rédaction d’el-Ansar, l’organe hebdomadaire des insurgés islamistes, était notamment établi à Londres. Mais tout cela est désormais de l’histoire ancienne. Seul dossier un peu « chaud » : la demande d’extradition visant Rafik Khalifa, condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité pour banqueroute frauduleuse. Les autorités algériennes ne désespèrent pas de convaincre le gouvernement britannique d’y accéder, puisqu’il existe un accord d’extradition entre les deux pays. Mais cela devrait prendre plusieurs mois, sinon plusieurs années.

ADDIS-ABEBA, siège de l’Union africaine. Ce n’est évidemment pas un hasard si la « direction Afrique » est le département le plus important du ministère des Affaires étrangères : le continent a toujours fait l’objet d’une attention particulière de la part de la diplomatie algérienne. Parrain du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), Bouteflika n’a par exemple pas attendu la proclamation des résultats provisoires pour envoyer des messages de félicitations au Sénégalais Abdoulaye Wade et au Malien Amadou Toumani Touré pour leur réélection dès le premier tour. L’Algérie a par ailleurs parrainé les accords de paix entre les autorités maliennes et la rébellion touarègue, et mis à la disposition de l’UA des avions militaires pour acheminer la force de paix africaine en Somalie.
Sa priorité actuelle ? Sauver ce qui peut l’être de la Commission de l’UA. La décision du président Alpha Oumar Konaré, en juillet 2006, de ne pas briguer un nouveau mandat de président a considérablement affaibli cet organe essentiel que constitue ladite Commission. Lors du Conseil exécutif de l’UA, le 10 mai à Durban, en Afrique du Sud, Abdelkader Messahel, le ministre algérien chargé des Affaires africaines et maghrébines, a donc beaucoup insisté sur son indispensable consolidation, grâce à une dotation budgétaire plus conséquente.
Autre chantier africain en cours : « l’évaluation par les pairs ». Ce mécanisme institué dans le cadre du Nepad prévoit de soumettre la gestion économique, politique et sociale d’un pays qui en fait la demande à l’appréciation des chefs d’État des autres pays membres, sur la base d’un rapport établi par un panel de personnalités indépendantes. Pour l’Algérie, l’examen de passage est prévu le 1er juillet prochain à Accra.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires