Les dessous d’une attaque

L’assaut mené contre l’armée malienne, dans le nord-est du pays, annonce-t-il l’émergence d’un mouvement touareg transnational dans la région ?

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

Le 11 mai, à Tin Zawaten, théâtre fréquent des rébellions de l’Azawad situé à 300 kilomètres de Kidal (nord-est), près de la frontière nigérienne, un groupe d’assaillants a attaqué un poste avancé de l’armée malienne. Cette position militaire avait été installée à titre provisoire pour sécuriser les opérations de vote (présidentielle du 29 avril et législatives des 1er et 15 juillet). L’assaut, qui a fait deux morts parmi les forces gouvernementales et huit chez les insurgés, intervient un an après les attaques menées, le 23 mai 2006, contre deux camps militaires à Kidal et à Ménaka. L’offensive revendiquée par l’Alliance démocratique pour le changement (ADC) avait alors donné le coup d’envoi à la troisième rébellion touarègue au Mali (après celle de 1963 et celle de 1990). Le 4 juillet 2006, grâce notamment à la médiation algérienne, l’ADC et le gouvernement malien signent un accord de paix. Le 8 mars 2007, plus de 2 000 rebelles et anciens déserteurs de l’armée déposent leurs armes et sont cantonnés à Kidal. Quinze jours plus tard, l’ADC, le Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga et les bailleurs de fonds décident, à la suite d’un forum organisé à Kidal, l’adoption d’un programme de développement de près de 500 milliards de F CFA (760 millions d’euros) sur dix ans. Si l’attaque de Tin Zawaten a quelque peu menacé le processus de paix engagé, il est totalement exclu aujourd’hui qu’elle puisse entraîner de nouvelles négociations. Explications.

Qui a dirigé l’attaque ?
C’est Ibrahim Ag Bahanga qui a mené l’assaut de Tin Zawaten. L’homme est un récidiviste. Cet ancien membre du Mouvement des forces unifiées de l’Azawad (MFUA), branche armée de la rébellion touarègue des années 1990, n’a jamais réellement accepté le pacte national scellant la paix signé en avril 1992. « À l’époque, il a dû intégrer l’armée malienne au grade de caporal-chef, témoigne un ancien cadre de MFUA. Il a vécu cela comme une véritable frustration. » Mais Bahanga ne se contente pas de bouder. En décembre 2001, il organise la prise d’otages d’une dizaine de militaires, dont un officier, et demande que son village soit élevé au statut de commune. L’ambassadeur d’Algérie, Abdelkrim Gheraïeb, joue le médiateur. Alpha Oumar Konaré, alors chef de l’État, satisfait la requête du rebelle, mais refuse sa réintégration dans les rangs de l’armée. Devenu élu local, Ibrahim Ag Bahanga cesse de faire parler de lui jusqu’au 23 mai 2006. C’est lui qui planifie les attaques de Kidal et de Ménaka.
Avec Ahmed Ag Beiba, Iyad Ag Ghali, figure historique du mouvement touareg, et le lieutenant-colonel déserteur Hassan Fagaga, Bahanga fait partie du petit groupe dirigeant l’ADC. À ce titre, il fut donc engagé dans le processus de paix parrainé par l’Algérie. L’attaque du 11 mai à Tin Zawaten l’en a définitivement exclu.

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L’ADC est-elle impliquée ?
Ses éléments les plus fidèles étant cantonnés à Kidal, Bahanga a dû faire appel à des Touaregs nigériens pour réussir son coup. Le 4 juillet 2006, le rebelle avait pourtant pris l’engagement devant le médiateur algérien de ne jamais prendre attache avec une quelconque organisation politico-militaire uvrant hors du territoire malien. Bahanga a aujourd’hui perdu tout crédit aux yeux d’Abdelkrim Gheraïeb et toute considération auprès de ses partenaires de l’ADC. Lesquels n’ont pas hésité à fustiger, quelques heures après l’attaque de Tin Zawaten, « l’acte isolé » d’Ibrahim Ag Bahanga. Pis : les dirigeants de l’ADC ont même fait savoir qu’ils étaient prêts à aider l’armée malienne dans la traque des assaillants. L’irresponsabilité d’Ibrahim Ag Bahanga pourrait, en tout cas, déclencher un conflit fratricide dans l’Adrar Ifogha. Mais pas seulement. Le pire est envisagé. D’aucuns craignent que l’attaque du 11 mai n’entraîne une rébellion transnationale, impliquant tous les pays de la sous-région. Les appels réitérés du « Guide » libyen, Mouammar Kadhafi, pour l’instauration d’un État touareg « du Sénégal à l’Euphrate » ne sont pas, eux non plus, étrangers au réveil de l’irrédentisme touareg.

Quel a été le rôle des Touaregs nigériens ?
Propriétaire d’une prospère agence touristique d’Agadez, dans le Nord-Niger, Ag Ali Alambo est devenu célèbre, le 13 mars 2007, en prenant la tête du Mouvement nigérien pour la justice (MNJ). Un mois plus tôt, cette organisation avait attaqué, à Iférouane, dans le Kawar (Nord-Est), le cortège du général Moumouni Boureima, chef d’état-major de l’armée nigérienne. Depuis, le MNJ a multiplié ses actions, s’en prenant notamment à un site minier de la compagnie française Areva ou en terrorisant les cadres et travailleurs étrangers engagés dans la prospection pétrolière. Selon Mohamed Ben Omar, ministre nigérien de la Communication, « le MNJ n’est pas une rébellion, mais une bande de bandits qui tentent de contrôler la route de tous les trafics : cigarettes, cannabis marocain à destination du Moyen-Orient et réseau d’immigration clandestine ». Tout le monde ne partage pas cet avis. Dans une déclaration faite le 20 avril, les élus de la région d’Agadez avaient exhorté le gouvernement à entamer un dialogue avec les rebelles. « Pas question de négocier avec des bandits ! » avait sèchement répliqué le président nigérien Mamadou Tandja. La participation des hommes d’Ag Ali Alambo dans l’opération de Tin Zawaten, qui n’a toujours pas été confirmée, démentirait en tout cas la version des autorités de Niamey, donnerait une envergure régionale au MNJ et accorderait plus de crédit à la cause identitaire commune des Touaregs des deux pays voisins.

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