Le moment d’une politique

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

Simple coïncidence ou signe des temps ? La semaine dernière, deux événements qui se sont déroulés au même moment, l’un à Washington, l’autre à Shanghai, ont suscité en moi cette interrogation.
Voyons ensemble s’il s’agit seulement d’une coïncidence.

Dans la capitale fédérale des États-Unis, la Banque mondiale, qui y a son siège, a continué à se débattre dans la pire crise de son histoire, provoquée par son président, Paul Wolfowitz. Choisi par le président des États-Unis George W. Bush, ce néoconservateur américain a montré, depuis qu’il est à la tête de la Banque, qu’il n’a plus, s’il l’a jamais eu, le sens des limites à ne pas franchir.
L’institution est paralysée depuis un mois et demi, et mettra du temps à retrouver ses marques.
Poursuivi par « la malédiction de l’Irak », comme les autres néoconservateurs américains qui ont pris la responsabilité de faire envahir ce malheureux pays, Paul Wolfowitz devra quitter la Banque contraint et forcé.
Son départ vient enfin d’être annoncé : demi-défaite seulement pour le tandem Bush-Cheney, qui ne lâche pas prise. Il obtient un délai de préavis – et des indemnités – pour son poulain et conserve le « droit » de désigner le successeur.
La Banque, elle, va devoir se reconstruire (voir pp. 24-25).

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Pendant ce temps, mercredi 16 et jeudi 17 mai, la Banque africaine de développement (BAD), qui est à l’Afrique ce que la Banque mondiale est à l’ensemble des continents en développement, tenait dans l’euphorie ses assemblées annuelles non pas en Afrique même, comme c’est la norme, mais dans la capitale économique de la Chine : Shanghai(1).
Au choix de la Chine et de sa capitale économique par le président de la BAD, Donald Kaberuka, son conseil des gouverneurs et son conseil d’administration, a répondu l’intérêt de la Chine – au plus haut niveau – pour la BAD et le continent dont elle est l’institution de développement : Wen Jiabao, le Premier ministre, Li Ruogu, président de l’Eximbank, qui approuve et garantit les projets d’investissements en Afrique, et Zhou Yabin, directeur Afrique au ministère du Commerce, entre autres, se sont succédé pour exposer « la doctrine africaine » de leur pays.

1. Entrée en « renaissance » à la fin du XXe siècle, au moment où s’achevait la Guerre froide, la Chine est redevenue progressivement un des principaux acteurs de la scène mondiale, aussi bien en politique qu’en économie.
Il en a découlé pour elle un rôle nouveau en Afrique, celui de force montante.
2. Il est normal qu’on s’interroge sur la manière dont la Chine entend jouer ce rôle, et même que certains s’inquiètent de la voir prendre une place démesurée.
3. Pour répondre aux interrogations et apaiser les inquiétudes, les dirigeants chinois ont profité des assises de la BAD pour réaffirmer, à l’adresse des Africains et au-delà d’eux, des Euro-Américains :
– que les prêts qu’ils consentent aux pays africains ne sont « liés » ni à des achats de produits chinois ni à des conditions politiques ;
– qu’ils entendent conjuguer l’aide et le commerce (Trade and Aid) pour contribuer au développement des pays africains ;
– que la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays aidés demeure leur règle de conduite ;
– que la Chine, ayant défini sa propre voie et assumé ses propres erreurs, voudrait voir les Africains choisir, eux aussi et librement, leur voie et leur rythme d’évolution.

Le Premier ministre chinois a eu beau jeu de souligner que ceux qui accusent la Chine d’en faire trop n’en font pas assez, eux, et ne tiennent pas toujours les promesses qu’ils font aux Africains.
Il a pu mettre en avant des chiffres éloquents :
– en dix ans, les échanges entre la Chine et l’Afrique ont été multipliés par dix et portés à 55 milliards de dollars/an : les prix des matières premières africaines ont, par conséquent, bénéficié de la forte demande chinoise ;
– l’aide de la Chine à l’Afrique doublera d’ici à 2009 et comportera la mise en place d’un fonds pour le développement de l’Afrique doté de 5 milliards de dollars et la baisse de tarifs douaniers chinois pour les importations d’Afrique ;
– la Chine consacrera 20 milliards de dollars à l’Afrique dans les trois prochaines années pour financer ses infra-structures et son commerce extérieur.

L’intérêt marqué de la Chine pour les produits africains, en particulier ceux du sous-sol – et plus singulièrement encore : le pétrole(2) -, et sa relative indifférence aux dérapages politiques (tels ceux du Darfour) et aux atteintes aux droits de l’homme ont été abordés à Shanghai : les Chinois savent que les Euro-Américains leur adressent des critiques sur ces deux plans en particulier et leur reprochent en outre d’endetter à nouveau certains pays africains au-delà du raisonnable.
Ils savent également qu’en Afrique même, ici et là, beaucoup commencent à ressentir certains inconvénients de leur présence.
Mais, pour l’heure, comme l’ont confirmé les journées de la BAD à Shanghai, l’arrivée en force de la Chine sur le continent africain, les initiatives de son gouvernement et de ses entreprises sont perçues par les Africains avec autant de soulagement que les habitants du Sahara accueillent la pluie. (Voir p. 22.)

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L’économiste américain Jeffrey Sachs, dont j’ai déjà indiqué qu’il est, à mon avis, le meilleur connaisseur de la situation – et des besoins – du continent africain, a jugé que « la récente arrivée de la Chine en Afrique est, au total, nettement positive ».
Sa démonstration, que je vous livre ci-dessous, est limpide :
La Chine achète des matières premières africaines, fait monter leur prix et fait rentrer de l’argent en Afrique. Elle est aussi, bien sûr, un fournisseur de biens et de services à faible coût. Et elle est en train de devenir un donateur important.
L’Occident déplore que la Chine n’ait pas un « bon comportement » en tant que donateur, mais s’il trouve à redire, c’est surtout parce qu’il supporte mal que la Chine marche sur les brisées des États-Unis et de l’Europe, géopolitiquement et économiquement.
La vérité est que les Européens et les Américains ont été des donateurs peu fiables, promettant une chose et en faisant une autre, ou ne faisant pas grand-chose.
La Chine est beaucoup plus pragmatique, elle aide les pays africains à construire des routes, des centrales et des usines.
Tout n’est pas parfait, c’est sûr, mais rien ne l’est.
Les intérêts commerciaux peuvent amener à nouer des amitiés peu recommandables et, comme le fait la Chine, à accorder un soutien apparent au Zimbabwéen Robert Mugabe, mais encore une fois, la Chine n’est pas le seul pays à qui on peut reprocher ce genre de choses.

Certes, mais encore faut-il que les Africains ne se limitent pas à se mouvoir dans le rôle de receveurs passifs d’aide, de prêts, d’investissements. Et de fournisseurs tout aussi inertes des produits de leur sous-sol.
Il leur revient d’indiquer à leurs partenaires chinois, mais aussi européens et américains, ce qui leur est utile et ce dont ils ne veulent pas.
Il leur revient aussi de dire ce que, en plus d’un marché pour les produits manufacturés des autres continents et des ressources de son sous-sol, leur continent est à même d’offrir, en retour.
Deux jours exceptionnels de la BAD à Shanghai ne sont donc, pour importants qu’ils soient, que le signe et le moment d’une relation.
Qui reste à construire.

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1. Avant cette réunion de Shanghai, au cours des 43 années de son existence, la BAD n’avait tenu ses assemblées annuelles hors d’Afrique qu’une fois : à Valence (Espagne) en 2001.
2. La Chine importe 4 millions de barils/jour, un chiffre appelé à doubler dans les dix ans.

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