L’Afrique du Sud dans la peau

Gavin Younge a choisi le vélin pour exprimer l’histoire douloureuse de son pays. Une quinzaine de ses uvres sont exposées à Paris.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

Pour évoquer les plaies que son pays doit recoudre, le plasticien sud-africain Gavin Younge utilise un matériau plutôt rare : le vélin, cette peau de mouton ou de veau utilisée au Moyen Âge pour la confection des manuscrits les plus précieux.
Jusqu’au 3 juin, le public parisien peut découvrir une quinzaine d’uvres de l’une des figures les plus en vue de l’art africain contemporain. Né en 1947 à Bulawayo (Zimbabwe), Younge dirige la prestigieuse Michelis School of Fine Arts, l’école des beaux-arts du Cap. Il est pourtant peu connu du grand public. Jusqu’à ce jour, une seule de ses uvres, Workmen’s Compensation, avait été présentée en France : en 1994, sur l’esplanade de la Défense, lors de l’exposition « Un art contemporain de l’Afrique du Sud », puis en 2000 sur la célèbre avenue des Champs-Élysées pour la seconde édition des « Champs de la sculpture ».
Première rétrospective jamais organisée du travail des dix dernières années de l’artiste, l’exposition « Prosthesis » (« Prothèse ») évoque une société sud-africaine en pleine mutation et montre un univers fait de violence et de traumatismes. Surmonter la différence de couleur de peau est le principal défi de l’Afrique du Sud postapartheid. Younge a donc choisi de travailler la peau « tel un chirurgien, explique-t-il, qui recoud pour redonner la vie ».
Vidéaste, il aime introduire de l’image dans ses sculptures. La pièce centrale de l’exposition, Forces Favourites, est composée de bicyclettes disposées en cercle. Sur chaque porte-bagages, une télévision diffuse des images tournées lors d’un voyage à Cuito-Cuanavale, lieu d’une sanglante bataille, en 1988, de la guerre civile angolaise. Trouvées parmi les ruines de Cuito, une planche de traverse d’un bateau, une porte sculptée, des lames de parquet, des caisses à obus de mortier servent de supports sur lesquels Younge a peint des oiseaux à jamais disparus. La guerre ayant totalement détruit leur environnement naturel. C’est une manière de laisser une trace de ce qui n’est plus. Une préoccupation à la fois politique et écologique qui traverse tout son art. En témoignent les quaggas, ces zèbres sud-africains exterminés au XIXe siècle par les colons boers, reproduits en vélin.
Younge dénonce également la violence domestique qui mine la société sud-africaine, la banalisation des armes à feu (Guns-R-Us) et la corruption qui sape la démocratie. Créée spécialement pour l’exposition parisienne, The Two Democracies est un divan de psy sur lequel est projetée une vidéo d’un personnage dont l’anatomie évolue. Apparaissent successivement les organes du ventre et du cur, illustrant les deux démocraties : celle, corrompue, de la « mangercratie » (comme la nommerait le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly). Et celle, généreuse, du partage du pouvoir.
Pour Younge, « l’art africain ne se résume pas aux masques et à leur dimension spirituelle. Il est aussi engagé dans la vie économique et sociale. » C’est exactement ce que veulent montrer Anne-Sandra Keff et Nathalie Miltat, les deux initiatrices du projet de « Prosthesis », dont l’enthousiasme et la détermination ont séduit le Sud-Africain. À la tête de La Noire Galerie, elles souhaitent « montrer que l’art africain est aussi un art contemporain. Il faut le sortir de son isolement de la scène internationale. » Pour l’uvre de Younge, elles ont choisi le cloître des Billettes, bâtiment de facture gothique du XVe siècle au cur de Paris. « C’est tout à fait ce qui convient à mon travail, s’émerveille l’artiste. Moi, qui utilise beaucoup le vélin, je suis ravi de présenter mes uvres dans un monument médiéval. C’est une excellente idée et une manière intéressante de rapprocher l’Europe et l’Afrique. »

Prosthesis, de Gavin Younge, au cloître des Billettes, 24, rue des Archives, 75004 Paris. Du lundi au samedi de 11 heures à 19 heures ; le dimanche de 13 heures à 19 heures. Jusqu’au 3 juin 2007. Pour tout savoir : www.lanoiregalerie.com

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