La chute d’un faucon

Reconnu coupable de violations des règles intérieures par un comité ad hoc, le président de l’institution, lâché de toutes parts, y compris par George W. Bush, jette l’éponge.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

Il a fallu plus d’un mois et demi aux vingt-quatre administrateurs qui gouvernent la Banque mondiale pour trouver une issue à la crise morale dans laquelle son président, Paul Wolfowitz, l’avait plongée. Il a fallu aussi une mobilisation sans précédent de la communauté internationale pour que le président George W. Bush accepte, bon gré mal gré, de lâcher son ami, l’ancien numéro deux du Pentagone et l’un des stratèges de la guerre en Irak : la démission de Wolfie a été annoncée dans la nuit du 17 au 18 mai, avec un départ effectif le 30 juin.
Le départ forcé du président met un terme à un feuilleton qui a gravement terni l’image d’une institution censée aider les pays pauvres à prendre leur destin en main en les incitant fortement à combattre corruption, népotisme, favoritisme et mauvaise gouvernance. Le non-respect des règles élémentaires de l’éthique par leur président a provoqué la colère du personnel de la Banque, mais aussi des pays bénéficiaires, des pays actionnaires et des organisations non gouvernementales. Tous ou presque ont réclamé la démission de Wolfowitz pour faute grave.
Mais le gouvernement américain, très divisé, a tergiversé jusqu’à la limite de la décence, avant de négocier le départ de Wolfowitz. Outre Bush en personne, Wolfie a rameuté tous ses partisans dans le camp des néoconservateurs, en tête desquels Dick Cheney, le vice-président, et Karl Rove, conseiller principal à la Maison Blanche. Pour eux, ce qui importait le plus, ce n’était pas l’intérêt de la Banque – dont ils ne savent même pas ce qu’elle fait -, mais le maintien de Wolfie, ou alors une sortie « avec les remerciements du jury ». Pour leurs adversaires, notamment Condoleezza Rice, secrétaire d’État, et Hank Paulson, secrétaire au Trésor, il fallait coûte que coûte sauver l’institution et donc l’intérêt suprême des États-Unis, qui consiste à conserver le pouvoir de désigner le président de la Banque. Le « camp du refus » bénéficiait d’un large soutien à l’extérieur, au grand dam de Wolfie. Citons Angela Merkel, chancelière allemande, présidente en exercice de l’Union européenne et du sommet du G8 ; Gordon Brown, chancelier de l’Échiquier et futur Premier ministre britannique ; la France ; le Canada ; les pays scandinaves ; et la plupart des pays en développement. Après avoir soutenu Wolfowitz, Trevor Manuel, ministre sud-africain des Finances, s’est prononcé, le 16 mai, en faveur de la démission. Juste après que le président américain eut pour la première fois pris ses distances avec son ancien collaborateur : « J’admire Paul Wolfowitz, j’admire sa sensibilité et particulièrement l’attention qu’il porte aux pauvres. Je connais Paul et je sais tout l’intérêt qu’il attachait à travailler pour la Banque. Je l’applaudis et je le respecte, mais je regrette ce qui vient de se passer », a déclaré George W. Bush à la presse après sa rencontre avec Tony Blair, futur ex-Premier ministre britannique. À partir de cet instant, toutes les options étaient sur la table.
Entouré de ses deux avocats, Bob Bennett et Amy Sabrin, Wolfie se fait tout petit, allant jusqu’à implorer le Conseil d’administration dans son discours du 15 mai : « Mon intégrité et mon honnêteté n’ont jamais été mises en cause jusqu’à ce jour. Ma compagne et moi avons été ridiculisés par la presse J’ai toujours agi en bonne foi et dans l’intérêt de la Banque. Le contrat que j’ai conclu avec Shaha Riza était raisonnable et pragmatique. Mais je me rends compte aujourd’hui que j’ai commis des erreurs, que j’étais mal entouré et mal conseillé. Si vous me gardez, je m’engage à changer ma façon de gérer la Banque et à m’appuyer sur son personnel » Trop peu, trop tard. Il aurait fallu qu’il reconnaisse ses torts plus tôt au lieu de s’enferrer dans une attitude hautaine et méprisante, y compris vis-à-vis des membres du conseil d’administration, du comité d’éthique et du comité ad hoc chargé de le juger.
Tout a commencé en 2005. Surpris par la tournure prise par la guerre en Irak, George W. Bush décide de se séparer de son stratège. Wolfie, qui ne pouvait plus prétendre devenir numéro un du Pentagone, brigue un poste de conseiller à la sécurité nationale (qui le maintient à la Maison Blanche) ou la direction de la CIA. Mais sa relation amoureuse avec Shaha Riza, une Arabe musulmane naturalisée britannique, était un facteur de blocage. Le mandat de James Wolfensohn à la tête de la Banque mondiale arrivant à échéance en juin 2005, George W. Bush saute sur l’occasion. Il lui fallait simplement imposer le nom de Wolfowitz aux autres membres du G8, qui se réunissait en mars 2005. D’une pierre, deux coups : Wolfie irait travailler avec Shaha à la Banque mondiale et uvrerait pour la reconstruction en Irak Mais c’était ignorer que les règles de la Banque en matière de « conflits d’intérêts » sont strictes. Un responsable ne peut pas avoir comme subordonné son époux (ou épouse) ou concubin. Saisis du problème, Wolfie et ses avocats n’ont pu avoir le dernier mot : le Comité d’éthique leur imposa une séparation de corps alors qu’en guise de compromis Wolfie proposait une non-ingérence dans son dossier personnel tout en exigeant le maintien de « contact professionnel ». La suite, on la connaît : Wolfie accepte de détacher Shaha au département d’État en lui accordant un contrat mirobolant : une augmentation de salaire trois fois plus forte que la norme (de 133 000 à 180 000 dollars par an) et une promotion annuelle deux fois plus élevée (8 %).
Dénoncé en janvier 2006 par un groupe de lobbyistes américains (le Government Accountability Project) et par la presse américaine (Washington Post) et britannique (Financial Times), le contrat de Shaha est enfin examiné par le conseil d’administration de la Banque le 6 avril 2007. Une enquête est confiée à un comité ad hoc (sept administrateurs incorruptibles). Il conclura, le 14 mai, à la culpabilité, sans circonstances atténuantes, de Wolfowitz : il a violé les engagements pris avec la Banque (son contrat d’embauche) et toutes les règles de la Banque (éthiques et salariales). Le président n’a plus le choix : il doit partir. Non sans quelques lots de consolation : un délai d’un mois – son départ sera effectif le 30 juin -, des indemnités (une année de salaire, soit 375 000 dollars) et le droit de participer, en tant que président de la Banque, au prochain sommet du G8, en Allemagne (6-8 juin).

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