Juan Somavia

Directeur général du Bureau international du travail (BIT)

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

L’Organisation internationale du travail (OIT) a tenu sa 11e réunion régionale africaine du 24 au 27 avril, à Addis-Abeba. À cette occasion, les quelque 500 délégués gouvernementaux, syndicaux et patronaux ont adopté un portefeuille de mesures destinées à promouvoir le « travail décent » en Afrique à l’horizon 2015. Objectif : réduire l’extrême pauvreté sur le continent. Entretien avec Juan Somavia, directeur du BIT, secrétariat exécutif de l’OIT, qui a porté le projet depuis ses origines.

Jeune Afrique : Le BIT vient de lancer la première décennie du « travail décent » en Afrique. L’initiative laisse penser que votre organisation découvre que la mise en place d’emplois stables est le meilleur vecteur de développement…
Juan Somavia : Ce n’est pourtant pas le cas. Nous avons commencé à développer l’agenda du travail décent en 1999. Malheureusement, il n’a pas été retenu parmi les outils de réalisation du premier des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en 2000 : la réduction de l’extrême pauvreté. Après avoir dénoncé cette erreur, le BIT s’est lancé dans une campagne de promotion pour le faire adopter. En Afrique, cela a été fait lors du Sommet extraordinaire de l’Union africaine sur l’emploi et l’allègement de la pauvreté, à Ouaga-dougou, en septembre 2004. Il a ensuite fallu convaincre tout le système de l’ONU, ce qui nous a pris du temps.
N’est-il pas illusoire de vouloir mettre en place « le travail décent » en Afrique alors que plusieurs millions d’Africains ne parviennent pas à trouver un emploi ?
Nous savons parfaitement que nos propositions vont au-delà de ce qu’il est possible de faire aujourd’hui. Mais nous sommes dans notre rôle en les formulant, parce que si l’on se cantonne au seul « possible », la société n’avance pas. L’essentiel est que nous sachions où nous voulons aller.
Est-il possible de promouvoir le travail décent en Afrique en faisant abstraction du contexte international dans lequel s’inscrit aujourd’hui son économie ?
Il faut évidemment une redéfinition de la mondialisation, car ses règles du jeu ne sont pas justes. Elles sont faites par et pour les plus forts. Or on ne peut plus dire aujourd’hui que l’ouverture tous azimuts du marché africain est la solution pour le développement du continent, parce qu’un poids lourd et un poids léger ne boxent pas dans la même catégorie. Les politiques de conditionnalités menées par la Banque mondiale et le FMI ces vingt-cinq dernières années ont certes permis de faire bouger un peu les choses, mais cette idée du « je sais ce qui est le mieux pour vous » est révolue. Je crois que chaque région du monde doit désormais trouver ses propres solutions pour son développement, en fonction de ses propres diagnostics.
On estime que les trois quarts environ des activités des économies urbaines africaines relèvent du secteur informel. Comment comptez-vous reconvertir les populations qui y évoluent ?
Il y a plusieurs aspects. Le premier concerne l’organisation du secteur informel. Les États doivent prendre leurs responsabilités et faire en sorte que ce marché devienne un vrai marché. Ensuite, il faut généraliser l’éducation gratuite dans le primaire et le secondaire, parce qu’il s’agit de la porte d’entrée du marché du travail. Aujourd’hui, la grande majorité des jeunes Africains sont dans le secteur informel parce qu’ils n’ont pas été à l’école. Il s’agit pourtant d’un droit humain élémentaire sur lequel les théories économiques ne devraient pas avoir leur mot à dire. Comment peut-on accepter que l’idéologie néolibérale nous dise que l’éducation coûte tellement cher qu’on ne peut mettre en place la gratuité que dans le primaire ?
Au sein du BIT, certains experts défendent l’idée qu’il faut reconnaître les compétences acquises par les employés du secteur informel pour leur permettre d’en sortir. Qu’en pensez-vous ?
Je suis tout à fait d’accord. Un travailleur qui a aujourd’hui 45 ans et qui a exercé pendant quinze ans tel métier, cinq ans tel autre dans le secteur informel a acquis une expérience qui doit être valorisée.

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