« Il se croit en Irak ! »

L’ambassadeur des États-Unis souhaite la mise en place d’extravagantes mesures de sécurité autour du consulat de Casablanca.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

A en croire la presse marocaine, rien ne va plus entre le royaume chérifien et les États-Unis. Le 9 mai, Abdelmounaïm Dilami, le très sérieux et pondéré patron de L’Économiste, a parlé de « gifle », de « mépris », d’« humiliation », dénoncé la passivité du gouvernement et appelé à un « sursaut de dignité nationale ». Le lendemain, Le Matin, quotidien furieusement officiel comme disait Michel Jobert, n’a pas été en reste. Que s’est-il passé ?
Au commencement, il y a la fermeture du consulat américain à Casablanca, suite aux deux attentats kamikazes qui ont eu lieu à proximité, le 15 avril. Un réaménagement du dispositif sécuritaire justifiait cette mesure en principe provisoire. C’est un communiqué de l’ambassade qui a mis le feu aux poudres. « Nous travaillons avec les autorités marocaines à la mise en place des mesures de sécurité nécessaires », y lit-on. Aucune date n’est fixée pour la réouverture.
On apprend encore que le consulat continue à fonctionner pour les citoyens américains. Les Marocains désireux, par exemple, d’obtenir un visa sont en revanche priés de « déposer leurs demandes auprès des ambassades des États-Unis dans les pays voisins ». Des journaux algériens relayés par un quotidien espagnol en font des gorges chaudes. Voilà le Maroc désigné par l’ami américain comme le pays du terrorisme ! Humiliation suprême, ses ressortissants sont invités à aller quérir leurs visas en Algérie. Mais la précision est fausse : le communiqué ne mentionne point le pays de Bouteflika, mais, dans l’ordre : Madrid, la France, Bruxelles, Amsterdam, l’Italie, Londres et Tunis.
Restent quelques questions. Pourquoi le consulat demeure-t-il fermé ? De quelles « mesures de sécurité » discutées avec les autorités s’agit-il ? Interrogée, l’ambassade américaine s’abrite derrière un mutisme tout soviétique. Le consulat risque de rester fermé longtemps, en raison du caractère exorbitant des exigences américaines. Après avoir demandé un aménagement de l’avenue Moulay-Youssef, où se trouve le consulat – ce qui, pratiquement, reviendrait à fermer l’une des principales artères du centre-ville -, les États-Unis ont en effet réclamé, pour protéger leur personnel des conséquences d’un éventuel attentat, le creusement d’une tranchée d’une profondeur de 2 mètres le long du bâtiment. « Ils se croient en Irak ! » commente un fonctionnaire.
Parallèlement à la diffusion de son communiqué, l’ambassadeur Thomas Riley a tenu à rencontrer des représentants de la presse. Ses propos n’ont pas vraiment contribué à apaiser les esprits. Qu’a-t-il dit ? Sur le Sahara, que les négociations directes entre le Maroc et le Polisario devraient commencer dans les deux mois. Que le plan d’autonomie présenté par Rabat, tout « réaliste et sérieux » qu’il soit, devrait en constituer non la base, mais, en cas d’accord, l’aboutissement. Et que les États-Unis sont prêts à accueillir lesdites négociations, lesquelles pourraient tout aussi bien avoir lieu au siège de l’ONU, à New York.
Mais c’est surtout une phrase de Riley qui a provoqué incompréhension et colère. Elle concerne le Polisario, érigé au rang d’unique représentant du peuple sahraoui, à l’exclusion de toute autre entité, fût-ce le Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas). S’agit-il d’un infléchissement de la position américaine ? À l’ambassade, on affirme que les déclarations de Riley ont été « déformées », mais on refuse de préciser la teneur exacte de ses propos.
Concernant les élections du mois de septembre, l’ambassadeur était très attendu dans la mesure où l’on prête aux Américains des sympathies pour le Parti de la justice et du développement (PJD). En fait, il s’est montré plutôt neutre quant à une victoire éventuelle des islamistes, estimant qu’« un changement de majorité ne modifierait pas les priorités du pays » – ce qui est le bon sens même.
Enfin, sur sa lancée, Thomas Riley, qui n’est pas un diplomate de carrière et se targue d’avoir été l’ami d’enfance de George W. Bush, n’a pas manqué de parler de Mohammed VI, qu’il commence à bien connaître puisqu’il l’a rencontré une dizaine de fois. « Le roi, a-t-il indiqué, est très intelligent, sérieux ; il ne pratique pas la langue de bois et n’a pas de réponses toutes faites. » S’il lui arrive de faire des blagues, il « n’est pas rigolo ». Il ne s’intéresse pas seulement à son pays, mais aussi aux affaires du monde. À preuve, « lorsqu’il reçoit des responsables américains, il leur pose de nombreuses questions à ce sujet ». Décidément très perspicace, l’ambassadeur a noté que le fils de Hassan II « réfléchit beaucoup avant de parler », ce qui est, dit-il, « essentiel ». En effet.

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