[Chronique] Burkina Faso : moral des troupes et moralité communicationnelle

Dans un pays qui voit se multiplier les attaques terroristes sur son sol, le gouvernement tente de museler légalement un blogueur et un parti d’opposition. Méprise sur les cibles ?

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Publié le 15 novembre 2019 Lecture : 2 minutes.

La dépression : c’est le trouble ultime qui menacerait les forces armées burkinabè confrontées à l’hydre du jihad sahélisé. Certes, la sacralisation du « moral des troupes » est un classique des situations de conflit, impératif qui justifia tout autant, au cours de l’Histoire, la mobilisation civile salutaire et des dérives comme les « femmes de réconfort » coréennes. Certes, face à une guérilla islamiste championne du camouflage, les moyens des soldats du Burkina Faso paraissent toujours plus dérisoires, à mesure que les chancelleries internationales étendent, de leurs feutres rouge et orange, les zones du pays dites « déconseillées ». Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres comptabilise et le pape François appelle à la concorde.

« Démoralisation »

La concorde exclut-elle le débat ? Déjà condamné à deux mois de prison en 2018, le blogueur Naïm Touré vient d’être interpellé et auditionné pour « tentatives de démoralisation des forces de défense et de sécurité », avant d’être libéré. L’un de ses posts récemment publiés considérait qu’« au niveau de la hiérarchie militaire, il y a une certaine promotion de la médiocrité et que ce serait source de démotivation des forces de défense et de sécurité ». L’évocation de la démotivation provoquerait donc la… démoralisation.

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L’avocat de l’activiste –le très médiatique Me Prosper Farama– évoque des procédures d’arrestation discutables et une « séquestration dans des conditions exécrables ». Dans un jargon au cordeau, la police nationale évoque « une enquête en cours sous le contrôle de la justice », dans le seul but de « concourir à la manifestation de la vérité ».

Les accusateurs sont assiégés par des fauves sauvages bien plus dangereux que les animaux domestiques

Sans surprise, le bras de fer s’apparente à un package de contenus communicationnels largement subjectifs. Jusqu’à récemment, la méthode Coué de l’état-major rassurait sur le moral de troupes pourtant malmenées et les supplétifs des réseaux sociaux dépeignaient Naïm Touré comme un abuseur de parole libre plus qu’un martyr de la liberté d’expression. En filigrane suinte une frilosité gouvernementale qui devrait éviter d’apparaître comme un aveu d’impuissance face aux vrais ennemis du peuple.

Slogans pro-Kaboré outranciers

Si personne ne rejette d’emblée l’idée d’un rassemblement de soutien aux forces armées, le meeting du 26 octobre dernier, au Stade municipal de Ouagadougou, a péché par un excès de glaçage politicien, notamment de slogans pro-Kaboré outranciers à un an de la réélection potentielle du chef de l’État. Trois semaines plus tard, le parti d’opposition FPR (Front patriotique pour le renouveau) était suspendu de toute activité pendant trois mois, pour avoir demandé la « démission sans délai » du président du Faso et du gouvernement.

Nul besoin de dénouer les grosses ficelles de l’organisation d’un meeting, d’adhérer aux thèses du FPR ou d’être une groupie des posts de Naïm Touré pour ressentir un malaise. Lorsque les ficelles du « storytelling » sont trop visibles, les meurtrissures légitimes d’un régime houspillé finissent par ressembler aux accusations de rage de ceux qui veulent noyer leurs chiens ; alors même que les accusateurs sont assiégés par des fauves sauvages bien plus dangereux que les animaux domestiques.

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