Destination santé

Attirés par la qualité des soins et la compétitivité des prix, des milliers de patients maghrébins et européens affluent chaque année dans les cliniques privées du pays. Visite au cur de l’eldorado du tourisme médical.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 7 minutes.

Les bistouris tunisiens ont la cote. Chaque année, des milliers de patients prennent l’avion ou le train pour se faire soigner dans les cliniques privées du pays. Dotés d’équipements modernes et de compétences de haut niveau, ces établissements se sont forgé une solide réputation dans le domaine de la santé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2006, plus de 68 000 patients étrangers, dont un tiers en provenance des pays européens, ont choisi la Tunisie comme destination médicale. Les soins prodigués à ces « patients voyageurs » sont assurés pour l’essentiel par les cabinets de médecine générale et spécialisée, les cabinets paramédicaux et, surtout, par les cliniques. Ces dernières proposent une large gamme de spécialités, dont la chirurgie cardio-vasculaire, l’orthopédie, l’urologie, l’ophtalmologie et la chirurgie esthétique, véritable « produit » d’appel pour les Européens, qui constituent 20 % de la clientèle étrangère.
Mais, pour l’heure, ce sont les Algériens et les Libyens qui occupent la majorité des cliniques. Pendant la saison estivale, certaines d’entre elles, comme celle d’El-Manar, située à 10 minutes de l’aéroport de Tunis, affichent un taux de remplissage de 85 %. « J’accompagne ma mère qui doit subir un cathétérisme cardiaque », explique Choukri en déplorant l’inefficacité du service de santé dans son pays, la Libye. Même son de cloche du côté des patients algériens. « Notre système de santé souffre encore de multiples dysfonctionnements », affirme Tijani, venu spécialement d’Oran pour subir une opération cardio-vasculaire à la polyclinique Taoufik, la pionnière en matière pluridisciplinaire. Et depuis peu, les établissements privés tunisiens accueillent une nouvelle clientèle. « Les Mauritaniens, qui préféraient se rendre autrefois au Maroc ou au Sénégal, sont de plus en plus nombreux à venir se faire soigner ici », constate le Dr Mohamed Ben Hmida, directeur de la clinique El-Manar.
Aux yeux des patients venus des pays limitrophes, le système de santé tunisien est le plus performant du Maghreb. La raison ? Une qualité de soins largement reconnue, spécialement dans les cliniques privées, dans lesquelles les Tunisiens ont beaucoup investi. Engagées depuis deux ans dans un programme de qualité, 12 cliniques sur un total de 80 devraient décrocher, d’ici à la fin de l’année, une certification internationale (ISO 9 000) portant sur la partie hôtellerie (lits, restauration, etc.) de l’hospitalisation. Pas question pour autant de se reposer sur ses lauriers. Prochaine étape : l’obtention d’un label qualité concernant les actes médicaux eux-mêmes. L’objectif étant, à terme, d’ouvrir encore plus grandes les portes à la clientèle étrangère et plus spécialement européenne. En mars 2004, la clinique de La Marsa a conclu un partenariat exclusif avec l’agence de voyage Estetika Tour. Déclinant le concept du tourisme médical et de bien-être, plusieurs tour-opérateurs proposent aujourd’hui des packages, dont le prix peut être deux fois inférieur à celui d’une simple intervention esthétique en Europe.
À nouveau concept, nouvel outil. En matière de tourisme médical, tout se fait sur Internet. Le patient choisit sa clinique via le voyagiste sélectionné. Il lui suffit ensuite de faire suivre son dossier médical, qui sera transmis au chirurgien. Lequel examinera la demande, établira un devis estimatif et fixera une date d’intervention. La plupart des packages comprennent l’intervention, les frais cliniques, l’anesthésie, les nuitées d’hospitalisation, les soins et produits pharmaceutiques postopératoires, le vol aller-retour ainsi que le séjour dans l’un des hôtels partenaires.
Si la seule pose de prothèses mammaires peut atteindre 6 000 euros en France, elle n’est que de 2 600 euros en moyenne en Tunisie, voyage compris. Pour une rhinoplastie, il faut compter 3 500 euros en moyenne dans l’Hexagone et seulement 2 000 euros environ dans les cliniques tunisiennes. C’est ainsi qu’en quelques années le pays est devenu l’eldorado de la chirurgie esthétique. D’autant que, depuis 2005, la Tunisie a supprimé la TVA de 6 % dont devaient s’acquitter les touristes pour les soins médicaux. Les autorités espèrent ainsi encourager l’afflux des patients étrangers et pas seulement pour des opérations de chirurgie esthétique.
Selon un sondage Europ Assistance, 45 % des Français se disent prêts à traverser les frontières pour se faire soigner. Y compris en Tunisie. Le pays cherche aujourd’hui à développer des spécialités reconnues internationalement dans les domaines de la cardiologie, de la cancérologie ou de l’ophtalmologie, toujours à des prix très compétitifs. Pour un résultat équivalent, une intervention à cur ouvert coûte deux fois moins cher qu’en Europe (10 000 dinars, soit environ 5 700 euros). Idem pour les soins et prothèses dentaires. Sans oublier la chirurgie ophtalmologique, qui reste peu onéreuse pour des étrangers avantagés par le taux de change du dinar tunisien (DT). De plus en plus de patients européens, notamment français et britanniques, ont d’ailleurs choisi de se faire opérer à la clinique ophtalmologique de Tunis, première unité entièrement consacrée au traitement des affections de l’il. Une spécialisation qui a nécessité la réalisation d’un plateau technique complet et performant. « C’est impressionnant, déclare Judith, une patiente britannique venue se faire opérer des poches sous les yeux. C’est aussi moderne que chez nous. Sinon plus. »
Dans une des chambres de la clinique Saint-Augustin, établissement situé dans le quartier du Belvédère de Tunis, Luce, 42 ans, opérée pour une augmentation mammaire, ne tarit pas d’éloges sur la qualité des soins. « J’ai été hospitalisée dans les meilleures conditions, soutient cette infirmière du nord de la France à qui aucun détail n’échappe. Toutes les normes, et particulièrement celles relatives à l’hygiène, ont été rigoureusement respectées. » Mais ce qui a surtout rassuré Luce, c’est « la renommée internationale des chirurgiens tunisiens ». La plupart d’entre eux, formés et diplômés en France ou aux États-Unis, exercent depuis de nombreuses années et sont inscrits à l’ordre de leurs spécialités respectives. Dans ces cliniques, les jeunes chirurgiens travaillent aux côtés de praticiens plus expérimentés, d’anciens cadres hospitalo-universitaires ayant choisi de quitter le service public. Quant à Luce, elle en est convaincue, « la prochaine opération chirurgicale, peut-être un lifting, se fera en Tunisie ».
En dehors de la clientèle européenne, le pays accorde depuis quelque temps une attention toute particulière aux patients africains. Lors de la deuxième édition du Salon international des services (Sise) organisée à Tunis en juin 2006, les opérateurs ont entrepris de promouvoir leur savoir-faire et leurs infrastructures auprès de leurs voisins du continent. Afin de faciliter l’octroi des visas pour ces patients, la Chambre syndicale des activités sanitaires privées prend en charge les formalités auprès des ministères de l’Intérieur et de la Santé en Tunisie. L’appel du pied a été entendu. La ministre malienne de la Santé, Zeinab Mint Youba Maiga, a fait part début janvier, de sa volonté de transférer des patients vers des institutions tunisiennes publiques et privées. Un premier pas vers la coopération Sud-Sud
Le secteur privé toutefois ne fait pas toujours l’unanimité. Nombreux sont les Tunisiens se plaignant des conditions de leur hospitalisation. « Il y a un manque de transparence et d’éthique », grogne Lamia, 32 ans, qui a décidé d’accoucher dans une clinique de la banlieue nord de Tunis. « Chaque jour apporte son lot de surprises avec une facture qui ne cesse de grossir. » Pour faire face à cette crise de confiance, plusieurs établissements privés, à l’instar de la clinique El Manar ou de la polyclinique Erriadh à Sfax, ont choisi d’informer dès le départ leur patient sur le coût réel des soins médicaux et des frais de séjour. C’est dans ce sens qu’une convention de partenariat et de coopération entre la Chambre syndicale nationale des cliniques privées et l’Organisation de défense des consommateurs (ODC) a été signée début janvier. Cet accord prévoit la mise en place de règles garantissant la transparence, la publication des tarifications en vigueur et l’instauration d’une dimension humanitaire dans les relations entre les deux parties.
Reste que le coût des soins demeure élevé. L’accès au traitement dans les établissements privés du pays devient de plus en plus difficile pour les locaux. Selon les directeurs des cliniques, les équipements, aussi performants soient-ils, sont très onéreux et pèsent sensiblement sur le prix des prestations. À titre indicatif, le matériel nécessaire à l’environnement médical d’un lit s’élève à 200 000 DT (115 000 euros) et la maintenance d’un scanner à 80 000 DT par an. « La qualité des services a un coût », aiment à rappeler les spécialistes. Un discours qui n’est pas toujours bien compris par les citoyens lorsque la facture pour un simple accouchement peut très facilement dépasser les 1 000 DT.
Pour apaiser les esprits, les autorités ont décidé la mise en place dès le 1er juillet 2007 d’un nouveau régime d’assurance-maladie. Il prévoit un meilleur accès aux soins de qualité pour tous les bénéficiaires ainsi que l’amélioration du système de remboursement. Les assurés sociaux pourront dès lors se faire soigner chez tous les prestataires, notamment dans le privé, mais devront avancer les frais. Lesquels seront remboursés par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) selon un taux préétabli et avec un plafond annuel. Les autorités espèrent ainsi ne pas faire fuir les patients tunisiens. D’autant que les étrangers, qui contribuent pour près de 40 % au chiffre d’affaires des cliniques tunisiennes, peuvent, eux aussi, aller voir ailleurs.
Certains pays comme le Maroc ou la Jordanie commencent à rattraper leur retard en termes de compétitivité et de qualité (voir encadré p. 59). Pour bon nombre de professionnels, certaines réorientations sont impératives pour maintenir la Tunisie en tête des destinations médicales. Il s’agit essentiellement d’améliorer les méthodes de management pour qu’elles atteignent le niveau qui sied à tout établissement privé. En clair, les cliniques tunisiennes sont appelées à devenir de véritables entreprises.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires