[Tribune] Guinée : comment l’armée est devenue républicaine
Le sujet essentiel de la réforme du secteur de sécurité (RSS) n’est jamais évoqué en Guinée. Il est pourtant de taille puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la restructuration de l’outil de sécurité et de défense guinéen, en état de totale déstructuration au sortir de 2010.
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Bruno Clément-Bollée
Ancien commandant de l’opération Licorne, en Côte d’Ivoire, et consultant en matière de sécurité
Publié le 20 novembre 2019 Lecture : 3 minutes.
Parler de reconstruction serait plus juste d’ailleurs tant la tâche à accomplir était titanesque. L’affaire me tient à cœur pour y avoir activement participé.
Pour bien comprendre l’ampleur du défi, il faut imaginer dans quelle situation apocalyptique se trouvait alors la Guinée. Insécurité totale, économie exsangue, population en grande misère… Tous les observateurs de l’époque s’en inquiétaient. C’est dans ce contexte troublé qu’Alpha Condé accédait démocratiquement au pouvoir, une grande première dans l’histoire du pays.
Gestion de sortie de crise
Le chantier, gigantesque, concernait tous les domaines, mais l’urgence née d’une situation potentiellement explosive commandait de s’attaquer d’abord au dossier sécuritaire. Réconciliation, démobilisation, restructuration, le président a bien compris que les trois chantiers inhérents à toute sortie de crise devaient, dans le contexte guinéen, être entamés immédiatement, simultanément et de façon coordonnée. Décision bien courageuse à l’époque tant la situation était menaçante, on l’a vite oublié.
Réussir une RSS impose de répondre à une double exigence : convaincre et reconstruire. Convaincre la foule des impatients est une nécessité immédiate. La population a trop souffert, l’opposition met la pression, la communauté internationale trépigne pour démarrer ses programmes, et chacun exige des signes concrets et visibles de changement dès le calme revenu. À l’inverse, reconstruire demande du temps, car il faut viser juste pour édifier le futur outil. Études des intérêts à défendre face aux menaces à contrer, établissement du catalogue des missions à remplir pour y arriver, restructuration des forces à adapter en conséquence… C’est un chantier long et exigeant qui est lancé.
En Guinée, le processus a été exécuté de façon nominale. Pour convaincre, la réalisation immédiate de nombreuses actions de portée modeste, utiles et réalisables dans de brefs délais, a fait mouche. Conducteurs, infirmiers, mécaniciens… La formation technique individuelle a démarré sans délai dans de nombreuses spécialités dont on savait que, quel que soit le format d’armée qui serait adopté, elles y auraient leur place.
Sur le plan collectif, pour mobiliser des effectifs importants autour d’un objectif commun, a été prise la décision de former un bataillon aux opérations de maintien de la paix (OMP). Au total, cette suractivité a été le signe visible tant attendu d’une gestion de sortie de crise. Pour ce qui est de reconstruire, la phase de réflexion a été menée tout de suite, avant une réalisation effective les années suivantes.
Restaurer l’image des militaires
Parallèlement, il fallait résorber les sureffectifs importants de troupes et restaurer l’image des militaires auprès de la population. Les non-immatriculés ont été reconvertis en pompiers au sein d’unités de protection civile, créées pour l’occasion, devenues rapidement opérationnelles et saluées, en 2014, pour leur comportement héroïque durant la douloureuse épidémie Ebola.
De même, dès 2012, l’Agence du service civique d’action pour le développement (Ascad), bénéficiant d’un encadrement militaire, était créée au profit des jeunes. Elle est aujourd’hui le fleuron national en matière d’insertion de ces derniers, et le modèle inspire, il a été copié par plusieurs autres pays du continent.
Au total, le résultat a été spectaculaire. Les rues de la capitale ont été rapidement vidées des nombreux individus en uniforme occupés à bien triste besogne. Replacées dans leurs casernes, les forces restructurées reprenaient très vite l’entraînement de façon professionnelle. L’objectif de formation aux OMP était confirmé, puis les forces engagées au Mali au sein de la Minusma, qui, aujourd’hui encore, au prix du sang versé, sert la paix. En moins de trois ans, les acquis de base étaient engrangés, puis consolidés, permettant de reporter l’effort sur le développement.
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