Comment Conté a été sauvé

Sérieusement ébranlé par la révolte des soldats du rang, le chef de l’État est une fois de plus parvenu à se maintenir en place. Pour combien de temps encore ?

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Eternel miraculé, le régime de Lansana Conté a de nouveau survécu de justesse. Le mouvement engagé du 2 au 15 mai par les soldats de toutes les casernes du pays, pour réclamer de meilleurs salaires et le limogeage pour corruption des plus hauts officiers, a manqué de peu d’emporter ce qui reste du pouvoir en place à Conakry. Il a fallu une bonne dose de réussite, mais également une réaction de sursaut dûment orchestrée pour donner un nouveau souffle à un général président usé par la maladie et vingt-trois ans de gestion autocratique du pays.
L’alerte a été chaude. Après treize jours de troubles orchestrés par ceux-là mêmes qui sont chargés de les empêcher, la Guinée panse ses plaies. Ce grand pays de l’Afrique de l’Ouest, le premier de la sous-région à s’être libéré du joug colonial français, va de chocs en traumatismes, de blessures en humiliations Particulièrement meurtrie ces derniers mois (la répression sauvage d’une grève générale a fait au moins 123 morts et des milliers de blessés entre janvier et février 2007), la Guinée vient de saigner à nouveau : la récente révolte militaire a fait au moins 8 morts et des dizaines de blessés – officiellement par balles perdues. La grogne serait allée plus loin si Conté et ses proches n’avaient pas manié le bâton et la carotte.
Les manuvres de sauvetage du régime commencent le 11 mai. Ce jour-là, une fusillade cause la mort de quatre personnes. Les hommes en armes investissent les artères de la capitale, Conakry, et affluent vers le pont du 8-Novembre, porte d’entrée de Kaloum, le centre-ville qui abrite le camp Samory-Touré, siège de l’état-major où se trouve le chef de l’État. Sentant l’étau se resserrer autour de lui, ce dernier se rallie à l’idée de ses proches : sacrifier la hiérarchie de l’armée, faire tomber les têtes réclamées par les insurgés et mettre toutes les chances de son côté pour conserver le pouvoir. Voire sa vie.
Après avoir dépêché des émissaires auprès des militaires ayant organisé une marche vers le camp Samory-Touré, Conté limoge dès le 12 mai huit membres de l’état-major. Parmi eux, le général Kerfalla Camara, l’inamovible patron des armées, Arafan Camara, son ex-adjoint devenu ministre de la Défense, Bambo Fofana, l’intendant général Soupçonnés d’avoir détourné depuis 1996 les primes et autres augmentations de soldes accordées aux hommes du rang, ces officiers supérieurs sont désarmés avant d’être purement et simplement destitués.
Pour trouver un successeur à Kerfalla Camara, le chef de l’État jette son dévolu sur le général de brigade Diarra Camara, jusque-là commandant de la 3e zone militaire de Kankan, en Haute-Guinée. Ce Toma, originaire de Macenta, en Guinée forestière, appartient, dit-on, à la vieille école : il est aussi obéissant vis-à-vis du chef de l’État que dur envers ses hommes. Pour le portefeuille de la Défense laissé vacant par le départ d’Arafan Camara, Conté fait appel à un vieux compagnon, Mamadou Baïlo Diallo, un général parti à la retraite en 2005.
Cette nomination suscite le mécontentement dans les rangs. D’aucuns reprochent à Diallo les mêmes défauts que les officiers supérieurs débarqués. Mais Conté ne veut pas céder. Militaire dans l’âme, le président sait qu’une nouvelle reculade entraînerait une autre charge des soldats et ne dit mot de ses intentions. Le chef de l’État gagne du temps, diffère sa réponse aux revendications des troupes, fait deux fois faux bond – le 12, puis le 14 mai – aux insurgés qui l’attendaient au camp Alpha-Yaya-Diallo, à Matoto, dans la périphérie de Conakry La population, quant à elle, ne tarde pas à se soulever contre les dommages collatéraux occasionnés par la révolte des hommes en armes. Le 13 mai, à Guéckédou, en Guinée forestière, des civils, las des rackets et autres voies de fait, affrontent les militaires. Le lendemain, le Collectif national des organisations de la société civile lance un communiqué contre les exactions commises par les insurgés en armes. En cause : les pillages de la nuit du 12 au 13 mai qui ont vidé tous les entrepôts de la capitale et la plupart des commerces.
Les « patrouilles mixtes » instaurées par le gouvernement, officiellement pour assurer la sécurité des personnes et des biens, se transforment très vite en empêcheurs de manifester en rond. Composées, à l’origine, d’éléments issus de tous les corps de l’armée, elles se retrouvent formées de fidèles au régime, agissant dans le seul dessein de briser le mouvement. Conté veille à ce qu’y figurent les « rangers » (soldats d’élite formés par les Américains) du camp Soundiata-Keïta de Soronkoni, les hommes du nouveau chef d’état-major. Mais également les commandos du camp Kémé Bourama de Kindia (les unités de cette 1re zone militaire avaient contribué à sauver le régime au cours de la mutinerie des 2 et 3 février 1996).
Très vite, Diarra Camara, le nouveau patron de l’armée, reprend le contrôle de la situation. Prétextant la lutte contre les pillages, les « patrouilles mixtes » arrêtent près de 70 soldats parmi les plus récalcitrants, ainsi que des civils soupçonnés d’atteinte aux biens publics. Conté fait ensuite savoir qu’il veut rencontrer ses frères d’armes. Mais pas n’importe lesquels. Les quelque mille hommes présents le 15 mai au camp Samory-Touré, au nom de toutes les unités, sont triés sur le volet. Dans le souci d’y inclure le maximum d’éléments favorables au chef de l’État
Dès son apparition, Conté reçoit donc les honneurs militaires. Son ministre de la Défense, plutôt que répondre aux revendications, en profite pour rappeler le rôle et les principes de l’armée : « Mes frères d’armes, unissons-nous. Donnons-nous la main. N’acceptons pas que les mauvais esprits se mêlent de nos affaires pour nous diviser. » Un appel convenu qui cache mal le désarroi gagnant le régime. Car si, au bout du compte, Lansana Conté s’en tire, il n’en a pas moins été affaibli. Celui qui gouverne la Guinée d’une main de fer depuis le coup d’État du 3 avril 1984 apparaît chaque jour un peu plus vulnérable.
La crise sonne également de façon brutale la fin de l’état de grâce dont bénéficiait le « Premier ministre de consensus », Lansana Kouyaté, depuis qu’il a été appelé, le 26 février, à la rescousse d’un pays en proie à une crise économique, à une paralysie politique chronique, et à des révoltes syndicales récurrentes. Pour autant, le chef du gouvernement ne s’est pas laissé abattre. Loin s’en faut. Avec l’accord du président de la République, chef suprême des armées, il a fait le tour des casernes pour parler aux « mutins ». Pendant la révolte, Kouyaté recevait successivement les ministres des Finances et de la Défense ainsi que le gouverneur de la Banque centrale afin de définir un schéma de réajustement des salaires et des grades dans l’armée qui a été proposé aux délégués des militaires.
Fort du soutien des organisations de la société civile et des syndicats, qui ont demandé que les hommes en armes laissent le gouvernement de consensus mener à bien sa feuille de route, le Premier ministre n’a pas voulu mettre entre parenthèses son action. Le 12 mai, au plus fort de la crise, il a présidé la cérémonie de pose de la première pierre d’un stade de 50 000 places à Nongo, dans la banlieue de Conakry. Et il s’apprête à réunir du 24 au 27 mai un séminaire gouvernemental. Mais, cette fois-ci, dans ?un hôtel de la plage de Bel-Air, à Boffa loin des remous de Conakry.

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