[Tribune] L’Afrique des autres

Ainsi va le cliché : la plus grande richesse de l’Afrique, ce sont les Africains. Pourquoi pas… Mais soyons précis. Cette richesse surgit-elle des amphithéâtres surpeuplés de Dakar et d’Abidjan ou des mines de l’ex-Katanga ?

Vue de Maputo où l’accord doit être signé le 8 octobre entre Exxon Mobil et le ministre des ressources minérales et de l’énergie. (Photo d’illustration) © CC/Wikimedia Commons

Vue de Maputo où l’accord doit être signé le 8 octobre entre Exxon Mobil et le ministre des ressources minérales et de l’énergie. (Photo d’illustration) © CC/Wikimedia Commons

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Publié le 19 novembre 2019 Lecture : 3 minutes.

Apparaît-elle en zémidjan au coin des rues de Cotonou ou casquée sur les plateformes pétrolières du golfe de Guinée ? Se manifeste-t-elle expatriée et assimilée, à New York et à Paris, ou dans les champs de coton, de café, de cacao du Bénin, du Kenya, du Ghana ?

Longtemps sourde, la dichotomie entre ceux qui pensent l’Afrique et ceux qui la vivent paraît plus visible en cette fin de décennie. Je me souviens de Jim Yong Kim, il y a dix-huit mois, recommandant aux pays africains de s’inspirer du modèle sud-coréen (pari sur le capital humain), sans mentionner l’agressive politique industrielle suivie pendant un demi-siècle par Séoul. C’était avant qu’il quitte abruptement la présidence de la Banque mondiale pour une sinécure richement rémunérée chez l’investisseur Global Infrastructure Partners.

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« Si seulement l’Afrique et l’Asie consommaient moins »

Je me rappelle aussi la réponse du patron de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina – étrangement contrainte pour cet expert en communication –, affirmant cette simple évidence : la Corée du Sud est pauvre en ressources naturelles, alors que l’Afrique en regorge. « On ne peut se développer qu’avec ce qu’on a », avait souligné le président de la BAD.

Quand il ne s’agit pas d’apocalyptiques harangues sur la démographie africaine, c’est au sujet du changement climatique que les lignes de démarcation s’affirment le plus clairement.

Il ne s’agit pas seulement du babil des couloirs de Bruxelles, Paris ou Washington, où les « agents du développement » s’émeuvent du « delta » de consommation énergétique fossile imputable aux seuls pays pauvres et émergents. « Si seulement l’Afrique et l’Asie consommaient moins… », déplorent-ils entre deux expressos.

Au début d’août, Sim Tshabalala, directeur général de l’institution bancaire africaine la plus importante, Standard Bank, a dû s’expliquer en pleine conférence avec des investisseurs de la place de Johannesburg sur le financement accordé aux industries extractives. S’il a insisté sur le respect par le géant sud-africain de « l’article 4 de l’accord de Paris [qui recommande de] réduire l’intensité en carbone du développement économique et humain dans nos pays d’opération », le natif de Soweto n’a pas hésité à asséner quelques vérités.

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« L’Afrique est notre maison ; nous sommes le moteur de sa croissance », a-t-il noté, avant d’insister : « Nous sommes un groupe de services financiers africains au service de l’économie réelle. Notre bilan existe pour répondre aux besoins pressants de notre continent. Nous financerons donc les gazoducs et les oléoducs, nous appuierons l’exploration et l’extraction minières et, dans certains cas, nous financerons l’énergie au charbon. »

Les projets d’électricité hors réseaux se multiplient sur le continent, mais sont-ils la panacée ?

Au début de novembre, c’était au tour d’Andrew Herscowitz, coordinateur de Power Africa – rare initiative de développement lancée sous Barack Obama à survivre sous la présidence de son successeur – de défendre une approche « agnostique sur le plan technologique » dans le domaine de l’énergie en Afrique.

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« En matière de mégawatts, la majorité de [nos projets en Afrique] a porté sur les combustibles fossiles, surtout le gaz, qui est une technologie plus propre que les autres. Mais pour ce qui est du nombre de projets, nous avons appuyé un plus grand nombre de projets d’énergie renouvelable », a-t-il tempéré.

Les projets hors réseaux se multiplient sur le continent, applaudis comme une panacée, alors que – qui peut l’oublier ? – « 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité au sud du Sahara ». Peut-on noter qu’il faut « une puissance de 700 W pour faire bouillir une casserole », selon Andrew Herscowitz, quand les panneaux photovoltaïques distribués sur le continent fournissent à peine un flux d’environ 80 W, « de quoi alimenter une télévision ou un téléphone portable » mais guère plus.

Certes, cela vaut toujours mieux que rien. Lequel des zélateurs de telles solutions énergétiques les accepterait, ne fût-ce que pour une résidence secondaire en Arizona, dans le Jura ou le Piémont ? Mais n’en doutez pas, tous ces experts, financiers, bénévoles et autres gens pétris de bonnes intentions ne souhaitent que le bien du continent. Au vrai : on ne se méfie jamais assez des gens qui aiment l’Afrique.

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