« Aux États-Unis, je suis une Moroccan-American »

Écrit en anglais, le premier roman de la Marocaine Laila Lalami a connu un bel accueil outre-Atlantique. Il sort aujourd’hui en français. Entretien.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

Installée aux États-Unis depuis quinze ans, la Marocaine Laila Lalami nous livre avec De l’espoir et autres quêtes dangereuses un premier roman très réussi où elle met en scène les heurs et malheurs de son pays natal. Grâce à une écriture tout en nuances, cette linguiste de 39 ans a su renouveler le sujet galvaudé de l’immigration. Ses héros ont pour nom Mourad, Faten, Aziz ou Halima. Candidats à l’émigration clandestine, ils quittent leur pays à bord d’un rafiot plein à craquer. Ils n’ont connu que le chômage, le désespoir et l’oppression. Ils veulent tenter leur chance de l’autre côté du détroit, mais tous ne parviennent pas à destination. La traversée se révèle plus dangereuse qu’ils ne le croyaient. « Les vagues [de la Méditerranée] sont d’un noir d’encre, à l’exception de quelques touches d’écume çà et là, luisantes de blanc sous la lune, comme des pierres tombales dans l’obscurité d’un cimetière », écrit Lalami dès les premières lignes sans doute pour préparer le lecteur aux drames qui ne tarderont pas à éclater.

Jeune Afrique : Vous avez fait le choix d’écrire en anglais. Pourquoi ?
Laila Lalami : Si je pouvais refaire ma vie, j’irais dans une école arabe – arabe marocain, de préférence – pour pouvoir écrire aujourd’hui dans cette langue. Malheureusement, j’ai reçu une éducation coloniale, comme beaucoup de mes compatriotes. Cela veut dire qu’on nous a appris à penser, à rêver, à exprimer nos sentiments les plus profonds dans une langue étrangère, en l’occurrence le français. C’est pourquoi j’ai eu une réaction de rejet par rapport à cette langue qu’on m’avait imposée.
Entre-temps, j’avais commencé à apprendre l’anglais. J’ai fait une licence d’anglais à l’université de Rabat avant de partir pour les États-Unis où j’ai découvert les auteurs anglophones, les Chinua Achebe, les Wole Soyinka, les John Coetzee qui m’ont durablement marquée. Alors, quand j’ai décidé d’écrire, c’est tout naturellement que j’ai choisi l’anglais, langue qui n’avait pas pour moi de connotations coloniales. Mais je n’oublie pas que l’anglais est aussi une langue étrangère pour moi. D’ailleurs, quand j’écris, notamment les dialogues, je les entends d’abord en arabe marocain !
Votre roman a d’abord paru aux États-Unis. Vous êtes sans doute la première romancière marocaine à être publiée par une grande maison d’édition américaine !
Si j’avais écrit en français, je ne sais pas si mon roman aurait jamais paru aux États-Unis. Les romans traduits représentent à peine 3 % des uvres de fiction publiées par les éditeurs américains. Un roman français signé par une Marocaine aurait eu encore moins de chance de trouver preneur. Les Américains ne savent même pas situer mon pays sur la carte. Pour beaucoup, le Maroc c’est Casablanca avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.
Malgré ce décalage, j’ai trouvé que la critique a présenté mon livre avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence, rapprochant de l’immigration mexicaine la fuite désespérée des Marocains que mon livre raconte. Mes protagonistes ont été perçus comme des victimes de la globalisation, thème qui ne laisse pas insensible l’Américain moyen.
Cela ne les empêche pas de vous qualifier d’« écrivain ethnique », à votre plus grand désespoir d’ailleurs !
Cela m’amuse et m’attriste à la fois de voir combien la littérature aux États-Unis reste prisonnière de catégories raciales qui n’ont rien à voir avec la littérature : littérature noire américaine, roman juif Moi, on me considère comme « Moroccan-American » ! Pour éviter que mon livre ne soit perçu comme un objet exotique, j’avais dit à mon éditeur que je ne voulais pas de chameaux, ni de femmes voilées, ni de photos de déserts sur la couverture ! Je voulais que ce livre soit jugé uniquement sur le plan littéraire. Pour moi, un roman est bon ou mauvais, abstraction faite de l’origine ou de la couleur de la peau de son auteur.

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De l’espoir et autres quêtes dangereuses, de Laila Lalami, traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Pierre-Bon, éditions Anne Carrière, 208 pages, 17,50 euros.

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