Youcef Alem

Né en Algérie, il est chez Disneyland Paris, le grand parc d’attractions européen, le premier responsable de la diversité et de l’intégration. Et il entend bien promouvoir sa conception du management auprès de la maison mère américaine.

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

Il était une fois Youcef Alem, l’enfant de Tizi-Ouzou devenu cadre au royaume de Mickey. Un étonnant itinéraire qui n’aurait pas manqué de mettre l’imagination fertile de Walt Disney en ébullition. Arrivé en France en 1990, sans un sou en poche, il occupe aujourd’hui le tout nouveau poste de responsable de la diversité et de l’intégration à Disneyland Paris, le parc d’attractions européen du géant du divertissement américain, dans l’est de la région parisienne.
Le 23 avril, Youcef Alem, 48 ans, doit présenter à la direction du groupe son plan d’action pour la valorisation du multiculturalisme dans l’entreprise. Car derrière ses décors féeriques, Disneyland Paris cache un arc-en-ciel. Au pied duquel, comme le veut la légende, se trouve un trésor : 1 200 personnes d’une centaine de nationalités différentes. « Je veux créer une dynamique autour de la diversité pour en faire une compétence de management. Elle reposera sur la capacité à tirer le maximum de chacun dans une équipe composée de personnes venues d’horizons différents. »

Pur produit de la machine à rêves « made in USA », Youcef Alem fit partie des tout premiers salariés du parc, qui ouvrit ses portes en 1992 sous le nom d’Euro Disneyland. Il s’y sent aujourd’hui comme un poisson dans l’eau. Le sourire qu’il affiche en permanence le prouve : il est un homme heureux. Heureux de son parcours. Heureux d’avoir un jour tenté une aventure qui l’a conduit, lui l’Algérien d’origine, jusqu’en région parisienne, où il vit avec Soraya, son épouse, et leurs trois filles. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfantsÂÂ « Pour moi, il n’y a pas de hasard, affirme-t-il, chacun se fraie son propre chemin. Il faut provoquer la chance et, dans les moments difficiles, se montrer solide, ne rien lâcher, garder sa bonne humeur et se convaincre qu’il y a toujours une lumière au bout du tunnel. »
En décembre 1990, Youcef Alem et sa future épouse sont animateurs de colonies de vacances en Algérie. Les deux amoureux participent à une classe de neige dans les Alpes. À l’issue du séjour, ils décident de rester en France, le « pays des Merveilles », pensent-ils. « Je commence l’aventure », téléphone-t-il à ses parents. Makhlouf, son père, l’encourage. Fariza, l’épaule maternelle toujours disponible, masque plus difficilement son inquiétude.
Dans la besace de Youcef, une licence d’anglais et une expérience d’un an comme enseignant dans un lycée d’Alger. Son intention était de s’installer temporairement à Paris afin de décrocher une maîtrise de civilisation américaine à la Sorbonne, puis de rentrer dans son pays pour enseigner à l’université.
Sa passion pour l’anglais lui vient de son grand frère, étudiant au Royaume-Uni. Mais aussi de l’intérêt qu’il porte à la culture américaine, découverte à la faveur d’un cours sur Martin Luther King. Cette ferveur, il la partage avec une bande de copains. « À la différence des jeunes Algériens d’aujourd’hui, ma génération manifestait une fougue incroyable. Nous avions le goût de l’aventure, le besoin de franchir les frontières », juge-t-il.
Mais pendant l’hiver 1990, le jeune conquérant sans le sou est rattrapé par la réalité. Étudiante en dentaire, Soraya passe les nuits chez son frère en région parisienne. Youcef ne veut surtout pas s’incruster et prétend connaître des amis disposés à l’héberger. En fait, il passera plusieurs nuits dans la rue. Un épisode qu’il ne racontera à sa femme que bien plus tard. « La peur, le froid, cela forge un caractère. C’était une façon de construire une nouvelle vie sur une page blanche. Dans ces moments-là, bien des questions vous viennent à l’esprit. On se demande ce qu’on est réellement prêt à faire pour changer sa vie. Moi, j’entendais mon père me répéter qu’on ne doit jamais compter que sur soi, que rien de mal ne peut arriver quand on travaille et qu’on reste sérieux. Alors, j’ai échafaudé des plans pour trouver très vite un boulot et un toit. »
Les leçons paternelles lui permettront de garder la tête haute. L’ancien receveur des postes de Tizi-Ouzou vérifiait chaque soir les devoirs de ses sept enfants, six garçons et une fille, leur parlait de respect des autres et d’ouverture sur le monde extérieur. Résultat, tous sont aujourd’hui diplômés. Outre Youcef, l’un est pharmacien, un deuxième inspecteur des télécoms et les autres enseignants.
À Paris, le jeune Kabyle décroche un emploi de réceptionniste de nuit dans un hôtel. Des amis l’hébergent avec sa compagne enceinte dans un minuscule studio. Il tire un trait sur la Sorbonne et ne songe plus qu’à s’intégrer. Fin 1991, il entend parler du futur Disneyland et des milliers d’emplois qu’il va permettre de créer. Il se présente et est embauché comme réceptionniste.
Vincent Mercurio, un Italo-Américain du département formation de la maison mère, recherche quatre jeunes gens pour accueillir les nouveaux arrivants. Youcef Alem est choisi le premier, grâce sa grande taille : il mesure 1,84 mÂÂ « Ma vie professionnelle a commencé ce jour-là », se souvient-il. Placardée au mur, une citation du père de Mickey Mouse le rassure d’emblée : « Nous disposons de tant de talents dans cette société que je passe des nuits blanches à prouver la meilleure manière de les employer. » Il se sent le bienvenu. « J’ai lu cette phrase en arrivant le premier jour et elle m’a marqué. En voyant tous ces postulants autour de moi, cette mosaïque de nationalités, je me suis dit : oui, c’est vrai, cette entreprise place la compétence au premier plan. Alors, fonce. »

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Ensuite, tout s’enchaîne. En 1993, Youcef devient chef de projet ressources humaines et met en place « l’université Disney », le centre de formation maison, inauguré en janvier 1995. Il y peaufine un programme de formation destinée au management. En mai 2007, Philippe Gas, alors vice-président exécutif de Disneyland Paris (il vient d’être nommé président), lui confie la création d’un programme sur la diversité, l’intégration et l’insertion. Pour apprivoiser le sujet, il rencontre ses confrères de chez Accor, Air France, Total, L’Oréal, la SNCF, AccentureÂÂ
« En France, la notion de discrimination est essentiellement traitée sous l’angle juridique et ethnique », déplore-t-il. En interne, il procède à un audit dans le cadre duquel il interroge quelque cent cinquante salariés : « Beaucoup m’ont dit qu’ils n’étaient pas assez payés, mais aucun ne s’est déclaré victime de discrimination. » « Notre richesse, c’est la diversité culturelle ; nous devons donc la valoriser », plaide-t-il, bien décidé à promouvoir la french touch auprès des décideurs américains. Car le multiculturalisme est, aux États-Unis, un axe stratégique strictement marketing et commercial dont le but est avant tout de satisfaire une large clientèle. Youcef Alem le sait : réussir à imposer sa conception du management à cet empire du divertissement qu’est Disney ne sera pas tâche aisée. Alors, avant de passer à l’action, il va emmener toute sa petite famille à Tizi-Ouzou, chez Fariza, 82 ans, et Makhlouf, 87 ans. Histoire de se ressourcer.

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