Une ville où l’eau ne dort pas

La capitale du Bas-Congo attire de plus en plus d’entrepreneurs et de Kinois à la recherche d’un meilleur cadre de vie. Principal atout, à valoriser : son port.

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

Il surgit, sans crier gare, au détour d’un virage, par-delà le pont qui enjambe la rivière Mpozo. Juché sur les collines surplombant le lit encaissé du fleuve Congo, Matadi se fond dans la rocaille et la verdure. De quoi faire oublier l’éprouvant voyage en minibus depuis Kinshasa. Une belle route goudronnée, certes, mais de multiples virages et une majorité d’automobilistes peu enclins à respecter le code de la route. Et, surtout, un insupportable prêche hurlé, une heure durant, par une passagère reconvertie en pasteur de fortune, qu’aucun voyageur n’a osé interrompre, sinon pour ponctuer sa longue litanie d’Amen et d’Alléluia convaincus.
Comparé à la trépidante capitale, Matadi fait figure de ville provinciale, avec ses 400 000 habitants et ses rues proprettes, plutôt calmes pendant les heures chaudes. Un calme toutefois trompeur, si l’on en juge par les manifestations violentes qui ont opposé, à plusieurs reprises, les forces de l’ordre aux membres du mouvement Bundu dia Kongo (BDK), faisant de nombreux morts et blessés. Dirigé par le député Ne Muanda Nsemi, qui milite pour une République fédérale avec un Bas-Congo autonome, le mouvement est relativement populaire dans la région. Et pour cause. « Le BDK a une base religieuse et philosophique, bénéficie de la tradition messianique du Bas-Congo, exploite le thème de la pauvreté et joue sur la fibre régionale. Il a tous les ingrédients pour recruter des adeptes. Et son service d’ordre a tout d’une milice », explique un journaliste. En tout cas, la xénophobie et le fanatisme des adeptes du BDK, accusés par ailleurs d’interdire la pratique d’autres cultes et de faire la justice dans ses tribunaux populaires, inquiètent ou exaspèrent ceux qui ne partagent pas leurs idées.

Une attractivité renouvelée
Néanmoins, la présence de cette secte, dont le siège est implanté au quartier Belvédère, n’empêche pas les hommes d’affaires de venir humer le climat de la ville. C’est le cas de Patrice Kabeya, patron de Partners, une entreprise installée à Kinshasa, qui espère tirer profit de la relance du téléphone fixe dans le Bas-Congo pour y vendre du matériel et s’informe sur les opportunités touristiques de la région. D’autres comme Claude, un prof de math, ont carrément choisi de s’établir dans la ville portuaire plutôt que de végéter à « Kin », attirés par les conditions d’embauche et de vie meilleures que dans la capitale. « Ici, les loyers sont accessibles et les déplacements aisés. Tu trouves facilement un emploi et tu n’as pas besoin d’être coopté pour cela. On t’engage selon tes compétences », explique Laura, chef d’agence de Crésence, qui, outre l’organisation de défilés de mode et de manifestations culturelles, s’est lancée dans le stylisme. Et il n’est pas très difficile de trouver des sponsors et des clients, car les habitants de Matadi sont réputés pour leur propension à dépenser.
Leur pouvoir d’achat, petit ou grand, les Matadiens le doivent en grande partie au port, jumelé à celui d’Anvers (Belgique), autour duquel s’organise toute la vie économique. On l’a d’ailleurs surnommé bilanga ya tata – « le champ de papa » en lingala. « L’essentiel est donc d’y entrer pour récupérer ce que papa a planté », plaisante Claude. Pourtant, malgré un chiffre d’affaires de 7 millions de dollars par mois, un trafic annuel d’environ 1,5 million de tonnes de marchandises et 106 250 conteneurs, l’activité portuaire n’est pas à son niveau maximal. Le trafic pourrait être porté à 2,5 millions de tonnes, à condition d’agrandir l’espace d’entreposage et de réhabiliter les engins de manutention. Actuellement, les difficultés du chemin de fer aggravant la situation, les conteneurs restent stockés pendant 40 à 60 jours, au lieu de 20. Ces délais devraient être raccourcis grâce aux travaux en cours. « L’espace du parc à conteneurs sera agrandi de 33 000 m2. On va entreposer les grumes sur des terrains en terre et ainsi libérer 16 000 m2 de surface bétonnée, auxquels s’ajouteront 17 000 m2 récupérés ailleurs. Cela permettra de stocker 6 300 conteneurs supplémentaires », explique Tito Umba di Malanda, directeur du département des ports maritimes de l’Office national des transports (Onatra). La réparation d’une grue et l’acquisition de deux nouvelles machines devraient permettre d’augmenter les cadences.

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Remise à flot de l’économie
Du coup, Matadi pourra se consacrer à ce qui devrait être désormais sa vocation : un port d’importation spécialisé dans le trafic de cargos secs et de conteneurs. En outre, quand le port secondaire en construction – en l’occurrence le port sec de Kenge, à 28 km de là – sera achevé, Matadi pourra retrouver la fonction de transit qu’il avait en partie perdue au profit du stockage. Quant à sa rivale, la ville voisine de Boma, qui a récupéré une part du trafic de conteneurs et les opérations de dédouanement des véhicules importés, « elle pourrait se professionnaliser dans le trafic des grumes et des produits agricoles », assure Tito Umba di Malanda.
Comparée au port, la gare de Matadi, elle, a piètre allure. Par manque de trafic, les quais sont souvent vides et les herbes se sont installées durablement sur la voie ferrée. C’est donc par le port et la route que Matadi est ravitaillée. Et ses habitants sont fiers de vous annoncer qu’ils consomment surtout local ou européen. Les produits chinois n’auraient-ils pas encore envahi la ville ? À voir. Mais il est vrai que les voitures « d’occase » et les produits vendus dans les entrepôts de grossistes, alias « dépotages », viennent en partie d’Europe. En tout cas, les fruits et les légumes, très abondants sur les marchés, arrivent tout droit des villages environnants ou des jardins maraîchers de la ville. Quant aux pierres sur lesquelles est bâti Matadi – nom qui signifie d’ailleurs « pierre » en kikongo -, elles servent à construire murs et toitures, quand elles ne font pas fonction de marches d’escaliers.
Si la relance du port conditionne celle de la ville et de la région, les projets pétroliers, miniers et énergétiques en cours sont également de nature à dynamiser l’économie locale. C’est d’ailleurs sur le développement régional que misent certains pour ramener le calme. « Les populations oublieront les prophéties du BDK quand leur niveau de vie s’améliorera », assure un avocat matadien. Certes, mais avant que les projets se concrétisent, beaucoup d’eau aura coulé sous le pont Mobutu. Reste à savoir, en outre, comment réagira le BDK à la récente décision du gouvernement – le 21 mars dernier – d’interdire le mouvement. Une mesure que tous n’approuvent pas. « Pour calmer les esprits, il faudrait une meilleure représentation des Kongos dans les institutions. Un effort a été fait au niveau des entreprises publiques, mais ce n’est pas suffisant », estime le même avocat. En tout cas, beaucoup croisent les doigts, espérant que la situation sociopolitique ne se dégradera pas. Pas question de faire fuir les investisseurs.

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